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Maroc: le Rif en ébullition depuis la mort de Mouhcine Fikri
La mort tragique d’un vendeur de poissons, happé par une benne à ordures en octobre 2016, a provoqué une vague de contestation dans la région marocaine du Rif. Une région montagneuse et pauvre d’où sont partis la plupart des immigrés marocains présents en Europe. Le nord du Maroc, longtemps délaissé voire puni par Hassan II, était pourtant devenu une des priorités politiques du roi Mohamed VI.
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Six mois après la mort de Mouhcine Fikri, la vague d’indignation et de contestation qui avait touché la ville d’Al-Hoceima dans le Rif ne s’est pas réellement apaisée. Le vendeur de poisson de 31 ans est mort après avoir été happé par une benne à ordures alors qu’il tentait de s’opposer à la saisie et à la destruction de sa marchandise par des agents de la ville. Les images effroyables de sa mort, filmée par un téléphone portable et diffusée sur internet, avaient choqué la population.
Dès le lendemain du drame, des milliers de personnes avaient manifesté dans le pays pour dénoncer la pauvreté, la corruption, les mafias de la pêche et des trafics… Depuis, le Rif est en ébullition.
Manifestations, sit-in et concerts de casseroles sont régulièrement organisés dans la ville d’Al-Hoceima pour commémorer la mort de Mouhcine Fikri mais aussi du résistant anti-colonial Abdelkrim al-Khattabi (vainqueur du colonisateur espagnol et fondateur de l’éphémère république du Rif en 1922).
Berbères et rebelles
Comme souvent dans leur longue histoire, les Rifains ne se laissent pas impressionner. La population des montagnes pauvres du Rif a une longue tradition de défiance envers l'autorité et des pratiques clandestines et claniques liées à la production de haschich et aux trafics avec l'Espagne.
Déjà en 1958-1959, le Rif connaît des émeutes contre la marginalisation et l’abandon de la région. Ces émeutes créent chez Hassan II la conscience d’un risque qu’il fallait mater pour la survie de son régime. Des milliers de civils sont massacrés.
En janvier 1984, le Maroc connaît de nouveau une vague d’émeutes contre la hausse des prix des produits alimentaires de base. Des violences déclenchées par les mesures prises par les autorités locales pour limiter la contrebande dans l’enclave espagnole de Melilla et le trafic de cannabis dans toute la région du Rif.
Le kif du Rif
Depuis des décennies, voire des siècles, le ressentiment des Rifains est inépuisable. «Ils nous ont incités à émigrer vers l’Europe, ils nous accusent d’être des trafiquants de drogue ou des pions de l’Algérie. Aujourd’hui, ils disent que nous recevons de l’argent de l’étranger. S’il y a des preuves qu’ils les sortent!», lance Nasser Zefzafi, devenu le visage de la contestation (interrogé par l'AFP).
«Nous sommes des fils de pauvres, des gens simples sortis dans la rue pour dire non à la tyrannie. Nous ne demandons rien d’exceptionnel, juste la réhabilitation de notre région aujourd’hui complètement sinistrée», affirme Nasser Zefzafi.
Des hôpitaux et des écoles
Les revendications exprimées sont basiques: bâtir des hôpitaux, des écoles, des universités, des usines, des infrastructures... même si le drapeau berbère et les revendications liées à la culture amazigh ont fait leur apparition.
La ville d'Al-Hoceïma, dont le gouverneur a été limogé fin mars 2017, a fait l’objet de nombreuses visites ministérielles, alors que l’Etat annonce l’accélération des projets de développement pour la région.
Paradoxalement, alors que le Rif avait été puni par Hassan II, Mohamed VI y a fait son premier voyage officiel. Il en a fait une de ses priorités économiques, avec notamment la construction d’une route côtière (et montagneuse) pour désenclaver la région.
Des réunions avec les autorités se sont succédé à Al-Hoceima pour remettre la région sur les rails du développement. Mais rien n’y fait (avec toutes les promesses faites à la population), même les postes d’emplois garantis à un millier de jeunes dans la zone franche de Tanger.
«Nous voulons des garanties noir sur blanc, des documents signés par l’Etat», insiste Nasser Zefzafi. Les autorités redoutent que le mouvement ne fasse tache d'huile.
Le 26 avril 2017, la cour d'appel d'Al-Hoceima a prononcé des peines allant de 5 à 8 mois de prison ferme à l'encontre des 7 agents publics impliqués dans le drame, dont le chauffeur de la benne.
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