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Présidentielle au Togo : Faure Gnassingbé en route vers un quatrième mandat

Le président sortant avait succédé en 2005 à son père, Gnassingbé Eyadema, au pouvoir depuis 1967. 

Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas - Avec AFP
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Le président sortant du Togo, Faure Gnassingbé, dans le village de Namoundjoga (nord du pays), le 17 février 2020. (PIUS UTOMI EKPEI / AFP)

Quelque 3,6 millions d'électeurs togolais sont appelés aux urnes le 22 février 2020. L'élection présidentielle devrait reconduire pour un quatrième mandat le sortant Faure Gnassingbé. La famille de ce dernier est à la tête du Togo, petit pays d'Afrique de l'Ouest, depuis plus de cinq décennies.

"Faure", tel qu'il est surnommé par ses compatriotes, a rassemblé les foules pour ses meetings, notamment dans le nord, et même dans les bastions les plus contestataires comme à Sokodé, grande ville du centre-nord. La preuve d'un appareil d'Etat bien en place, plus que d'un véritable engouement populaire pour une élection sans grand suspense... "Tous les responsables locaux sont d'Unir", le parti au pouvoir, explique à l'AFP un cadre associatif de Dapaong, dans l'extrême nord du pays. "Dire non à Unir, c'est refuser de manger", selon lui.

Conséquence : la campagne ne passionne pas les 7,8 millions de Togolais. Sans les affiches électorales qui parsèment le pays, il serait difficile d'imaginer que la présidentielle a lieu dans quelques jours à peine...

Les trois élections de "Faure" : des scrutins contestés

Après le décès de son père le 5 février 2005, le général Eyadéma Gnassingbé qui a dirigé le pays sans partage pendant 38 ans, Faure Gnassingbé a été aussitôt propulsé au pouvoir par l'armée. Il a ensuite remporté la présidentielle organisée la même année. Un scrutin contesté par l'opposition et marqué par 400 à 500 morts, selon un rapport de l'ONU"Faure" a été réélu en 2010 et 2015 lors de scrutins contestés.

Quinze ans plus tard, des dizaines, voire des centaines de milliers de personnes, sont descendues dans les rues entre 2017 et 2018 pour demander la démission du chef de l'Etat. La répression a été féroce : une quinzaine de personnes ont été tuées. Mais le Parlement a finalement approuvé une modification de la Constitution, lui permettant de se représenter en 2020 et en 2025.

Manifestation anti-Gnassingbé le 20 juin 2018 à Lomé, capitale du Togo (YANICK FOLLY / AFP)
Les organisations de défense des droits de l'Homme dénoncent régulièrement la répression des manifestations, la censure et les arrestations d'opposants. Selon la Ligue togolaise des droits de l'Homme (LTDH), cinq personnes ont été tuées, dont trois par balles, pendant de nouvelles manifestations de l'opposition entre août 2018 et avril 2019. La LTDH dénonce également l'arrestation et l'incarcération de dizaines d'opposants et manifestants. En juin 2019, le pays a organisé ses premières élections municipales depuis 32 ans, remportées par le parti au pouvoir. En août, une loi a restreint sévèrement la liberté de manifestation, officiellement pour des raisons de "sécurité" dans un contexte de "menace terroriste".

Le naufrage de l'opposition

La coalition de l'opposition, la C14, à l'origine des manifestations, empêtrée dans ses querelles intestines, n'a pas survécu au vote du Parlement permettant à "Faure" de se représenter. "L'opposition avait su créer un véritable mouvement populaire capable d'inquiéter le régime mais elle n'a pas su capitaliser ce moment", explique à l'AFP Nathaniel Olympio, président du Parti des Togolais (PT, opposition), qui regrette un "véritable gaspillage d'énergie et d'opportunités".

C'est donc divisés que se présenteront six candidats de l'opposition. Le leader historique de l'opposition Jean-Pierre Fabre, de l'Alliance nationale pour le changement (ANC), pourrait se trouver chahuté par l'ancien Premier ministre Agbéyomé Kodjo. Lequel a réussi a réussi à trouver de nombreux soutiens ces derniers mois, dont celui de l'ancien archevêque de Lomé.

Les candidats de l'opposition ont toutefois prévenu qu'ils s'uniraient pour faire barrage à Faure Gnassingbé en cas de second tour. Une stratégie qui ne plaît pas à tout le monde. "On ne veut pas aller au second tour, ça ne sert à rien de perdre du temps et de l'argent, de toute façon Faure va gagner !", s'égosillait Luc Ntami, professeur à Dapaong dans un meeting du parti au pouvoir.

Victoire annoncée sans observateurs étrangers

Ce sentiment d'une victoire annoncée est d'ailleurs partagé par un grand nombre de Togolais de l'opposition qui ne croient plus à une vraie alternance démocratique par les urnes. Plusieurs partis ont d'ailleurs décidé de boycotter le scrutin. C'est le cas du Parti national panafricain (PNP), à l'origine des manifestations de 2017 et dont des dizaines de militants ont été arrêtés, ou du PT de Nathaniel Olympio, qui affirme que "les conditions actuelles d'organisation des élections ne permettent pas la tenue d'un scrutin libre et transparent".

