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Où va la Libye ? La réponse de l’écrivain libyen Kamal Ben Hameda

La Libye est plongée en plein chaos, ce qui a permis aux djihadistes de l’Etat islamique de jeter leur dévolu sur une partie du pays. Mais le 6 décembre 2015 a été annoncée à Tunis l’amorce d’un «dialogue national» entre les deux pouvoirs rivaux de Tobrouk et de Tripoli. Cette annonce apporte une lueur d’espoir, estime l’écrivain libyen Kamal Ben Hameda, qui vit aux Pays-Bas. Interview.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Tank manœuvrant à Benghazi (est de la Libye), le 16 mars 2015, lors de combats entre les forces favorables au gouvernement de Tobrouk et des partisans du groupe djihadiste Ansar al-Sharia. (REUTERS - Esam Omran Al-Fetori)
Quelle est la situation, aujourd’hui, dans votre pays ?
La Libye n’est plus qu’un Etat sur des cartes géographiques. Car dans la réalité, cet Etat est en pleine décomposition. Deux gouvernements se font face. L’un à Tobrouk, à l’Est, s’appuie sur les grandes tribus. L’autre à Tripoli, à l’Ouest, s’appuie sur les milices musulmanes radicales et le mufti de la capitale avec parfois, comme alliés, des éléments de la droite libérale et d’anciens partisans de Kadhafi. Il faut voir qu’à l’époque de ce dernier, la seule opposition, c’étaient les mosquées.

Les frontières extérieures sont poreuses, mais il y a eu un rétablissement des frontières intérieures, tribales et claniques.

Tous les jours, notamment à Tripoli, on assiste à des kidnappings. Il n’y a pas de justice. Il y a un marché noir énorme, la corruption est généralisée. Le pays est livré aux milices. Certaines d’entre elles tiennent ainsi des zones pétrolières. Tantôt elles s’allient avec le pouvoir de Tobrouk, tantôt elles se veulent indépendantes quand elles ne sont pas d’accord sur la répartition des revenus tirés des hydrocarbures.

Résultat : des millions de Libyens ont fui à l’étranger, notamment en Tunisie et en Egypte.
 
Où en est la progression de Daech ?
Ses partisans mènent une stratégie de déstabilisation et de peur avec des kamikazes. La Libye est un refuge idéal quand ils fuient la Syrie et l’Irak. Des villes entières ont ainsi été abandonnées et les djihadistes se promènent. Ce qui ne peut que favoriser l’émigration.
 
En même temps, il y a des gens qui résistent, qui se battent. Il faudrait les aider en les armant. En clair, il faut soutenir les villes laissées à l'abandon par les deux gouvernements et menacées par Daech, comme Msalata, Soubrata, Koufra. Pour autant, malgré l'interdiction des ventes d'armes à la Libye, les forces du général Haftar à l'Est reçoivent le soutien de l'aviation des Emirats arabes unis et de l'Egypte. Tandis que la Turquie et Qatar soutiennent logistiquement le gouvernement de Tripoli.

Un homme tient une affiche avec le portrait du général Khalifa Haftar pendant une manifestation de soutien à l'armée du pouvoir de Tobrouk le 6 novembre 2015. Cette armée est commandée par le général. ( REUTERS - Esam Omran Al-Fetori)

Les Libyens sont capables de se battre. A mon sens, on ne luttera pas contre Daech avec une intervention étrangère, en rentrant ainsi dans la logique de guerre de cette organisation.

Pour moi, une telle intervention pour mettre fin au chaos actuel serait une grosse faute. Mais elle peut servir certains intérêts. Notamment ceux de la France qui aurait ainsi l’occasion de mettre la main sur les richesses de la Libye, comme le pétrole et l’or, et d’ouvrir un couloir vers l’Afrique, notamment le Mali. Paris est certes à l’origine de la chute de Kadhafi. Mais son opération militaire en 2011, qui n’a pas respecté la résolution 1970 de l’ONU, a empêché une transition démocratique. 
 
Les deux gouvernements rivaux ont annoncé le 6 décembre 2015 la signature d’une «déclaration de principe» pour former un gouvernement d’union nationale. Que faut-il en penser ?
Pour moi, c’est un accord à encourager. On peut espérer que cela va faciliter le retour à la légalité historique et à la Constitution de 1951, supprimée quand Kadhafi est arrivé au pouvoir en 1969. On pourrait alors faire voter les Libyens pour demander quel régime et quelle constitution ils souhaitent. On a là le moyen de relancer le processus d’un pays en devenir, de le reconstruire.

Toutes les initiatives qui permettent de faire taire les armes, qui permettent aux ennemis de se parler, sont bonnes. C’est par exemple le cas de celle de l’UE qui a lancé une agence de presse libyenne indépendante, la première du genre.

Peut-on dire, comme le fait le «Monde Diplomatique», que «le régime Kadhafi, avec sa réthorique nationaliste et anti-impérialiste, avait contribué à la construction d’une identité nationale» en Libye?
On peut plutôt dire qu’il a déconstruit un Etat embryonnaire. Il a vidé le pays de sa substance. Il a fait disparaître les intellectuels, la société civile. Il a mis à bas une identité en devenir en détruisant le tissu social, en interdisant un syndicalisme libre, les partis politiques, les associations citoyennes indépendantes. Et surtout en tribalisant la société libyenne.

Né en 1954 à Tripoli, Kamal Ben Hameda a quitté la Libye dans les années 70. Il a fait ses études en France avant de s’installer aux Pays-Bas où il vit aujourd’hui. 

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