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Municipales en Tunisie: le triomphe de l’abstention et de l'indifférence
Officiellement, 5.369.892 Tunisiens étaient appelés, pour la première fois le 6 mai 2018, à élire 350 conseils municipaux à travers le pays. Le scrutin n’a pas fait recette: selon les chiffres de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE), le taux de participation s’est élevé à 33,7%. La traduction du «discrédit de la classe politique», commente le quotidien «La Presse»…
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A Tunis, la participation a été encore moins importante: 26%! Selon des sondages (ou des «résultats approximatifs estimés à la sortie des urnes», selon l’expression d’un site tunisien), la liste du parti islamiste Ennahdha obtiendrait entre 25 et 27,5% des suffrages. Le parti présidentiel Nidaa Tounès ferait un score de 22-22,5% et les autres partis 14%.
Si ces enquêtes sont fiables, la candidate d'Ennahdha dans la capitale, une pharmacienne de 53 ans, Souad Abderrahim, ancienne députée et vitrine du parti, pourrait devenir la première femme maire de Tunis.
Remarquable travail de l’ISIE
L’ISIE ne confirme pas ces tendances. Et les résultats officiels ne devraient pas être publiés avant plusieurs jours.
L’Instance a tenu son pari. Et accompli un travail remarquable. Chaque bureau était encadré par ses représentants locaux. Comme les personnels mobilisés pour tenir les bureaux de vote, ils se montraient disponibles et courtois vis-à-vis des électeurs. Leurs instructions étaient suivies à la lettre, comme cette interdiction faite aux journalistes de photographier à l’intérieur des bureaux.
Le vote s’est apparemment déroulé sans incident majeur. A M’dhilla (gouvernorat de Gafsa, centre du pays), deux urnes ont été détruites dans un centre de vote. Petite anecdote: à Tunis, le ministre de l’Intérieur, Lotfi Brahem, n’a pas trouvé son nom sur la liste électorale du bureau où il souhaitait voter. Motif: «Son nom figure sur la liste des sécuritaires puisqu’il appartient au corps des gardes nationaux et qu’il devait voter dimanche 29 avril», a précisé la sourcilleuse ISIE…
L’abstention avant toute chose
Au final, c’est donc l’abstention qui l’a emporté. L’apathie que l’on constatait le 6 mai au soir dans la salle de presse du Palais des congrès à Tunis le préfigurait bien. On était loin de l’animation qui régnait dans le même lieu le 23 octobre 2011, à l’issue des élections pour l’assemblée constituante, le premier scrutin libre du pays…
Les partis politiques ne s’y sont d’ailleurs pas trompés: ils n’ont affiché aucun triomphalisme. Dans la soirée du 6 mai, vers 22h30, un cortège de voitures aux couleurs d’Ennahdha s’est bien livré à un concert de klaxons sur l’avenue Bourguiba. Mais le concert est resté sans suite. Pourtant, la formation islamiste s’est fortement mobilisée pour ce scrutin, notamment au niveau local. Elle s’était dotée d’une organisation très professionnelle: celle-ci était notamment très à l’écoute des journalistes étrangers pour qui elle organisait très rapidement des rencontres et des interviews à la demande.
Le 7 mai au matin, Tunis conservait son aspect habituel. Un aspect qu’il n’avait d’ailleurs pas quitté la veille, jour du scrutin! «Les clients en parlent peu», confirmait un marchand de journaux de la capitale.
«Dégoûté et dépité»
Les titres de La Presse ne s’y trompent d’ailleurs pas: «Le désenchantement des jeunes», «Dans l’indifférence presque totale»… «Le citoyen est on ne peut plus dégoûté et dépité de son élite politique, au point qu’il a décidé de sanctionner tout le monde au même titre. Et c’est là l’enseignement le plus important, mais aussi, le plus alarmant, des élections de ce dimanche», analyse le site tunisienumerique.com.
Nombre de Tunisiens font eux-mêmes part de leur désintérêt pour ces élections et de leur dégoût pour les politiques. «Ils sont tous pareils», résume un homme de 56 ans rencontré à Radès, banlieue populaire de Tunis. Tous, vraiment tous? «Tous! Ennahdha comme les autres», répond-il. Alors qu’en 2011, la formation islamiste avait réussi à mobiliser l’électorat populaire. Les noms pour qualifier les politiques sont parfois plus que des noms d’oiseaux. «Voleur» serait presque le terme le plus anodin…
Dans les milieux populaires, on se demande ouvertement à quoi sert la démocratie qui ne semble avoir apporté que des mots et des maux. Et l’on regrette ouvertement l’ancien dictateur Ben Ali. Quand on fait remarquer à l’homme de Radès que l’ancien régime pratiquait la corruption à une vaste échelle, il rétorque: «Il nous volait à 50%. Ceux d’aujourd’hui nous volent à 100, 120%!»
Et maintenant ? Maintenant, le personnel politique a devant lui beaucoup, beaucoup de travail pour relever le défi. On devrait plutôt dire les immenses défis auxquels est confronté le pays, entre chômage, inflation, situation économique désastreuse… Il lui faudra aussi expliquer tout l’intérêt des quelque 400 articles du Code des collectivités locales censé instituer une vraie démocratie de terrain.
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