Namibie: un génocide méconnu du début du XXe siècle
A la fin du XIXe siècle, l’Allemagne de Guillaume II, qui vient de réaliser son unité, arrive tardivement dans la course à la colonisation du continent. A la conférence de Berlin en 1885, elle se fait attribuer quelques miettes, notamment dans le sud-ouest du continent noir, l’actuelle Namibie. Une région où se sont déjà installés des commerçants allemands, «attirés par l’or et l’argent».
Berlin va alors inciter ses ressortissants à s’implanter dans sa colonie, sous l’impulsion du premier gouverneur du territoire, Heinrich Göring, père de Hermann, le futur dirigeant nazi. Des terres sont confisquées aux principales ethnies, notamment les Héréros et aux Namas. En 1904, les populations locales, lasses d’être spoliées, se révoltent, conduite par Samuel Maharero. Une révolte qui entraîne la mort de 123 colons.
Berlin envoie sur place le général Lothar von Trotha. Lequel a notamment déjà œuvré en Chine «où il a exterminé les civils chinois après la révolte des Boxers» (Le Point).
«Ordre d'anéantissement»
L’officier va alors faire connaître ses ordres dans un appel, connu aujourd’hui sous le nom d’«ordre d’anéantissement» («Vernichtungsbefehl»). Ses instructions, souvent citées, ont le mérite de la clarté : «Moi, le grand général des soldats allemands (sic), j’envoie cette lettre au peuple héréro (…). (Celui-ci) doit quitter le pays (…). (Sinon) à l’intérieur des frontières allemandes, tout Héréro sera fusillé avec ou sans fusil, avec ou sans bétail. Je ne veux plus accueillir de femmes ou d’enfants, je les rends à leur peuple ou je fais tirer sur eux». Il précise par ailleurs qu’il ne faudra «plus faire de prisonniers masculins»…
Ces ordres seront respectés à la lettre. Les Allemands parviennent à cerner les Héréros sur le plateau du Waterberg. Des milliers d’entre eux sont tués. Les autres fuient vers le désert et meurent de soif : von Trotha a fait empoisonner les puits, ce qui entraîne, là encore, la mort de milliers de personnes. Les survivants «sont enfermés dans des camps de concentration, inventés par les Espagnols lors de la révolte à Cuba (mais destinés exclusivement aux insurgés armés), puis étendus aux civils par les Anglais lors de la guerre des Boers, quelques années auparavant», rapporte Le Point.
Dans ces camps, les détenus sont tatoués avec les lettres GH, pour «Gefangene (prisonniers) hereros», selon un système qui rappelle celui ultérieurement développé par le régime nazi. Soumis à des travaux de force, ils meurent de faim.
Au service de la «science»
Dans le même temps, les Allemands vont mettre en place «un trafic de cadavres pour servir ce que l'on appelle à l'époque la "science"», rapporte Le Monde. Et de citer un historien namibien, Casper Erichsen : «Dans les camps, certains détenus étaient forcés de faire bouillir les têtes (des suppliciés), qui pouvaient être celles de leur famille ou de leurs amis, (...) puis de gratter les chairs avec des bouts de verre. Ils devaient les nettoyer afin que les crânes puissent être envoyés en Allemagne»…
Parmi les scientifiques qui travaillent sur ces crânes, on trouve notamment l’anthropologue Theodor Mollison et le médecin, anthropologue et généticien Eugen Fischer. Avec leurs recherches menées notamment dans le Sud-Ouest africain, les deux hommes entendaient «prouver la supériorité de la ‘‘race blanche’’, notamment par la mesure des crânes», rapporte Jeune Afrique. Parmi leurs élèves, le sinistre Josef Mengele, connu pour ses expérimentations médicales dans les camps nazis… L’université de médecine de la Charité à Berlin a rendu en 2011 vingt de ces crânes aux autorités namibiennes.
En 1905, une fois les Héréros exterminés, les troupes du général von Trotha se tournent contre les Namas. «Deux mille d’entre seront abandonnés sur un îlot rocheux, Shark Island (shark signifiant requin en anglais..., NDLR): ils y mourront tous», raconte Jeune Afrique. Au total, plus de 75% des premiers et 50% des seconds auraient disparu. Soit quelque 100.000 personnes. D’où, pour ces massacres, le qualificatif de «génocide», utilisé notamment par l’Américain David Bargueño, ancien de l’université de Yale. Un génocide étant, selon la définition de l’ONU, un acte «commis dans l’intention de détruire, tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux».
Depuis, l’Allemagne a reconnu ces crimes et présenté ses «regrets». Pour l’instant, on ne parle pas de dédommagements, lesquels ont été estimés à 4 milliards de dollars. L’une des raisons ? Les autorités namibiennes n’auraient pas très envie que cet argent «aille aux seuls descendants des Hereros et des Namas, ce qui pourrait bouleverser bien des rapports de force dans le pays», conclut Jeune Afrique.
Le génocide méconnu des Héréros par les colons allemands
AITV (Sophie Piard, Franck Nouailhetas, Chantal Colibert), 10 octobre 2013
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