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Divorce annoncé entre Ennhada et Nidaa Tounès en Tunisie: est-ce si sûr?

«Nous avons décidé de nous séparer, à la demande d’Ennahda», le parti d’origine islamiste, a annoncé à la télévision le 24 septembre 2018 le président tunisien, Béji Caïd Essebsi, présenté comme l’héritier de la tradition séculière du pays et fondateur du parti Nidaa Tounès. Mais cet apparent divorce masque les divisions du camp présidentiel et les ambitions personnelles des uns et des autres…
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Le président tunisien, Béji Caïd Essebsi, et le dirigeant d'Ennahda, Rached Ghanoucchi, au siège de la présidence à Carthage, près de Tunis, le 13 juillet 2016. (FETHI BELAID / AFP)

«Les élections se tiendront à temps (...) en décembre 2019», a aussi assuré «BCJ», comme on le surnomme. Un propos qui intervient après des demandes de report des scrutins législatif et présidentiel.

Ennahda et Nidaa Tounès gouvernent ensemble le pays depuis 2014. L’alliance avait créé la surprise dans la mesure où le parti présidentiel avait été créé sur une plateforme anti-islamiste. Ce qui contribue à faire de «Nidaa», comme disent les Tunisiens, un rassemblement hétéroclite (composé notamment d’anciens partisans de la dictature Ben Ali).

Cette alliance n’en avait pas moins «grandement contribué à désamorcer la montée de la violence (salafiste, NDLR) dont la Tunisie avait connu les prémices dans les années 2012-2013», rappelle Le Monde. A une époque où certains décrivaient un pays au bord de la guerre civile. Pour autant, «cette politique dite du consensus national, saluée comme un moyen de préserver le processus issu de la révolution de 2011, a (…) paralysé l’action du gouvernement, ballotté entre des forces contraires depuis trois ans», constate de son côté Libération.

Situation sociale «de plus en plus explosive»
Pendant ce temps, le pays, rongé par la corruption, s’est enfoncé dans la crise économique et sociale. Malgré la croissance, la dette et le chômage sont au plus haut. Ce qui a entraîné de violents mouvements sociaux, notamment en janvier 2018. Aux dires de l’AFP, la «grogne sociale est de plus en plus explosive».

Le divorce entre Nidaa Tounès et Ennahda, qui se définit lui-même comme un parti «musulman démocrate», risque-t-il d’entraîner la Tunisie vers une nouvelle descente aux enfers? Il semble en fait que les choses soient un peu plus compliquées. Et que cette apparente séparation masque davantage rivalités politiques et personnelles…

Hafedh Caid Essebsi et Rachef Ghannouchi à Tunis le 20 mars 2018. (Mohamed Hammi/Sipa Press)

Après le discours présidentiel, Ennahda, qui craint de se retrouver isolé sur la scène politique tunisienne et internationale, a d'ailleurs rapidement assuré qu'il restait «favorable au consensus». De son côté, dans son discours télévisé, BCJ a, assez paradoxalement, «vanté les mérites de l’alliance avec Ennahda», explique à l'AFP le politologue Selim Kharrat, de l'ONG Al-Bawsala

Certes, «à un peu plus d'un an des élections législatives et de la présidentielle, chaque parti a intérêt à suspendre cette alliance, qui devient difficile à assumer», poursuit l’analyste. Un peu d’autonomie pourrait donc redonner de l’air à chacun des partenaires. Mais pour l’universitaire Hamza Meddeb, «ce n'est pas la fin du consensus entre islamistes et sécularistes». Mais plutôt de «la fin du consensus entre les deux cheikhs», ajoute-t-il, en référence à Béji Caïd Essebsi, bientôt 92 ans, et Rached Ghannouchi, 77 ans, le fondateur d'Ennahda. Une situation qui marque peut-être aussi le début d’un changement de génération…

Fils de son père
Car en arrière-plan se joue une lutte de pouvoir féroce et fratricide au sein du clan séculier (terme préféré en Tunisie à «laïc», souvent assimilé à «athée») entre le Premier ministre, Youssef Chahed, et le dirigeant du parti, Hafedh Caïd Essebsi… fils de son père. Le premier bat un record de longévité comme chef de gouvernement. Quant au second, il dirige Nidaa Tounès mais n'a aucun mandat.

Apparemment, le torchon brûle entre le président et son Premier ministre. En poste depuis l'été 2016, le chef de gouvernement le plus jeune de l’histoire de la Tunisie moderne (43 ans) a d’abord été présenté comme un technocrate susceptible de rassurer les marchés. Il a aussi été présenté comme proche de BCJ, donc jugé peu susceptible de lui faire de l’ombre. Mais il a su se rendre populaire en entamant une campagne anti-corruption (qui a notamment touché des politiques de Nidaa Tounès), malgré les mesures d’austérité prises par son gouvernement.

Youssef Chahid à Tunis le 4 avril 2018. L'appétit lui est-il venu en mangeant? (REUTERS/Zoubeir Souissi)

Progressivement, les tensions se sont exacerbées quand Youssef Chahed «a résisté ouvertement aux pressions exercées sur l’appareil d’Etat par Hafedh Caïd Essebsi et par son équipe de la direction de Nidaa Tounès», constate Le Monde. En clair, le père n’a pas forcément apprécié que le chef du gouvernement résiste à Essebsi Junior, dont le manque de leadership est contesté… Dans le même temps, la formation du président se déchire. Une quarantaine de ses députés ont ainsi rejoint le groupe du Premier ministre.

L’appétit vient-il en mangeant?
Dans son interview, le président a reproché à Ennahda de continuer à soutenir Youssef Chahed. Pour autant, «il n'est pas parti en guerre contre Ennahda», souligne Michaël Ayari, du centre de réflexion International Crisis Group (ICG). «Il avoue simplement à demi-mot que M.Chahed a réussi à prendre son autonomie». Une autonomie qui peut laisser penser que ce dernier nourrit de grandes ambitions politiques. Comme celle de succéder à BCJ?

Pour autant, son maintien aux affaires dépend de la position des islamistes. «Au nom de la "stabilité politique" de la Tunisie», leur parti s’est en effet opposé, jusque-là, à son départ du pouvoir, rapporte Le Monde. Alors soutenir Youssef Chahed, ou non? Ennahda est peut-être à un tournant. D’autant que malgré l’abstention, la formation de Rached Ghannouchi, très structurée, a plutôt réalisé un bon score lors des élections locales de juin 2018.

Mais les observateurs notent aussi l’abstention record (66,3%) qui a caractérisé le scrutin. Huit ans après la révolution, celle-ci a traduit la déception de nombre de Tunisiens. Et marqué «le rejet des grands partis». «Tout le monde, que cela soit Nidaa ou Ennahda, a échoué dans la gestion des questions économiques et sociales», observe l’analyste politique Hamza Meddeb. A défaut de différence majeure entre les membres de la coalition gouvernementale sur ces questions, par trop explosives, la tentation est grande de s’en éloigner. Et de faire campagne sur la place de la femme ou de la religion. Des thèmes passionnels en Tunisie, comme on l’a encore vu lors du passage des islamistes aux affaires entre 2011 et 2014. Et lors du récent débat sur l’égalité hommes-femmes en matière d’héritage.

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