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Tanzanie: le «bulldozer» Magufuli contre les compagnies minières occidentales
La société Acacia Mining, propriété du géant minier canadien Barrick Gold, se voit réclamer par la Tanzanie une somme de 190 milliards de dollars (163 milliards d’euros) en raison d’exportations illégales d’or, a-t-on appris le 25 juillet 2017. Elu fin 2015, le président du pays, John Magufuli, a entamé une lutte acharnée contre la corruption et le gaspillage de l’argent public.
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Dans un communiqué, Acacia «réfute» toutes les accusations, que la firme juge «sans fondement». Elle assure avoir opéré «dans le respect total de la loi tanzanienne».
Un rapport d'experts nationaux, mandatés par le président John Magufuli, a conclu en juin 2017 qu'Acacia Mining avait sous-évalué sa production pendant des années. La firme aurait ainsi évité de payer des milliards de dollars de redevances et d’impôts.
«Je demande au ministère (des Mines) de les convoquer (Acacia Mining) et de réclamer notre argent avant tout enregistrement. S'ils reconnaissent qu'ils nous volaient et qu'ils remboursent ce qu'ils ont volé, alors seulement pourront commencer les négociations pour l'enregistrement», a déclaré John Magufuli en recevant le rapport lors d'une cérémonie retransmise en direct le 12 juin 2017.
«Même le diable se moque de nous. Dieu nous a donné des minerais, plusieurs richesses naturelles et nous restons pauvres pendant que les autres s'enrichissent à nos dépens. Nous ne pouvons pas continuer comme cela», a poursuivi le président tanzanien, connu pour être un fervent chrétien.
Chute en bourse
Deux jours après ces déclarations, l’action du groupe Barrick Gold a chuté à la bourse de Londres. Le président de son conseil d’administration, John Thornton, a alors dû se rendre en urgence en Tanzanie pour discuter avec le dirigeant du pays.
Barrick Gold «est prêt à discuter avec le gouvernement tanzanien du remboursement de l'argent perdu par la Tanzanie du fait des opérations de cette société dans le pays», a indiqué la présidence tanzanienne. «La rencontre a été constructive et ouverte, les parties acceptant d'entamer des négociations pour tenter d'en venir à un règlement qui soit dans l'intérêt de tous, y compris la Tanzanie, Barrick et Acacia», selon un communiqué du groupe canadien.
Dans le même temps, John Magufuli a ordonné la révision des lois régissant l'attribution des contrats d'exploitation minière. Il a par ailleurs demandé à la justice d'interroger, voire de poursuivre, les ministres des Mines et de la Justice qui ont signé ces dernières années des contrats défavorables à l'Etat. Le ministre des Mines a, lui, été limogé.
Quatrième producteur africain d’or
En mars, les autorités tanzaniennes avaient interdit les exportations minières de minerais bruts non traités. Objectif: développer le secteur industriel local pour créer de nouveaux emplois et augmenter les revenus tirés des mines. A la suite de cette annonce, Acacia Mining a affirmé perdre un million de dollars par jour.
Le sous-sol de la Tanzanie est riche en minerais, notamment l'or, dont il est le quatrième producteur africain. Il possède les plus grandes réserves aurifères du continent après l’Afrique du Sud. Métal le plus exporté du pays, l'or est l'une de ses principales sources de devises. Dodoma, la capitale de la Tanzanie, exporte également du cuivre, du nickel, de l'argent, des diamants et d'autres pierres précieuses comme la… tanzanite.
«Avec une économie axée sur l'agriculture et l'industrie minière, la Tanzanie est une véritable mine d'or mais les Tanzaniens peinent (…) à tirer suffisamment profit de leurs ressources minières. Le secteur des mines ne représente que 3 à 4% du produit national brut (PIB) alors qu'il occupe le quart des exportations», observe La Tribune.
«Style peu consensuel, et même abrupt»
Pour les analystes de la chaîne américaine CNBCAfrica, John Magufuli a entrepris «le nettoyage du secteur minier». D’une manière générale, l’affaire d’Acacia intervient dans un contexte politique particulier. Surnommé «tingatinga» («bulldozer» en swahili), le président John Magufuli «a fait de la lutte contre la corruption et le gaspillage de l’argent public sa priorité», signale Le Monde. Il s’est montré inflexible et n’a pas hésité à limoger, outre le ministre des Mines, plusieurs directeurs d’administration. Et à se débarrasser de 10.000 fonctionnaires pour faux diplômes.
Pour autant, ce coup de balai semble s’étendre au monde politique. A tel point que «son style peu consensuel, et même abrupt, lui vaut d’être désormais qualifié d’autocrate et de populiste par ses détracteurs», signale l’AFP.
Le 5 juillet, les autorités ont ainsi fait arrêter une députée d’opposition, Halima Mdee, pour insulte au chef de l’Etat. Un autre parlementaire, Tundu Lissu, numéro deux de l’opposition, a été interpellé trois semaines plus tard pour avoir traité le président de «dictateur». Il avait aussi évoqué «un climat de peur qui règne partout». Il a été inculpé pour «discours de haine».
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