RDC: sortir du consensus de corruption et des ficelles du mobutisme
Après l’organisation d’une bastonnade en règle des chrétiens contestataires à Kinshasa le 21 janvier 2018, le Pape s’est ému et le cardinal Monsengwo a décrit la RDC comme une « prison à ciel ouvert ». Le gouvernement belge a décidé d’arrêter sa coopération avec le régime congolais et d’attribuer son aide au développement à des organisations de la société civile et non plus au gouvernement.
Les autorités congolaises ont répliqué avec toute la panoplie des représailles diplomatiques : arrêt des activités de la coopération belge, fermeture du consulat de Lubumbashi et réduction des vols de la compagnie aérienne belge pour Kinshasa.
Tout cela ressemble à une répétition du début des années 90.
Troublantes similitudes historiques
À cette époque, le président au pouvoir, Mobutu Sese Seko, s’accrochait au pouvoir contre l’Église, la Belgique et les États-Unis – tout comme Joseph Kabila aujourd’hui. Certains protagonistes de la crise actuelle sont les mêmes : Lambert Mende, porte-parole de l’actuel gouvernement, était alors ministre de Mobutu ; Mgr Monsengwo, à la tête de la Conférence nationale puis du Haut conseil de la République, faisait déjà figure d’opposant. Le seul absent de cette nouvelle transition imposée est Étienne Tshisekedi qui est décédé au début de l’année 2017 mais dont un fils (Félix) continue de jouer un rôle dans les rangs de l’opposition.
Comme le gouvernement actuel, Mobutu utilisait la rhétorique de la souveraineté bafouée et la fibre anticoloniale contre la Belgique. Comme le gouvernement actuel, il jouait de la concurrence entre Bruxelles et Paris, incitant le gouvernement français à remplacer l’ex-puissance coloniale financièrement et militairement. Et comme le gouvernement actuel, le maréchal-président n’hésita pas à traiter par la force la contestation de l’Église (telle la marche des chrétiens le 16 février 1992).
La sortie de route constitutionnelle qui caractérise la RDC depuis la fin 2016 n’est pas non plus une première. Après avoir mis fin à la Seconde République en 1990, Mobutu est resté sept ans au pouvoir dans une sorte de transition permanente dont la conclusion a été la guerre et sa fuite pathétique. Il justifiait son maintien au pouvoir en vertu du même principe que Joseph Kabila : « Le président de la République actuellement en fonction demeure président de la République jusqu’aux prochaines élections. »
La longue agonie du régime mobutiste avec ses « transitionnaires à vie » a duré sept ans et a coûté beaucoup de vies humaines pour rien, Mobutu mourant en exil au Maroc en 1997. Contrairement à Washington et Bruxelles, Paris était resté fidèle au maréchal Mobutu et avait accueilli des barons de son régime après sa chute.
Cette histoire de la fin du XXe siècle qui se répète en ce début de XXIe siècle. Et comme à la fin du XXe siècle, cette politique a un coût humain important : d’après l’ONU, les violences ont déplacé 1,3 million de personnes en 2017 ; les violations des droits de l’homme ont augmenté de 25 % de 2016 à 2017 ; les agents de l’État sont responsables de 61 % des violations documentées en 2017, tandis que 39 % ont été perpétrées par les groupes armés ; 1 176 assassinats extrajudiciaires sont attribués aux agents de l’État en 2017.
Les vieilles ficelles du mobutisme
Condamnés à des gouvernements de passage sans la moindre consistance et à la multiplication des prétextes pour justifier l’impossibilité d’organiser des élections, les Congolais assistent – furieux et anxieux – à l’escalade de la confrontation avec le pouvoir et à cette répétition de leur histoire.
Cette répétition s’explique par le fait que Joseph Kabila recoure aux vieilles ficelles du mobutisme : les rivalités internationales, l’appui de régimes étrangers et l’instrumentalisation du désordre dans un pays-continent.
Mais, comme à l’époque de Mobutu, la raison primordiale de sa survie politique est le consensus de corruption qu’il a forgé avec des acteurs-clés du système de pouvoir au Congo.
