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Guerre d'Algérie: le jour où des Français ont prôné le droit à l'insoumission

6 septembre 1960: «Un mouvement très important se développe en France...» C’est ainsi que commence la «Déclaration sur le droit à l'insoumission dans la guerre d'Algérie» publié ce jour-là. Ce manifeste signé par 121 personnalités aura un écho important alors que la guerre d’Algérie dure depuis quasiment six ans. Le journal «Le Monde» fait état de cet appel le 7 septembre 1960.
Article rédigé par Pierre Magnan
France Télévisions
Publié
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Une banderole proclamant «Paix en Algérie» flotte au-dessus de la foule des ouvriers de la régie Renault à Boulogne Billancourt, le 19 octobre 1960.  (AFP)

«De plus en plus nombreux, des Français sont poursuivis, emprisonnés, condamnés, pour s'être refusés à participer à cette guerre ou pour être venus en aide aux combattants algériens», affirme le manifeste.

«Nous respectons et jugeons justifié le refus de prendre les armes contre le peuple algérien. Nous respectons et jugeons justifiée la conduite des Français qui estiment de leur devoir d'apporter aide et protection aux Algériens opprimés au nom du peuple français. La cause du peuple algérien, qui contribue de façon décisive à ruiner le système colonial, est la cause de tous les hommes libres», indique le texte dans la partie la plus forte, sa conclusion.

Parmi les signataires, on trouve la fine fleur de l'intelligentsia française, Simone de Beauvoir, Jean-Louis Bory, Pierre Boulez, André Breton, Claude Lanzmann, Jean-Paul Sartre ou Simone Signoret. Au total, ils sont 121 à signer ce manifeste. 


De Gaulle: «On n'arrête pas Voltaire»
Les premiers signataires de cette défense de l'insoumission sont rapidement suivis par de nombreux autres. Certains seront sanctionnés, parfois lourdement (privés d'enseignement ou d'antenne), des journaux censurés.

En 1960, de Gaulle est au sommet de l'Etat depuis plus de deux ans. Venu au pouvoir en 1958 à l'occasion d’une crise à Alger, il n’a guère fait avancer le conflit, semblant balancer entre l’option militaire et la négociation. Alors que quelque 400.000 soldats français sont mobilisés en Algérie, la guerre fait toujours la Une de l’actualité, isolant la France sur la scène internationale. Si en Algérie les combats continuent, en métropole l'opposition à la guerre progresse. Le 5 septembre s'ouvre le procès contre le réseau Jeanson, un mouvement de soutien au FLN. 


L'appel n'est pas apprécié par le pouvoir qui fait tout pour le cacher. «Vérité-Liberté le publia, mais fut saisi. Le 14 octobre, le gérant de la publication fut, du reste, inculpé de provocation de militaires à la désobéissance; Le Monde quant à lui imprime les trois propositions finales du manifeste, et couvre l’affaire en publiant régulièrement le nombre et l’identité des nouveaux signataires. Les prises de position des personnalités françaises déclenchent de fortes réactions de l’opinion publique. Cette initiative est fustigée par une bonne partie des milieux politiques», rappelle l'historienne Aude Vassallo.

Dans les archives du Monde, on peut lire à la date du 8 septembre 1960: «Certaines des personnalités (écrivains, artistes, universitaires) qui avaient signé en juillet une "déclaration sur le droit à l'insoumission dans la guerre d'Algérie", qui vient d'être rendue publique, ont reçu la visite de fonctionnaires de la préfecture de police qui les ont priées de confirmer qu'elles avaient donné leur signature». Le lendemain, le journal annonce une «information contre X pour provocation à l'insoumission et à la désertion».

Le mathématicien Laurent Schwartz, signataire, est ainsi interdit d'enseignement sur ordre de Pierre Messmer. Sartre demande à être inculpé... Mais de Gaulle aurait affirmé: «On n'arrête pas Voltaire.»


Dans le monde, le manifeste rencontre un écho plutôt positif, mais en France l'appel soulève une vive opposition. «Une certaine classe intellectuelle française à travers un second manifeste, publié le 7 octobre dans les colonnes du Figaro, vient fustiger le précédent texte qualifié de "déclarations scandaleuses" et les auteurs qualifiés de "traîtres"», note le site algérien Memoria

Si l'insoumission n'a guère été défendue par les mouvements politiques en place – même le PC était prudent sur cette question –, des chiffres montrent que le mouvement en ce sens a été relativement important. Une thèse, signée Tramor Quemeneur, affirme qu'au total ce sont près de 15.000 jeunes Français qui ont «été insoumis, déserteurs ou objecteurs de conscience pendant la guerre d’Algérie  la même proportion de refus que celle des jeunes Américains pendant la guerre du Vietnam». Pourtant, la repression sera sévère. les Français refusant la guerre devront souvent trouver refuge à l'étranger pour de nombreuses années. 

En Algérie, l'engagement de certains de ces jeunes Français qui ont choisi de dire non à la guerre est resté dans les mémoires, comme le montre cette Une d'El Watan, qui rend hommage à Jean-Louis Hurst.


La guerre se poursuivra cependant jusqu'en 1962.

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