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Printemps et hivers maghrébins : trois questions à Luis Martinez
Quatre ans après le suicide de Mohamed Bouazizi, vendeur de fruits tunisien dont l'immolation avait déclenché la vague de soulèvements, comment analyser les Printemps arabes ? Retour sur la question avec Luis Martinez, spécialiste du Maghreb et du Moyen-Orient, directeur de recherche au CERI.
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Quatre ans après le début des Printemps arabes, les pays du Maghreb connaissent des situations très variées. Qu’est-ce qui a été décisif dans chaque pays ?
Nous parlons ici de pays aux trajectoires récentes extrêmement différentes malgré leur communauté de langue et de culture. Des régimes non-démocratiques n’ont pas pu éviter d’être renversés alors que d’autres, comme la monarchie marocaine, savent se rendre très acceptables, que ce soit en «désamorçant» la contestation ou en achetant la paix civile.
Les contestations politiques maghrébines ont des origines similaires. Mais elles se sont différenciées au cours des 20 dernières années. En Libye et en Algérie, la contestation violente a plongé le pays dans la guerre civile. Habitués à être férocement réprimés, les islamistes de ces pays avaient une revanche à prendre.
Le Maroc et la Tunisie n’ont rien connu de comparable. L’islam politique tunisien notamment est d’une nature différente, bien plus modérée et consensuelle qu’ailleurs. Ennahda aurait des leçons à donner sur ce point.
Il faut surtout prendre garde à ne pas réduire les Printemps arabes aux quatre années écoulés depuis le suicide de Mohamed Bouazizi. Il est bien plus instructif de les replacer dans l’histoire postcoloniale du Maghreb. Les années 50-60 sont celles de la libération nationale ; les années 70-80 sont marquées par la contestation sociale, qui devient contestation politique à partir des années 90. Les évènements de 2011 s’inscrivent dans cette continuité.
Les acteurs politiques des Printemps arabes se mettent donc en place dès les années 90 ?
Oui, mais les régimes y ont répondu de différentes manières. Kadhafi a écrasé toute contestation sous une chape de plomb. L’Algérie a connu un coup d’Etat et une guerre civile ; puis elle a su pratiquer la carotte et le bâton avec les islamistes dans les années 2000. Il y aurait d’ailleurs un parallèle à faire avec l’Egypte post-Moubarak. Dans les deux cas, l’islam politique remporte les élections et se fait violemment réprimer par l’armée.
Le Maroc a su au contraire s’ouvrir à partir de l’avènement de Mohamed VI et inclure une partie de l’opposition. Le pays a également bénéficié du large consensus qui entoure la monarchie chérifienne. Même s’il n’est pas vraiment un monarque constitutionnel, Mohamed VI a mesuré que l’exercice du pouvoir devait changer. Contrairement à un Ben Ali ou un Kadhafi ayant conquis le pouvoir et d’autant plus accroché à celui-ci, la monarchie marocaine en a vu d’autres. Les autres régimes n’ont pas su changer d’exercice du pouvoir alors que la société évoluait.
Quels seraient pour vous les principaux indicateurs à surveiller aujourd’hui ?
Dans l’immédiat, le second tour de l’élection présidentielle tunisienne doit confirmer que les forces politiques sont capables de s’entendre pour gouverner durablement, au-delà du consensus autour de la paix civile. Béji Caid Essebssi rappelle davantage Bourguiba que Ben Ali, et est bien placé pour opérer une synthèse entre ancien régime et révolution. Marzouki, incarne la dynamique révolutionnaire. L’un souhaite terminer la révolution et tourner la page tandis que l’autre en est un visage.
En Algérie, le prochain rendez-vous est la révision constitutionnelle promise pour le premier trimestre 2015. Concernant le Maroc, le royaume est aujourd’hui dans une stratégie de long terme. Il cherche à faire fructifier sa stabilité en s’arrimant à l’Europe du Sud.
En Libye, les populations sont dépossédées de leur agenda politique par des luttes politiques régionales. Le pétrole n'en est pas l'enjeu, il intéresse avant tout les Libyens en tant que richesse dont les factions locales cherchent à s’emparer. La confrontation qui se joue en Libye concerne l’avenir politique des Frères musulmans et de leurs alliés. Saoudiens, Egyptiens et Emiratis leur sont opposés, avant tout par peur de la contagion. La Turquie au contraire veut démontrer que les Frères musulmans sont capables de s’adapter à la démocratie, sur l’exemple de l’AKP.
