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Tunisie: à L’Ariana, fin de campagne sereine pour le parti du président Essebsi
Avec ses 114.000 habitants, L’Ariana est une ville importante de la banlieue nord de Tunis. Une ville favorisée économiquement et socialement, avec un chômage annoncé comme deux fois moins important que dans le reste du pays. Pour les municipales, la liste du parti gouvernemental Nidaa Tounès, menée par Aziza Hitra, semble avoir le vent en poupe. Reportage de notre envoyé spécial en Tunisie.
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«J’aime la Tunisie. J’aime L’Ariana.» Le slogan de la liste n°5, celle de Nidaa Tounès, s’étale un peu partout dans le local de la formation politique. Comme trône un peu partout aussi la photo du président Béji Caïd Essebsi, 90 ans. «Une figure paternelle», souligne une jeune militante. En ce 3 mai 2018 au soir, à moins de trois jours de l’ouverture de la centaine de bureaux de vote que comptera la ville, l’ambiance est décontractée. Il faut dire que les sondages prédisent la victoire de Nidaa Tounès à l’issue du scrutin (à la proportionnelle), devant les islamistes d’Ennahda (21-22%).
Pendant la campagne, les militants ont déjà distribué 25.000 tracts. Budget de campagne du parti: 25.000 dinars (environ 8.300 euros). Un budget dont le montant est contrôlé par l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE).
Ce soir, les cadres se consacrent à la formation d’une centaine d’observateurs pour la surveillance du scrutin. «Pour ces derniers jours, nous nous consacrons aussi à la logistique pour le jour du vote», explique Aziza Htira, tête de liste du parti gouvernemental. PDG du Centre de promotion des exportations, celle-ci revendique une étiquette «féministe» en raison, notamment, de son activité à la tête de l’Union de la femme tunisienne.
«Compétences»
La liste de 36 membres compte autant d’hommes que de femmes, comme l’exige la loi. «Notre moyenne d’âge est de 42 ans», annonce fièrement Anis Maazoun, numéro deux. De fait, les textes obligent à prendre au minimum 25% de personnes de moins de 35 ans. «Personnellement, je suis politisé depuis l’âge de 7 ans», raconte en riant Aya Khiari, ancienne étudiante en droit à Toulouse, troisième de liste, qui revendique fièrement (et souvent !) ses 29 ans.
«Nous avons constitué une liste de compétences: médecins, ingénieurs, architectes… Autant de gens qui ont une expérience dans la société civile, dans la gestion administrative. Elle est aussi représentative de tous les quartiers de L’Ariana», observe Aziza Htira. Le profil des candidats est donc socialement favorisé. Mais ceux-ci reflètent-ils pour autant toute la sociologie de la ville? «Il y a parmi nous une mère au foyer. Et nous avons aussi parmi nous des ouvriers et des agents administratifs», assure un militant.
L’équipe de campagne dit être sur le pont «dès 7 heures du matin». On n'en sent pas moins ici la douceur de vivre à la tunisienne. A la nuit tombée, on s’interpelle dans la rue alors que retentit l'appel à la prière du muezzin. Près d’une tente installée sur le trottoir, les distributions de tracts aux automobilistes et aux passants se font dans la bonne humeur. «On s’amuse bien», raconte un candidat.
Trahison ?
Les électeurs ont-ils des raisons d’être satisfaits? «Bon, c’est vrai que la conjoncture n’est pas facile. Notamment parce que le code des collectivités locales (près de 400 articles, NDLR) a été voté à l'Assemblée il y a seulement quelques semaines! Cela a donc été difficile de donner aux citoyens des informations précises sur le pouvoir des villes», observe la tête de liste.
Certes. Mais les électeurs peuvent être également démobilisés par une situation économique catastrophique. «Elle s’améliore. Après chaque révolution, c’est normal de voir cela. Mais cette situation est également liée à ce que la Tunisie a vécu depuis 2011», rétorque Anis Maazou, n°2 de la liste. Et la colère sociale de janvier? «Ces manifestations ont été très vite maîtrisées», assure-t-il.
Les citoyens font parfois part aux candidats de leur préoccupation face à la coalition entre le parti présidentiel et les islamistes. «Ils disent qu’on les a trahis. Mais ici, on se connaît. On sait que le futur conseil municipal sera une mosaïque. Et qu’on trouvera une solution. Une chose est sûre: nous ne ferons aucune concession sur le modèle sociétal que nous sommes en train de tirer vers le haut au niveau gouvernemental. Nous sommes le garde-fou du modèle bourguibiste. Nous sommes pour l’égalité homme-femme. Par exemple, nous refusons les queues séparées pour les deux sexes!», expliquent les leaders de la liste Nidaa Tounès.
«Ils voteront quand même pour nous»
«Il ne faut pas avoir la mémoire courte. Entre 2012 et 2014, du temps de la Troïka (quand Ennahda menait une coalition avec deux autres partis, NDLR), on trouvait des prédicateurs (extrémistes, NDLR) dans les mosquées, les jeunes partaient en Syrie!», insiste Aya Khiari. Il n'empêche, nombre d’observateurs considèrent que les Tunisiens forment le plus important contingent de djihadistes étrangers en Syrie... «Les gens ont tendance à oublier qu’avec ce gouvernement, nous sommes beaucoup plus en sécurité», assure un militant.
Et la corruption ? «Ceux qui constatent des problèmes n’ont qu’à les soumettre aux instances chargées de la combattre», répond Anis Maazoun. Et la présence, jugée parfois massive, d’anciens de la dictature Ben Ali, au sein de Nidaa Tounès? «Nous sommes en démocratie. Et s’ils ne sont pas condamnés, cela ne pose pas de problème. De plus, des personnes comme cela, il y en a dans tous les partis!», précise le numéro deux.
Ces réponses suffisent-elles aux électeurs? «C’est vrai que d’après ce que j'ai vu, environ 30% des gens s’attendaient à beaucoup mieux. Mais ils disent qu’ils voteront quand même pour nous!», assure un militant.
Programme «clair» et «complet»
A L’Ariana, en tout cas, le parti met en avant un programme «clair» et «complet». «Depuis 2011, nous avons acquis la liberté. Mais tout a été chamboulé. Et la qualité de la vie s’est détériorée», constate Aziza Htira. «Du temps de Ben Ali, on faisait respecter la loi par la force. Et les villes étaient vertes», assure-t-elle.
Lors d’un tour sur le terrain, la candidate-maire montre au journaliste de Géopolis les rues en mauvais état. Ou tel centre commercial installé en pleine ville pour lequel le promoteur a «oublié» de construire un parking souterrain. Un centre aujourd’hui fermé.
Pour autant, Mme Htira dit refuser le populisme, parce que «beaucoup de partis ne font que cela». Elle explique que «le travail municipal est le fruit d’un partenariat entre les citoyens et les élus». Histoire de montrer qu’elle est prête à assumer les responsabilités de maire.
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