La Chine, créancier du continent africain
Les 3 et 4 septembre, 53 chefs d’État et de gouvernements étaient réunis à Pékin pour le 7e sommet international Chine-Afrique (FOCAC, Forum on China-Africa Cooperation, Forum sur la coopération sino-africaine), espace diplomatique et économique initié par la Chine en 2000. Véritable exercice d’influence de l’agenda international, ce sommet dépasse le cadre des relations entre la Chine et l’Afrique, envoyant un signal diplomatique fort à l’Occident, mais aussi aux grands acteurs présents en Afrique.
Une feuille de route travaillé depuis 20 ans
Avec plus d’un millier de participants attendus, le sommet témoigne de la montée en puissance des relations sino-africaines dans la continuité de la politique étrangère de Pékin à l’égard de l’ensemble du continent.
Trois principaux éléments de diplomatie ont motivé ce sommet : légitimer l’image d’un « grand pays en développement » en continuité avec la conférence de Bandung (1955), resserrer l’étau diplomatique autour de Taiwan et sécuriser les approvisionnements chinois (hydrocarbures, matières premières et produits agricoles). Ce choix politique de Pékin a progressivement pris la forme d’un réseau d’influences très diverses, représentées à l’occasion du FOCAC, une instance de coopération créée en 2000 et destinée à asseoir dans la durée l’emprise chinoise sur le continent africain et peser dans la gouvernance mondiale.
Le FOCAC est rapidement devenu le symbole des capacités et des ambitions diplomatiques chinoises faisant de l’Afrique un territoire particulièrement important dans sa politique internationale. Organisé tous les trois ans et alternant entre un pays africain et la Chine, le FOCAC a travaillé depuis près de 20 ans la feuille de route des relations sino-africaines, en matière de développements, d’investissement et de « dialogue sud-sud » en dehors de l’orbite diplomatique occidentale.
Une communauté sino-africaine
Avec pour thème « Chine et Afrique : vers une communauté de destin encore plus solide via la coopération gagnant-gagnant », ce 7e sommet a réuni la totalité des états africains, excepté le eSwatini (ex-Swaziland), dernier pays à reconnaître Taiwan, organisant ainsi un espace de dialogue sino-africain mais aussi inter-africain. Parmi les chefs d’État présents (Sall, Kagame, Al Sissi, Ouattara, Sassou N’Guesso, Ramaphosa, Buhari etc.), la participation du secrétaire général des Nations unies, Antonio Gutteres suggère l’importance de ce rendez-vous et le rôle moteur que prend la Chine dans la gouvernance mondiale.
Deux thèmes majeurs ont été discutés dans la continuité de la tournée africaine de Xi Jinping fin juillet (sa quatrième visite depuis son arrivée au pouvoir en 2012) : l’intégration des pays africains au projet de Nouvelles routes de la soie et la construction d’une « communauté sino-africaine ».
Le secrétaire général des Nations Unies déclarait la veille de l’ouverture du sommet : « la coopération sino-africaine était fondamentale pour le succès de l’Afrique », poursuivant en précisant que « c’est un moyen important pour améliorer les modèles de développement de la planète, la gouvernance mondiale et un développement sain de la mondialisation économique ».
Xi Jinping a ainsi promis une enveloppe de 60 milliards de dollars pour le développement répartie entre investissements et prêts supplémentaires (15 milliards de dollars d’aide gratuite et de prêts sans intérêts).
Le sentiment d’une Chine investissant lourdement sur le continent africain demeure cependant une perception fantasmée. Dans les faits, la présence chinoise en Afrique, bien réelle, est plus compliquée.
Avant d’être un investisseur massif, la Chine fournit surtout des marchandises et des services. Les investissements directs étrangers (IDE) de la Chine vers l’Afrique s’élèvent à 2,4 milliards de dollars en 2016 contre 2,9 milliards en 2015. Alors que la Chine est devenue en moins d’une décennie le principal créancier du continent, les incertitudes liées à l’endettement des économies africaines sont de plus en plus criantes.
Le Fonds monétaire international (FMI) met en garde un grand nombre de pays dont l’endettement s’est considérablement accru ces dernières années (l’exemple de Djibouti est le plus éloquent, sa dette publique est passée de 50 % à 85 % du PIB en deux ans), notamment là où la Chine a pu investir via son projet de Nouvelles routes de la soie. La dette auprès de Pékin atteint 132 milliards de dollars depuis vingt ans.
Les ressources naturelles aident à rembourser la dette contractée par hypothèque. Les minerais ou les hydrocarbures participent au remboursement. Ce poids économique de la Chine peut constituer des débats de politique intérieure comme l’ont montré les mécontentements des populations africaines récurrents, en particulier sur les questions d’emplois, de tissu économique et industriel, et de concurrence déloyale de la part des entreprises chinoises.