Trois acteurs clés de la corruption
Les « services de sécurité » – armée, police et renseignement – qui ont toute latitude pour faire des affaires depuis l’arrivée de Kabila, au pouvoir en 2001, sont les grands et silencieux bénéficiaires du régime. Si tous les membres de la hiérarchie policière et militaire ne sont pas kabilistes de cœur, loin s’en faut, beaucoup le sont par le portefeuille. Ils ont, en effet, prospéré durant les années Kabila grâce aux passe-droits dont ils disposent, comme en témoignent les maisons des officiers supérieurs construites à Goma et ailleurs.
L’autre acteur du consensus de corruption est la classe politique elle-même. D’une part, en l’absence d’élections, la plupart des élus actuels évitent le vote-sanction qui les privera de leur confortable salaire ; d’autre part, une partie de l’opposition a été achetée et rachetée si souvent qu’elle n’a plus guère de crédibilité auprès de la population. Comme le dit la rue kinoise, « un politicien congolais ne s’achète pas, il se loue. »
Le troisième acteur du consensus de corruption est l’industrie minière et pétrolière. Si la RDC est vue comme un pays minier, elle est aussi un pays pétrolier. Le peu de pétrole qu’elle produit sur la côte ouest grâce à l’entreprise française Perenco a représenté à une époque pour le budget de l’État des revenus supérieurs à ceux du secteur minier.
Or les secteurs miniers et pétroliers sont la chasse gardée de quelques proches du Président et de compagnies familières des paradis fiscaux – la RDC figurant en bonne place à la fois dans les Paradise et Panama papers. Selon le Africa Progress Report piloté par Kofi Annan, cinq contrats miniers ont fait perdre à eux seuls 1,36 milliard de dollars au budget congolais entre 2010 et 2012. La récente menace d’un nouveau code minier qui taxerait davantage les compagnies minières n’est qu’un nouvel épisode des soubresauts du pacte de corruption entre le secteur et le pouvoir.
Solidarité des despotismes
Les deux voisins de l’Est (Ouganda et Rwanda) qui avaient soutenu la rébellion ayant chassé Mobutu ne sont plus enclins à ce type d’aventures. Outre les problèmes internes qui accaparent leur attention, ils sont parvenus à un modus vivendi avec le régime de Joseph Kabila.
Le réseau d’élites qui s’adonnait à l’exploitation violente des ressources naturelles à la charnière des deux siècles et avait été dénoncé en 2002 par l’ONU est maintenant en place depuis presque vingt ans. Les efforts de transparence du commerce des minerais financés par des acteurs internationaux n’ont pas permis de remettre en cause ce système de pillage des ressources naturelles de l’est de la RDC, car il repose sur une entente tacite entre les élites des deux côtés de la frontière orientale du Congo, voire au-delà.
Cette soudaine efficacité des services de sécurité des pays voisins ne peut que surprendre quand on sait que les trafics transfrontaliers (notamment entre la RDC, le Burundi et la Tanzanie) durent depuis des années.
À cette solidarité d’autocrates s’ajoute l’influence grandissante dans les affaires congolaises de l’autocratie-modèle : la Chine. Depuis la signature d’un contrat de plusieurs milliards de dollars sous la forme d’un troc « infrastructures contre minerais » en 2007, elle n’a cessé de gagner en importance dans le secteur minier et en proximité avec le pouvoir. Il faut dire que les deux sont étroitement associés : le contrat sino-congolais est géré directement par la présidence à Kinshasa dans l’opacité la plus totale.
Incapable de changer la Constitution pour rester légalement au pouvoir comme beaucoup d’autres despotes sur le continent et donc de sauver les apparences, Joseph Kabila se situe hors des normes de la politique africaine mais il reste dans la norme de l’histoire congolaise.
Pour sortir de l’impasse actuelle, il faut savoir si le dépassement du consensus de corruption est possible (comme le dit l’Église catholique en dénonçant les « anti-valeurs ») ou si ce consensus constitue – quel que soit le dirigeant au pouvoir – l’horizon indépassable de l’histoire congolaise.
Après les règnes de 32 ans de Mobutu et de 17 ans de Kabila, les Congolais ont compris que l’alternance politique est la condition nécessaire mais non suffisante du changement de gouvernance qu’ils appellent de leurs vœux depuis si longtemps et pour lequel ils ont manifesté le 25 février.
Thierry Vircoulon, Enseignant en sécurité et conflit en Afrique, Sciences Po – USPC
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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