Au Nigeria, les tentatives de suicide conduisent en prison
Une loi archaïque, héritée de la colonisation britannique, criminalise les tentatives de suicide et punit d'un an de prison ceux qui ont tenté de mettre fin à leur jours.
"C’est une honte", s’emporte Oye Gureje, professeur en psychiatrie interrogé par Nigeria News Agency. "Car une tentative de suicide est un signe de maladie mentale, et en tant que telle, cela doit être soigné comme toutes les maladies." CNN rapporte la terrible histoire d’Ugokwe, 25 ans. Après des semaines à errer à la recherche d’un boulot dans Lagos, affamé, il est bastonné par un vigile qui surveille le chantier de construction où Ugokwe cherche à se faire embaucher. C'en est trop. Le jeune homme, au bout du rouleau, humilié, se jette dans la lagune. Des pêcheurs le sauvent de la noyade et le remettent à la police. Mais il n'y aura aucune compassion pour Ugokwe. Il va passer de prison en prison, découvrant ainsi que la tentative de suicide est un crime dans son pays. "Quand ils m’ont jeté en prison, je me suis demandé : qu’ai-je fait ? Je n’ai tué personne. Je n’ai pas volé. Qu’est-ce que je fais ici ? Qu’est-ce que j’ai fait de mal ? C’est ma vie, pas celle du gouvernement."
Prison et pilules
Grâce au soutien d’une avocate membre d’une église évangéliste, Ugokwe sera libéré après trois mois de prison et relaxé des charges. "Le pire n’est pas qu’on m’a mis en prison, explique-t-il. Mais on m’a placé avec des fous. (...) Il fallait prendre des médicaments et on nous frappait si on refusait de les prendre."
Des allégations que nient les autorités. Elles font remarquer qu’en 2015, l'Etat de Lagos a amendé la loi. Mais elle n'est pas étendue au niveau national. Désormais, l’hospitalisation est une priorité, explique le procureur général de l’Etat, Adeniji Kazeem. Pourtant, selon CNN qui a mené l’enquête, arrestations et procès sont toujours fréquents à l’encontre de ceux qui ont voulu mettre fin à leurs jours.
Des suicides niés par les familles
Le suicide est un problème particulièrement stigmatisé au Nigeria. Au point que des familles cachent les conditions du décès (volontaire) d’un proche. En conséquence, les chiffres officiels sont particulièrement sous-estimés. Car il n'y a pas d'enregistrement obligatoire des décès au Nigeria, explique le professeur Oye Gureje, de l'université d'Ubadan. "Les gens peuvent donc mourir sans que personne ne sache ce qui aurait pu les tuer."
L’OMS donne un taux de 9,5 pour 100 000 habitants. Mais pour les observateurs le taux réel est bien supérieur. Le Nigeria serait le 30e pays au monde pour la prévalence du suicide et le 10e d’Afrique.
Au-delà du cas du suicide, la politique en termes de santé mentale est imprégnée de ce même archaïsme. Les médecins s’inquiètent du nombre de personnes en dépression et que le chiffre soit en constante augmentation. Les causes sont connues. La crise économique, le chômage, le plus fort taux de pauvreté au monde sont autant de facteurs pouvant conduire à une forte dépression.
Or, selon le docteur Chukwukwelu, 20% seulement des personnes en dépression reçoivent un traitement et 2% des soins appropriés. Selon ce médecin, les praticiens dans les centres de santé doivent être mieux formés pour en identifier les symptômes.
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