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Les élections libyennes, entre espoir et chaos

Neuf mois après la chute du colonel Kadhafi, les Libyens ont voté samedi 7 juillet librement pour la première fois depuis 47 ans. Comme ses compatriotes, Reem Tombokti, 22 ans, voit en ces élections l'espoir d'un vrai changement. Même si la Libye est plongée dans la plus grande confusion.
Article rédigé par Florencia Valdés Andino
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Environ 4 000 candidats se disputent les 200 sièges du Parlement. (MOHAMMED ABED / AFP)

Les Libyens pouvaient choisir parmi 140 partis et 4 000 candidats pour élire une nouvelle Assemblée constituante de 200 députés. Cette assemblée se substituera au Conseil national de transition (CNT), à la tête du pays depuis la révolte contre Mouammar Kadhafi, tué en octobre 2011.

Reem Tombokti a attendu cette journée avec impatience. «Je ne sais pas pour qui je vais voter. Pour moi tout cela est très nouveau, nous ne connaissons pas la démocratie», avouait cette étudiante de 22 ans à la veille des élections. «Les gens sont très contents d'aller voter. Pour nous, c'est juste le début de la révolution»»».

Même si les Libyens ne connaissent ni le système électoral ni le nom de leurs candidats, ce scrutin hautement symbolique les enthousiasme. La population s'est inscrite massivement sur les listes électorales : sur les 3,4 millions de personnes en âge de voter,  2,850 millions y ont fait apposer leur nom .

«Les gens vont aller aux urnes parce qu'ils veulent un changement. Je ne suis pas déçue de ce qui s'est passé depuis les révoltes mais je ne suis pas encore satisfaite. Nous devons être patients»», raconte la jeune habitante de Tripoli qui parle parfaitement le français.

L'ONU intervient dans le processus électoral. Al Jazira, mai 2012.

Les islamistes en embuscade

Malgré l'offre électorale pléthorique, trois grandes forces politiques se détachent.

-Les modérés représentés par Mahmoud Jibril, ancien président du CNT et principal interlocuteur de Nicolas Sarkozy lors de la révolte. Même s'il n'est pas candidat, il dirige l'Alliance des forces nationales qui regroupent 58 partis politiques et 76 candidats indépendants.   

-Les islamistes du Parti de la justice et de la construction (PJC). La victoire des puissants Frères musulmans en Egypte, dont le PJC est issu, devrait favoriser le parti.

-Les islamistes d'Al-Watan de l'ex-chef militaire controversé de Tripoli Abdelhakim Belhaj, soupçonné d'avoir des liens avec Al Qaïda.

Contrairement à ce qu'on pourrait penser, la victoire potentielle des Frères musulmans n'effraie pas Reem : «Je ne suis pas d'accord avec eux. Mais s'ils gagnent ce sera par la volonté du peuple qui les aura choisis. C'est la première fois que celui-ci s'exprime. Si leur action politique ne nous convient pas, il faudra attendre les prochaines élections pour montrer notre mécontentement».

Le CNT décrédibilisé

Les membres du CNT (composé entre autres par des repentis de l'ère Kadhafi et des militaires), dont les candidats sont représentés dans tout l'échiquier politique, auront du mal à s'imposer. Leur légitimité et popularité s'érodent, leur recours aux vieilles pratiques les éloigne de plus en plus de la population.  

Les défenseurs des droits de l'homme dénoncent des exactions et il est avéré que les services de surveillance continuent à tourner à plein régime avec les méthodes de l'ère Kadhafi, notamment par le biais d'écoutes téléphoniques. Leur proximité avec l'OTAN, les Etats-Unis et la France est aussi fortement critiquée. Le CNT s'est révélé incapable de gérer le pays. Un état mafieux se met en place, les trafics illicites de toutes sortes fleurissent, notamment à la frontière avec le Tchad et le Niger. Par ailleurs, des milices imposent leur loi dans tout le territoire.

"Tout reste à faire"

Pour l'étudiante parfaitement francophone, le désordre dans lequel est plongé la Libye est symptomatique des changements en cours : «C'est le problème de vivre pendant plus de quarante ans dans une dictature. Kadhafi n'est plus là et maintenant tout le monde à quelque chose à dire, à revendiquer. Nous apprenons à nous découvrir nous-mêmes».

L'état actuel du pays semble bien loin du quotidien de Reem.«Pendant la révolution, c'était très dangereux pour les femmes d'être dehors. Mes frères ont manifesté, mais moi je n'ai pas pu. Aujourd'hui, je vais à l'université seule et je rentre seule. Je prends les transports en commun et je peux m'exprimer. Je peux dire ce que je pense sans avoir peur». Et d'ajouter: «Je suis très optimiste, la Libye pourra prendre maintenant la place qu'elle mérite au sein du monde arabe. Mais tout reste à faire. Je veux que l'éducation, la sécurité et la liberté soient au cœur des préoccupations du nouveau pouvoir. Ces élections sont un hommage aux milliers de morts de la révolution».

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