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Un médicament innovant contre la maladie du sommeil grâce à une plateforme collaborative en RDC

Le Fexinidazole, médicament contre la maladie du sommeil, "constitue une avancée majeure dans le traitement" d'un mal qui sévit notamment dans les régions rurales. Des chercheurs reviennent dans The Conversation sur l’histoire de ce médicament qui, selon eux, "concourt à faire de la santé publique un bien commun".

Article rédigé par The Conversation - Stéphanie Leyronas, Benjamin Coriat, Nadège Legroux, Jean‑François Alesandrini
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
En RDC, des équipes mobiles mènent des campagnes de diagnostic, comme ici en juin 2018.  (Neil Brandvold/DNDi, CC BY-NC-ND)

En novembre 2018, l’Agence européenne du médicament a rendu un avis favorable pour l’enregistrement du Fexinidazole, un nouveau médicament contre la maladie du sommeil (ou trypanosomiase humaine africaine).

En décembre de la même année, l’agence réglementaire de la République démocratique du Congo enregistrait cette nouvelle entité chimique qui permettra d’enrayer, voire contribuera à éliminer, cette affection transmise par les mouches tsé-tsé, qui compte parmi les plus anciennes maladies tropicales.

Les conditions dans lesquelles cette molécule a été produite, singulières à bien des égards, témoignent de la puissance de l’innovation « en communs » dans le domaine de la santé publique.

La maladie du sommeil, une affection fatale

65 millions de personnes, vivant principalement au sein des régions rurales les plus pauvres et les plus reculées d’Afrique subsaharienne, sont des victimes potentielles de la maladie du sommeil.

Après une phase peu symptomatique caractérisée par des fièvres, la pathologie évolue irrémédiablement vers un stade neurologique. Les malades souffrent alors de graves perturbations du cycle du sommeil, de paralysies et d’une détérioration mentale progressive, évoluant, en l’absence de traitement, vers le coma et la mort. Les malades et leur famille sont immédiatement stigmatisés, affaiblis, incapables de travailler, ce qui accentue encore leur pauvreté.

« Un rêve de médecin », vidéo sur le combat contre la maladie du sommeil (DNDi/YouTube, 2019).

Le seul traitement disponible à ce jour reposait sur 14 perfusions, combinées à un traitement oral pendant 7 jours, nécessitant que les patients soient hospitalisés. Seule une ponction lombaire douloureuse et complexe permettait de déterminer le stade de la maladie. Difficile à transporter et à stocker, le traitement posait de vrais défis dans des zones peu accessibles.

Le Fexinidazole, en se présentant uniquement sous la forme de comprimés, constitue une avancée majeure dans le traitement de la maladie. L’histoire de ce médicament mérite qu’on s’y arrête.

Une plate-forme collaborative et ouverte

Cette molécule est l’aboutissement d’un partenariat public-privé d’un genre nouveau. C’est autour d’une plate-forme de recherche « ouverte » qu’ont collaboré la fondation internationale Initiative médicaments contre les maladies négligées (DNDi), Sanofi, géant de l’industrie pharmaceutique, et des experts originaires des pays endémiques.

Située à Kinshasa en République démocratique du Congo, cette plate-forme (appelée HAT) a permis pendant une décennie de créer ou de réhabiliter des centres d’essais cliniques, de former du personnel de santé et d’assurer le transfert de technologie et de savoir-faire.

Avec l’équipe de DNDi, les professionnels congolais de la santé ont conduit les essais cliniques et constitué les données cliniques ; ces dernières ont permis de former un dossier réglementaire, évalué et validé par l’agence européenne du médicament. Le Fexinidazole résulte ainsi d’un modèle innovant, centré sur la collaboration Nord/Sud.

Une offre thérapeutique fortement déséquilibrée

Depuis une vingtaine d’années, les maladies tropicales dites « négligées », selon la terminologie des experts de l’Organisation mondiale de la santé, ne bénéficient pas de l’attention des laboratoires pharmaceutiques. L’absence de marché et de retour sur investissement (avec les marges habituelles des laboratoires) ont dans ce domaine tari la recherche scientifique et médicale.

Au début des années 2000, l’expression « 10/90 gap » alerte sur le déséquilibre majeur des investissements de la recherche en santé en faveur des maladies touchant les pays les plus riches. Des pans immenses de la population mondiale sont laissés à l’écart des progrès scientifiques.

Jusqu’à présent, une ponction lombaire systématique était nécessaire pour déterminer le choix du traitement. (Neil Brandvold/DNDi, CC BY-NC-ND)

Cette faille de l’offre et de l’accès aux soins est dramatiquement aggravée le 1er janvier 1995 avec la signature des Accords de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, les ADPIC. Cet accord international rend obligatoire le brevetage des molécules thérapeutiques dans tous les pays signataires. Un marché mondial unifié de médicaments brevetés se met en place, au détriment des pays en développement.

