Cet article date de plus d'un an.

Reportage Séisme au Maroc : "Trop de mes amis sont morts", raconte un collégien du village le plus gros proche de l'épicentre

Article rédigé par Béatrice Dugué, Sandrine Etoa-Andegue
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
À Talat N'Yaaqoub, tout proche de l'épicentre, le séisme a balayé tous les bâtiments. (BEATRICE DUGUE / RADIOFRANCE)
À Talat N'Yaaqoub, tout proche de l'épicentre du séisme qui a secoué le Maroc, le regard peine à trouver des bâtiments encore debout, et les habitants craignent désormais la saison des pluies, qui provoque des glissements de terrain.

Le collège Tinmel de Talat N'Yaaqoub a résisté au séisme. Et à regarder autour, le regard peine à trouver d'autres bâtiments encore debout. Dans ce village, le plus gros proche de l'épicentre, les dégâts sont massifs, bien plus encore que dans les autres zones. Les ruines ne sont qu’amas de gravats, plancher défoncé, dalles de béton à terre. Une commune dans le chaos, où les habitants affichent un regard perdu, et à laquelle il est très difficile d'accéder. Un seul axe périlleux le permet, où se croisent les secours et les habitants mobilisés, et où se succèdent les maisons déracinées, en miettes, tenant sur un fil et défiant la gravité.

>> Séisme au Maroc : le phénomène controversé des "lumières sismiques" intrigue internautes et scientifiques

"Le collège est encore debout, mais totalement craqué", constate Meriem, douze ans, en classe de sixième. Impossible de continuer à y faire classe. Comme Meriem, les enfants découvrent que leurs écoles et lycées sont inutilisables. L'atmosphère lui manque, ses amis et ses professeurs aussi.

À Talat N'Yaaqoub, rares sont les bâtiments encore debouts. (BEATRICE DUGUE / RADIOFRANCE)

Bader éprouve les mêmes sentiments. En l'absence de cours, il passe le temps comme il peut. "Aujourd'hui, j'ai joué au foot et on a cherché nos amis pour les aider. Trop de mes amis sont morts. J'ai aussi des amis qui sont blessés", raconte-t-il. Et plus les jours se succèdent, plus les élèves, les parents et le personnel découvrent ceux qui manquent. "On a perdu un enseignant dans ce séisme aussi, un professeur de physique. Il est mort", dit Zineb, la femme du surveillant du collège.

La rentrée, le retour en cours de tous ces élèves, va certainement prendre un peu de temps. Celui de retrouver des enseignants, du matériel scolaire, des manuels, des cahiers, des crayons, et surtout des locaux. Cela se fera peut-être sous une tente, à distance ou dans d'autres établissements. "Le lycée, c'est catastrophique. Je crois que, pour eux, on n'a pas de solution. Il faut les emmener dans d'autres lycées, ailleurs", regrette Zineb. Ça ne dérangerait pas Bader. "Je sais que mon collège est dans un état dangereux. Je ne suis pas sûr que je vais terminer mon école ici et je veux chercher une solution." 

Système D, "ânes et chevaux"

Lui fait partie des rares chanceux, dont la maison reste habitable, mais cinq nuits après le séisme, beaucoup de sinistrés dorment toujours à la belle étoile. "Notre souci, c'est les tentes pour au moins gérer les gens qui n'ont pas de foyer pour le moment", dit ce volontaire. Car si l’aide massive de vivres et de produits de première nécessité est arrivée à Talat N'Yaaqoub assez vite, par hélicoptères, les abris manquent. Les tentes arrivent lentement, par la route dégagée de ses éboulis par des engins de chantier. Le maire a d'ailleurs annoncé sa démission pour protester contre l'arrivée trop lente des secours.

Le campement à Talat N'Yaaqoub, avec des tentes en toile cirée distribuées par l'armée. (SANDRINE ETOA-ANDEGUE / FRANCEINFO / RADIOFRANCE)

Mercredi 13 septembre, au matin, l'éclairage public refonctionne à nouveau. "Il y a beaucoup de travail, reconnaît Mohamed, technicien pour l'Office national de l'électricité. Il y a beaucoup de câbles rompus dans les montagnes. On va faire une visite au sol pour voir les câbles, les pylônes de béton. C'est difficile pour rendre le courant." L'autre défi, c'est nourrir, vêtir les sinistrés, même ceux des lieux les plus reculés. C'est la mission que s'est fixée Hichem avec beaucoup d'énergie et de système. "C'est des vêtements qu'une association a emporté et on doit les dispatcher. Comme tu vois ces camions, ils n'arrivent pas à remonter la barre la route, il est toujours bloqué. La suite, c'est les ânes et les chevaux."

"J'aimerais descendre et oublier tout ça. Les vols de l'hélicoptère, les gens qui crient, les maisons en désastre, les gens qui sont morts ou à l'hôpital."

Hichem

à franceinfo

Amina, elle, a vu sa maison "écrasée comme une gaufrette". Elle s'est sauvée in extremis avec sa famille et elle s'occupe de sa mère 24 heures sur 24, plutôt que de faire soigner une vilaine blessure au genou gauche.

Petite victoire après trois nuits dehors : elle a récupéré une tente, au confort sommaire, qu'elle partage avec trois familles. "C'était vraiment rude de vivre dehors sans tente. Par exemple, quand les hélicoptères décollaient et atterrissaient, ils nous ont envoyé un nuage de poussière. Le matin, dans l'herbe, avec la rosée, on était trempés. Mais maintenant, avec la tente, on est vraiment à l'abri", raconte la mère de famille.

La peur des pluies, et des glissements de terrain

Des tentes d'autant plus précieuses que les températures chutent brutalement à la nuit tombée, notamment dans les zones montagneuses. Cette première quinzaine de septembre est d'habitude synonyme de fortes pluies et c'est pour bientôt, croit savoir Brahim, un berger. "Cette semaine, assure-t-il. Nous, nous voulons les tentes qui sont imperméables. S'il vous plaît."

Le village de Talat N'Yaaqoub, très proche de l'épicentre du séisme, a été presque entièrement détruit. (BEATRICE DUGUE / RADIOFRANCE)

Samira, qui a trouvé une tente légère, abonde. Elle craint les glissements de terrain. "Le problème, c'est s'il pleut. Quand il pleut, c'est la catastrophe ici. Il fait chaud pour l'instant, mais quand il pleut, c'est plus dangereux pour les gens." Zahra, qui fait la queue à une distribution de nourriture pour sa sœur et ses neveux lourdement handicapés, confirme : "Moi, ça va, mais ma mère et ma sœur ont peur de rentrer chez elles."

"Leurs maisons en terre ont beaucoup de fissures et s'effondrent à moitié. S'il se met à pleuvoir, elles vont complètement s'écrouler."

Zahra, habitante de Talat N'Yaaqoub

à franceinfo


Ces pluies qui annoncent l'hiver sont une angoisse de plus pour la mère de famille. Tentes, médicaments, vêtements chauds, elle fait appel à la générosité de tous. Bader, de son côté, s'accroche à ces livres de cours, encore intacts. "Je préfère ceux de physique ou de sciences et vie de la Terre", confie l'élève. Ceux qui peuvent expliquer pourquoi la terre tremble.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.