Enfin, les Européens doivent rester attentifs à leur obsession sécuritaire au Sahel. On voit aujourd’hui rétrospectivement à quelles compromissions ont conduit la peur tous azimuts de l’islamisme. C’est désormais le djihadisme qui fait figure de nouvel épouvantail.
Nous parlons ici de pays aux trajectoires récentes extrêmement différentes malgré leur communauté de langue et de culture. Des régimes non-démocratiques n’ont pas pu éviter d’être renversés alors que d’autres, comme la monarchie marocaine, savent se rendre très acceptables, que ce soit en «désamorçant» la contestation ou en achetant la paix civile.
Les contestations politiques maghrébines ont des origines similaires. Mais elles se sont différenciées au cours des 20 dernières années. En Libye et en Algérie, la contestation violente a plongé le pays dans la guerre civile. Habitués à être férocement réprimés, les islamistes de ces pays avaient une revanche à prendre.
Le Maroc et la Tunisie n’ont rien connu de comparable. L’islam politique tunisien notamment est d’une nature différente, bien plus modérée et consensuelle qu’ailleurs. Ennahda aurait des leçons à donner sur ce point.
Il faut surtout prendre garde à ne pas réduire les Printemps arabes aux quatre années écoulés depuis le suicide de Mohamed Bouazizi. Il est bien plus instructif de les replacer dans l’histoire postcoloniale du Maghreb. Les années 50-60 sont celles de la libération nationale ; les années 70-80 sont marquées par la contestation sociale, qui devient contestation politique à partir des années 90. Les évènements de 2011 s’inscrivent dans cette continuité.
Les acteurs politiques des Printemps arabes se mettent donc en place dès les années 90 ?
Oui, mais les régimes y ont répondu de différentes manières. Kadhafi a écrasé toute contestation sous une chape de plomb. L’Algérie a connu un coup d’Etat et une guerre civile ; puis elle a su pratiquer la carotte et le bâton avec les islamistes dans les années 2000. Il y aurait d’ailleurs un parallèle à faire avec l’Egypte post-Moubarak. Dans les deux cas, l’islam politique remporte les élections et se fait violemment réprimer par l’armée.
Le Maroc a su au contraire s’ouvrir à partir de l’avènement de Mohamed VI et inclure une partie de l’opposition. Le pays a également bénéficié du large consensus qui entoure la monarchie chérifienne. Même s’il n’est pas vraiment un monarque constitutionnel, Mohamed VI a mesuré que l’exercice du pouvoir devait changer. Contrairement à un Ben Ali ou un Kadhafi ayant conquis le pouvoir et d’autant plus accroché à celui-ci, la monarchie marocaine en a vu d’autres. Les autres régimes n’ont pas su changer d’exercice du pouvoir alors que la société évoluait.
Quels seraient pour vous les principaux indicateurs à surveiller aujourd’hui ?
Dans l’immédiat, le second tour de l’élection présidentielle tunisienne doit confirmer que les forces politiques sont capables de s’entendre pour gouverner durablement, au-delà du consensus autour de la paix civile. Béji Caid Essebssi rappelle davantage Bourguiba que Ben Ali, et est bien placé pour opérer une synthèse entre ancien régime et révolution. Marzouki, incarne la dynamique révolutionnaire. L’un souhaite terminer la révolution et tourner la page tandis que l’autre en est un visage.
En Algérie, le prochain rendez-vous est la révision constitutionnelle promise pour le premier trimestre 2015. Concernant le Maroc, le royaume est aujourd’hui dans une stratégie de long terme. Il cherche à faire fructifier sa stabilité en s’arrimant à l’Europe du Sud.
En Libye, les populations sont dépossédées de leur agenda politique par des luttes politiques régionales. Le pétrole n'en est pas l'enjeu, il intéresse avant tout les Libyens en tant que richesse dont les factions locales cherchent à s’emparer. La confrontation qui se joue en Libye concerne l’avenir politique des Frères musulmans et de leurs alliés. Saoudiens, Egyptiens et Emiratis leur sont opposés, avant tout par peur de la contagion. La Turquie au contraire veut démontrer que les Frères musulmans sont capables de s’adapter à la démocratie, sur l’exemple de l’AKP.
Enfin, les Européens doivent rester attentifs à leur obsession sécuritaire au Sahel. On voit aujourd’hui rétrospectivement à quelles compromissions ont conduit la peur tous azimuts de l’islamisme. C’est désormais le djihadisme qui fait figure de nouvel épouvantail.
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