Voies ferrées et sécurité chinoises
Premier partenaire commercial du continent, la Chine investit donc peu, mais développe une présence tous azimuts, relevant d’une intelligence économique fine et d’une stratégie concertée. Les infrastructures (réseaux de transport, bâtiments, hôpitaux, ports, etc.) représentent probablement le premier secteur d’activité chinoise en Afrique.
Par exemple, les voies ferrées entre Mombasa et Nairobi, entre Djibouti et l’Éthiopie ou encore au Nigeria sont autant de réalisations d’aménagement du territoire que des initiatives stratégiques de connexions assurées par deux grands acteurs, l’EximBank et la Banque de Développement de Chine. Leurs présidents respectifs, Hu Xiaoliang et Zheng Zhijie, étaient d’ailleurs présents au sommet, signalant ainsi le poids de ces banques dans la politique étrangère de Pékin.
L’agriculture, l’industrie textile, la diplomatie culturelle mais aussi le secteur de la défense et de la sécurité connaissent un développement important via des partenariats bilatéraux venant concurrencer les puissances traditionnelles et principalement occidentales en Afrique.
L’Armée populaire de libération a tenu en juin dernier à Pékin son premier Forum sino-africain sur la défense et la sécurité, accroissant son influence auprès des acteurs africains.
L’agence Moody’s évalue a près de 2 500 entreprises chinoises installées en Afrique et 114 milliards de dollars d’échanges pour l’année 2016. Difficile à chiffrer, tant les flux démographiques sont importants et souvent sous-estimés, il y aurait plus d’un million de Chinois en Afrique.
Logique impérialiste
Pékin instrumentalise sa relation asymétrique forte avec les pays africains. Le chercheur Jean‑Pierre Cabestan suggère que « la Chine n’est pas dans une logique néo-coloniale mais davantage hégémonique, voire d’impérialisme ».
L’Afrique constitue également un marché et un espace de sous-traitance (main d’œuvre et tissu industriel dans les parcs) en écho à un appareil industriel en pleine mutation depuis la crise financière d’il y a 10 ans. La Chine souhaite prendre des parts de marché dans les télécommunications, l’industrie culturelle et plus largement le digitale via ses grands groupes Alibaba, Tencent, Huawei ou ZTE. Ces derniers jouent et joueront un rôle important dans l’équipement des réseaux des capitales africaines.
A travers une approche régionale découpée entre la façade maritime de l’océan indien (Djibouti et la base militaire, le Kenya, la Tanzanie ou encore le Rwanda), une ouverture sur l’Afrique de l’ouest et du nord (par la Méditerranée) et enfin l’Afrique australe (polarisé sur le partenaire économique et politique privilégié, membre des BRICs, l’Afrique du Sud) la diplomatie de Pékin vise à une couverture géographique de l’ensemble du continent.
Au cœur de cette stratégie repose la promotion active du projet des « nouvelles routes de la soie ». Le développement d’infrastructures portuaires, ferroviaires et routières permettrait à l’ensemble des pays africains de s’intégrer plus profondément dans les processus de mondialisation déjà en place dans la région.
Une dette utile
Face aux critiques occidentales et du FMI, Pékin souffle le chaud et le froid sur les problématique de la dette en assurant de nouveaux prêts et en promettant un investissement plus concerté. Un effort apprécié de nombreux dirigeants africains, à l’instar de Macky Sall, président sénégalais, qui a ainsi déclaré : « Tout ce que nous faisons avec la Chine – j’insiste là-dessus – est parfaitement maîtrisé, y compris le volet financier, le volet de la dette ». Le Sénégal, pays stratégique en Afrique de l’ouest pour la Chine assurera d’ailleurs la coprésidence tournante du FOCAC et accueillera le prochain sommet en 2021.
Plusieurs mémorandums ont été signés la veille du lancement du sommet, en bilatéral avec notamment la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso (récemment revenu dans le giron diplomatique de Pékin), le Gabon, le Nigeria ou le Cameroun, tous dans le cadre du projet chinois des routes de la soie.
La diplomatie chinoise, très active sur le continent n’est pas achevée et rencontre plusieurs limites. La sécurité des ressortissants, la concurrence avec les puissances occidentales, le choix varié et mondial des pays africains dans les partenariats et les mécontentements des populations africaines sont autant de défis pour la politique africaine de la Chine.
Emmanuel Véron, Enseignant-chercheur, responsable de la géographie et de la géopolitique à l’Inalco, Institut national des langues et civilisations orientales
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
Lancez la conversation
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour commenter.