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Tunisie: vives tensions politiques dans la foulée des municipales

Le mouvement d'inspiration islamiste Ennahdha a remporté le plus grand nombre de mairies à l'issue des premières municipales démocratiques de Tunisie, a annoncé le ministère des Affaires locales le 19 juillet 2018. Pendant ce temps, dans le camp du parti présidentiel, on aiguise les couteaux dans la perspective des scrutins de 2019. Et l’on évoque à voix haute le départ du chef du gouvernement…
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Le président Béji Caïd Essebsi et le Premier ministre Youssef Chahed à Tunis, le 25 juin 2018. (FETHI BELAID / AFP)

A la suite du scrutin municipal du 6 mai, les conseillers municipaux ont élu les maires dans chaque commune. A ce jour, 347 maires sur 350 ont été désignés.
           
Deuxième parti au pouvoir après Nidaa Tounès, fondé par l'actuel président Béji Caïd Essebsi, Ennahdha (qui se définit lui-même comme «musulman démocrate» et non comme «islamiste») a décroché 130 mairies, a indiqué le ministère. Les listes indépendantes arrivent en deuxième position avec 114 mairies, juste devant Nidaa Tounès, qui a remporté 80 municipalités. 23 localités ont été remportées par d'autres partis, selon la même source.

Ennahdha est notamment majoritaire dans le gouvernorat de Sfax (centre), où le mouvement dispose de 14 mairies sur 23, et dans celui de Gabès (sud), avec 11 mairies sur 16. A Tunis, une candidate du parti, Souad Abderrahim, que Géopolis avait rencontrée le 3 mai 2018 dans la capitale à trois jours des municipales, est devenue au début du mois la première femme maire de la ville.
           
20% de femmes maires
Selon l'ONG Al Bawsala, qui «observe les travaux des institutions publiques législatives et exécutives au niveau central et local» depuis la révolution de 2011, 20% des premiers magistrats des communes tunisiennes sont désormais des femmes, à la faveur d'une nouvelle loi électorale exhortant à la parité, dans l'esprit de la Constitution de 2014.
           
Les élus locaux, qui disposent de pouvoirs plus étendus que leurs prédécesseurs, devront conduire la décentralisation. Un projet crucial dans un pays où les municipalités étaient jusque-là peu autonomes, dépendantes d'une administration centrale souvent clientéliste.

Depuis la révolution de janvier 2011, elles étaient administrées par des délégations spéciales, à la gestion souvent défaillante. La tenue des municipales avait été à plusieurs reprises reportée, dans l'attente notamment de l'adoption d'un nouveau code électoral. Ces élections devaient aussi permettre d'ancrer la démocratie au niveau local, et pour les partis de renforcer leur ancrage dans les différentes régions, alors que l'année 2019 doit être marquée par la tenue d'élections législatives et présidentielle. Béji Caïd Essebsi, alias BCJ, 91 ans, n'a pas encore fait part de ses intentions.
 
Le fils de BCJ candidat à la succession de son père?
A l’approche de ces deux scrutins, le climat politique est en train de se tendre en Tunisie.

Le parti d’Essebsi, sorti vainqueur des scrutins législatif et présidentielle en 2014, est ainsi actuellement traversé par de profondes divisions. Nombre des responsables de la formation présidentielle, demandent le départ du Premier ministre Youssef Chahed, pourtant issu de leurs rangs. Ils évoquent la situation économique difficile du pays. La principale centrale syndicale UGTT est sur la même longueur d’onde.

Dans un entretien diffusé le 15 juillet par la chaîne privée Nessma TV, et qui a suscité une controverse, le président avait évoqué la piste d'une démission de Youssef Chahed. «Le chef du gouvernement doit démissionner ou aller devant le Parlement» pour que ce dernier lui renouvelle sa confiance, a dit Béji Caïd Essebsi, dans cet entretien publié par la suite sur la page Facebook officielle de la présidence.

La page Facebook de la présidence tunisienne en date du 15 juillet 2018 avec l'interview de Béji Caïd Essebsi sur la chaîne Nessma. (DR (capture d'écran))

Deux autres médias privés, la chaîne Al Hiwar Ettounsi et la radio Mosaïque FM (dont un journaliste était présent lors de l'interview), ont refusé de la diffuser. Ils accusent Nessma TV de leur avoir transmis une version tronquée de l'entretien. La Haica, instance chargée de réguler le secteur audiovisuel, s'est jointe aux critiques. Son président a jugé «aberrant» que le chef de l'Etat «réserve une déclaration, dans un contexte particulièrement important et grave, à une télévision hors la loi». En juin, la Haica avait accusé la direction de Nessma TV d'utiliser sa télévision pour «soutenir des acteurs politiques» et pour «se positionner afin d'influencer les organes de l'Etat».

Depuis deux mois, les débats politiques sur Nessma insistent principalement sur ce qui est qualifié d'«échec» du gouvernement de Youssef Chahed. Et sur «la nécessité» de son départ pour sortir de la crise politique. L'un des plus chauds partisans d'un départ du chef du gouvernement est le numéro un du parti Nidaa Tounès, Hafedh Caïd Essebsi, fils de BCJ. Depuis plusieurs années, la presse lui prête des ambitions pour la présidentielle de 2019.

Le chef du gouvernement «très isolé»
Premier ministre depuis 2016, Youssef Chahed, au départ jugé proche du chef de l’Etat, a tenté de faire repartir une machine économique très délabrée. Tout en menant ouvertement, depuis un an, une «guerre» à la corruption «généralisée» qui «sévit partout» dans le pays.  

Géopolis racontait alors: «La vague anti-corruption a commencé à toucher des politiques de Nidaa Tounès: le chef du groupe parlementaire et deux députés ont ainsi été convoqués par la justice militaire. Problème: ceux-ci sont réputés proches du chef de leur formation, Hafedh Caïd Essebsi...» Et de conclure: le Premier ministre «se retrouve très isolé». Voilà qui semble se confirmer…

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