Cette extension sans précédent de la propriété intellectuelle nourrit des débats vigoureux et motive la création au début des années 2 000 d’entités de développement de produits d’un nouveau type : les product development partnerships (PDP).

Laboratoires virtuels

Structures flexibles et souples, les PDPs opèrent comme des laboratoires virtuels. Elles assurent la mise en commun de compétences et de savoirs issus d’institutions privées comme publiques, pour conduire des programmes de recherche en santé publique.

Les PDPs permettent une circulation efficace des savoirs, depuis l’identification initiale de molécules possédant un potentiel thérapeutique à leur enregistrement en tant que médicament (soit une durée de développement s’étendant sur 10 à 13 ans). Ce fonctionnement en mode ouvert (ou open source) sert un objectif commun : la mise au point d’un médicament, d’un vaccin ou d’un diagnostic.

DNDI est l’un de ces partenariats. Lancée en 2003 par cinq institutions de recherche publiques originaires d’Inde, du Brésil, du Kenya, de Malaisie et de France, et avec le soutien de l’OMS, cette fondation a pour objectif de promouvoir l’innovation pour favoriser l’accès des plus pauvres à des traitements adaptés pour les maladies négligées.

Le rôle de Médecins sans frontières – autre membre fondateur de DNDI – est en ce sens crucial pour assurer le lien entre l’innovation scientifique et l’accès rapide des patients aux produits.

Xavier Vahed/DNDi, CC BY-NC-ND (Xavier Vahed/DNDi, CC BY-NC-ND)

La dynamique des communs change la donne

Bien qu’encore en phase de consolidation, le modèle de R&D proposé par DNDi bouscule déjà les pratiques qui prévalaient jusqu’ici dans l’industrie de production des médicaments.

Il place d’abord le patient au centre de ses objectifs. Sans déroger aux standards internationaux de recherche clinique, cela se traduit par des produits adaptés aux besoins et aux conditions sanitaires, abordables et distribués à prix coûtant, sans brevet, destinés au plus grand nombre et aux plus démunis. Dans cet objectif, DNDi a déployé quatre plates-formes cliniques destinées à renforcer les potentiels locaux du Sud, à l’image de celle sur la maladie du sommeil.

Comme le montre la genèse du Fexinidazole, DNDi déploie un modèle inédit qui ne va pas sans rappeler les dynamiques de communs qui se construisent autour d’une variété de ressources, naturelles (eaux souterraines, pâturages, etc.) ou informationnelles (logiciels libres, encyclopédies en libre accès, etc.). Les médicaments contre les maladies négligées sont traités comme des ressources autour desquelles DNDi et les plates-formes s’organisent en vue de leur enrichissement.

La propriété intellectuelle exclusive est ici abandonnée et remplacée par un faisceau de droits : un ensemble d’outils juridiques qui lient les partenaires, permettent l’accès à de l’information partagée et écartent les clauses d’exclusivité. En ce sens, DNDi et ses partenaires pratiquent un modèle fortement original d’innovation ouverte et en communs.

Quelles perspectives pour ces nouveaux modèles ?

DNDi a déjà mis sur le marché huit nouveaux traitements, mais le Fexinidazole est la première entité chimique complètement nouvelle et entièrement développée par l’organisation et ses partenaires. Avec ses objectifs, son fonctionnement, la gouvernance de ses projets, DNDi concourt à faire de la santé publique un bien commun.

L’efficacité des modèles pharmaceutiques traditionnels est aujourd’hui fortement questionnée : le manque de rentabilité est mis en avant par les laboratoires, malgré les prix exorbitants des nouveaux médicaments sur des pathologies comme le cancer ou l’Hépatite C par exemple. Dans ce contexte, l’aboutissement du développement du Fexinidazole montre que le modèle mis en œuvre par DNDi et ses partenaires pourrait servir d’autres expérimentations.

Après 15 ans d’expérience, DNDi élargit son champ d’action des maladies négligées aux patients négligés au Nord comme au Sud. Ce faisant, DNDi s’invite de facto à la table des grands acteurs de l’innovation pharmaceutique, pour proposer d’autres manières de faire.The Conversation

Stéphanie Leyronas, Chargée de recherche sur les communs, Agence française de développement (AFD); Benjamin Coriat, Professeur Sciences Economiques, Université Paris 13 – USPC et Nadège Legroux, Consultante en recherche sur les communs, Agence française de développement (AFD)

Jean‑François Alesandrini, conseiller auprès de la direction générale de DNDi, est co-auteur de cet article.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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