Militaires togolais déployés dans le village de Namoundjoga (nord du pays), le 17 février 2020 (PIUS UTOMI EKPEI / AFP)
500 observateurs de la société civile ont perdu leur accréditation, accusés d'ingérence dans le processus électoral. David Dosseh, du Front citoyen Togo debout (FCTD), a regretté également que le conseil épiscopal Justice et Paix, "qui devait déployer jusqu'à 9000 observateurs, n'ait pas non plus été accrédité". "Cela nous laisse vraiment perplexes et dubitatifs sur l'issue de ce scrutin", ajoute-t-il.

Le soutien de l'armée

Le président sortant reste soutenu par nombre de ses pairs ouest-africains et par nombre de pays étrangers. La France, ex-puissance coloniale, déployée au Sahel voisin, avec l'opération militaire Barkhane, est ainsi sensible à son action contre la menace jihadiste en Afrique de l'Ouest. Faure Gnassingbé en est parfaitement conscient et s'en sert comme un argument majeur de sa campagne. Il peut s'appuyer sur une armée disciplinée et des services de renseignements efficaces, formés notamment par les Israéliens. 

"Le Togo contribue à six opérations de maintien de la paix, principalement la Minusma (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali, NDLR), avec plus de 1 200 hommes", rappelle le site du ministère français des Affaires étrangères.

Forte croissance de l'économie d'un pays qui reste pauvre

Avec une population rurale à 60%, l'agriculture "représente 28% du PIB du pays et emploie 62,5% de la population active", selon le site expert-comptable, grâce notamment au cacao, au café et à la noix de cajou. L'industrie s'appuie sur les ressources minières (phosphates, manganèse, clinker...). Le port de Lomé est un atout majeur pour l'économie togolaise : "Il s’agit de l’un des plus grands ports de la région et le transport de marchandises vers les pays voisins a conduit à la création d’(activités) de services". Résultat : "En 2018, l'économie togolaise a connu une forte croissance (4,7%), tirée notamment par les bonnes performances du secteur portuaire, malgré la crise politique récente et la baisse des investissements publics." 

Sur le plan du développement, "Faure" peut se targuer d'avoir lancé un vaste projet d'électrification et la réfection de 4 000 km de pistes pour désenclaver les zones rurales.  

Dans ce contexte, "le taux national de pauvreté a connu un recul de près plus de 6 points, passant de 61,7% en 2006 à 55,1% en 2015. Malgré ces progrès, la pauvreté reste très élevée, surtout dans les zones rurales où 69% des ménages vivaient en dessous du seuil de pauvreté en 2015", commente de son côté la Banque mondiale. Les transferts de fonds des deux millions de Togolais vivant à l'étranger représentent environ 10% du PIB. La promesse du président de créer "plus de 500 000 emplois" semble difficilement réalisable, faute de tissu industriel important. 

Sans la stabilité et de la sécurité, "tous nos projets de développement seront compromis et remis en cause", a insisté le chef de l'Etat, en visite cette semaine sur des postes militaires à la frontière avec le Burkina Faso, très touché par le phénomène jihadiste. Et d'ajouter : "Il faut tirer les conclusions de ce qui se passe ailleurs."

Le président togolais, Faure Gnassingbé, lors d'un sommet ouest-africain à Abidjan le 12 juillet 2019 (REUTERS - LUC GNAGO / X01459)
Faure Gnassingbé, "la face 'présentable'" d'un clan qui a "confisqué" le pays

"Le chef de l'Etat sortant a longtemps incarné la face 'présentable' de la famille de feu Eyadema Gnassingbé", commente Jeune Afrique. L'homme, dont l'élection a ainsi perpétué "la confiscation du pouvoir par le clan Gnassingbé" (pour reprendre les propos de l'opposant Jean-Pierre Fabre dans La Croix), a été formé successivement au lycée militaire de Saint-Cyr (Yvelines) et à l'université Paris-Dauphine. Il a par ailleurs obtenu un MBA à l'université George Washington dans la capitale fédérale américaine.

En 2020, après trois élections contestées, il a placé sa campagne sous le signe de la réconciliation : il lui faut regagner le soutien historique dont la famille Gbassingbé bénéficiait dans le nord du pays. Lequel soutien s'est effrité depuis la répression massive des manifestations de 2017-2018.

Après 15 années passées au pouvoir, le chef de l'Etat sortant reste un personnage mystérieux, qui n'a jamais accordé une interview à la presse locale. "Il est très méfiant, il parle peu. J'ai parfois l'impression qu'il n'a confiance en personne", confie à l'AFP l'un de ses proches collaborateurs. Féru de religion, ce président célibataire est aussi connu pour être un homme à femmes et a eu de nombreux enfants et petits-enfants. Il est lui-même issu d'une fratrie qui pourrait s'élever à plus de 50 frères et sœurs.

Le clan qui gouverne le pays "s'est renforcé grâce à de nombreux mariages", comme l'observe RFI. Une famille qui a des intérêts dans de nombeux secteurs de l'économie togolaise... "Toutes les richesses du pays sont confisquées par la clique des Gbassingbé", entendait-on dire pendant les manifestations de 2017-2018... En 2019, le pays était classé 130e sur 180 pour son niveau de corruption par Transparency International. Il a cependant gagné 40 places dans le rapport Doing Business 2020, passant de la 137e à la 97e place.

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