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Le Parlement européen et les minerais de sang

Voilà un dossier qui a mis à mal les compromis souvent feutrés du Parlement européen. Ce n’est pas un dossier innocent. Entre morale et cynisme économique, entre votre téléphone portable et les femmes violées dans l’est du Congo, il s’agit de ce que l’on appelle les minerais de sang. Indispensables pour l’industrie électronique, ils sont l’objet de bien des convoitises et font bien des victimes.
Article rédigé par Dominique Voegele
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Edouard Martin, l'un des eurodéputés en pointe dans ce combat (EP-2015)

Savez-vous ce qu’est le tantale ? Un matériau qui permet à nos téléphones de vibrer. Pratique lorsque nous coupons les sonneries. Il est utilisé aussi pour la fabrication d’instruments chirurgicaux ou d’implants. Il est issu d’un minerai, la tantalite, que l’on trouve en Australie et dans le Kivu, cette région des volcans à l’est de la République démocratique du Congo. Une région qui depuis des années est à feu et à sang.
 
Encadrer les minerais de conflits
On estime que bon nombre de conflits armés dans ces zones sont dus aux bandes armées plus ou moins officielles et plus ou moins soutenues par d’autres Etats. Car ces matériaux sont source de revenus très importants et font l’objet de trafics intenses. Le contrôle d’une mine est par exemple un enjeu énorme et forte source de financement. L’idée serait donc en visant tous particulièrement quatre minerais, l’or, l’étain, le tungstène et le tantale, d’encadrer les sources d’approvisionnement de ces minerais.

Comment? En obligeant les importateurs ou les fonderies à déclarer les produits quant à leur origine. Une forme de traçabilité. C’était au départ la proposition de la Commission européenne sur la base du volontariat. Or, le Parlement européen vient de considérablement durcir ce mécanisme en l’élargissant à toute la chaîne économique jusqu’aux entreprises fabricants de produits manufacturés utilisant de tels minéraux. 800.000 entreprises européennes pourraient être concernées. Le résultat de ce vote obtenu par la gauche du Parlement européen par le biais d’un amendement réjouit Edouard Martin. L’eurodéputé socialiste et démocrate, connu pour son combat de syndicaliste, y voit une vraie victoire contre tous ceux qui pratiquent une forme de cynisme, insupportable pour lui.


C’est assez clairement un affrontement gauche-droite auquel on a assisté dans les couloirs et les travées strasbourgeoises du Parlement. Avec au centre des débats des libéraux à la fois très… libéraux sur le plan économique mais aussi souvent assez ouverts et à gauche lorsqu’il s’agit des droits de l’Homme ou de l’humanitaire. Ajoutons au tableau les eurodéputés belges sensibles de la part l’Histoire aux évènements qui peuvent se dérouler sur le territoire de l’ex-Congo belge. Enfin, et Edouard Martín y faisait allusion, le tout dernier prix Sakharov, le docteur Mukwegé avait arraché des larmes aux eurodéputés en décembre 2014. Il n’empêche, selon de nombreux parlementaires de droite et du centre ce texte en l’état est innaplicable.
 
Encore un long chemin à faire
Le vote du Parlement européen va donc à l’encontre et de la proposition de la Commission européenne et de l’avis de la commission parlementaire du commerce international. Les négociations entre les Etats, la Commission et le Parlement, ce fameux trilogue souvent peu transparent s’annonce très difficile et le dossier pourrait s’enliser. D’autant que les divergences sont telles que le Parlement européen se rend dans ce trilogue sans avoir définitivement voté le rapport en première lecture. C’est du moins l’avis de ceux qui prêchaient pour un règlement peu contraignant mais «jouable».

Il faut dire que les lobbies n’ont pas manqué de se manifester. Le Medef, le patronat français avait ainsi fait parvenir au Parlement européen une vraie feuille de route. Et Businesseurop, la représentation patronale à Bruxelles n’a que très modérément apprécié ce vote.

Les Etats-Unis ont lancé leur propre législation en 2010 à l’occasion d’une loi dite Dodd-Franck. Et devant la nécessité de déclarer les produits, certaines industries américaines n’achètent plus leur minerai en République Démocratique du Congo.
Et voilà que des voix plus ou moins bien intentionnées s’élèvent en Afrique même contre ce type de réglementation.

Espérons tout de même que l’on puisse avancer sérieusement sur ce type de dossier. Pour vous en convaincre, un dernier regard. Celui, en 2012 d’un journaliste et d’un photographe.
Le titre du livre de Christophe Boltanski, paru chez Grasset: Les esclaves du monde moderne. Sans commentaires.
 
 
 
 
 

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