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Esclavage en Mauritanie: «La gangrène» sévit malgré l'abolition

Les procès se sont multipliés ces dernières années contre les militants anti-esclavagistes mauritaniens qui ne cessent de dénoncer le sort réservé «aux damnés de la terre» malgré l'abolition de la traite en 1980. Pour leur leader, Biram Dah Abeid, le noir est toujours synonyme d'esclave en Mauritanie. Il s'est confié à Géopolis.
Article rédigé par Martin Mateso
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Biram Dah Obeid, chef du mouvement anti-esclavagiste mauritanien, interpelle le président français, Emmanuel Macron, à la veille de son déplacement en Mauritanie. (Photo AFP/Seyllou Diallo)
L’abolition de l’esclavage, de la poudre aux yeux
Officiellement, l’esclavage a été aboli en Mauritanie en 1980. Il est même considéré aujourd’hui comme un crime contre l’humanité. De la poudre aux yeux, selon Biram Dah Abeid, qui dénonce une pratique largement soutenue par la communauté arabo-berbère.
 
«Toutes ces lois n’ont jamais été mises en application. Elles sont exhibées dans les forums internationaux. Les lois qui ont criminalisé l’esclavage et qui prévoient une peine de trente ans pour les esclavagistes ne sont que de la poudre aux yeux. Rien n’a été fait malgré les centaines de crimes d’esclavage que notre organisation a portées devant les tribunaux, malgré les centaines de criminels d’esclavage avérés que nous avons dénoncés aux autorités. C’est plutôt nous qui partons en prison», explique-t-il.
 
«Le maître a le droit de castrer son esclave»
Biram Dah Abeid décrit à Géopolis un système particulièrement rodé qui continue d’asservir des centaines de milliers de Mauritaniens privés de liberté. Esclaves, anciens descendants d’esclaves et toute la communauté noire sont logés à la même enseigne.
 
«Chez nous, les esclaves représentent 20% de la population. Ce sont des personnes qui naissent propriété d’autres personnes. Elles n’ont pas de papiers d’état civil. Elles n’ont pas le droit à l’éducation. Elles travaillent sans repos, sans salaire, sans soins et subissent des châtiments corporels.»
 
Et de préciser que la codification de l’esclavage a totalement consacré l’inégalité entre les communautés dans son pays. Le noir est synonyme d’esclave dont le sort dépend de la volonté de son maître, affirme-t-il.
 
«Le maître a le droit de castrer son esclave quand il est beau et qu’on peut craindre une aventure sexuelle entre lui et les filles du maître ou les femmes du maître. Ces codes autorisent qu’on castre cet esclave. Ces codes précisent que tout propriétaire d’esclaves peut disposer sexuellement de toutes les femmes qui sont ses esclaves quel que soit leur âge. C’est pourquoi parmi les fillettes esclaves que nous libérons, certaines ont été violées dès l’âge de 7 ans. Déjà à l’âge de 12 ans, 13 ans, elles ont des enfants. Elle disent avoir été régulièrement violées par leurs maîtres, par les fils de leurs maîtres ou leurs cousins».
 
Des militants anti-esclavagistes mauritaniens accueillent Biram Dah Obeid, président de l’IRA, à sa sortie de prison le 17 mai 2016.
  (Photo AFP)

«Un aveuglément pourrait conduire au chaos»
Biram Dah Abeid a choisi de mener une lutte pacifique pour arriver à ses fins. Il refuse de cautionner la violence contre le pouvoir mauritanien qu’il accuse de pratiquer un apartheid sans nom. Mais il met en garde les autorités de Nouakchott contre un aveuglément dont les conséquences pourraient être dramatiques.
 
«Je sens moi-même dans mon dos l’impatience, la frustration et le bouillonnement des jeunes des communautés déshéritées, confie-t-il à Géopolis avant de rappeler le chaos qui s’est installé sur l’île de Zanzibar, où la communauté arabe avait, par le passé, refusé toute concession aux populations noires victimes d’esclavage et de racisme.
 
«Il y a eu une révolution qui a emporté à son passage toute la minorité dominante arabe qui a été presque entièrement exterminée. Tout le contraire de ce qui s’est passé en Afrique du Sud où les Blancs dirigés par Frédéric De Clerc ont pu enclencher des mécanismes de dialogue et de remise en cause qui ont permis une déconstruction pacifique de l’apartheid sans bain de sang. Je refuse le scénario de Zanzibar», a martelé le président du Mouvement antiesclavagiste mauritanien.
 
Biram Ba Abeid compte sur le soutien de l’Europe, des Etats-Unis et des Nations Unies pour «ramener les autorités mauritaniennes à la raison». Et pour la première fois, il vient d’effectuer une tournée de sensibilisation en Afrique. Il reproche aux gouvernements africains d’avoir longtemps fermé les yeux sur l’esclavagisme qui sévit dans son pays.
 
«C’est en prison que j’ai médité l’absence des Africains. Parce qu’en prison,  j’ai reçu la visite d’ambassadeurs et de missions diplomatiques venues du monde entier, mais pas un seul représentant africain. C’est pourquoi j’ai décidé d’aller auprès des sociétés civiles africaines, des intellectuels et des artistes africains pour qu’ils secouent leur torpeur et la torpeur de leurs gouvernements vis-à-vis de cette question de l’esclavage.» 
 
Sa démarche a produit ses premiers fruits: la Commission africaine des droits de l’Homme a adopté en octobre 2016 une résolution condamnant l’Etat mauritanien «pour connivence avec les milieux esclavagistes».

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