Discours de Macron au Rwanda : "C'est un moment important qui a ses limites, il n'y est pas question de justice", estime le journaliste Patrick de Saint-Exupéry
Le président français a reconnu la responsabilité de la France dans le génocide rwandais.
"C'est vraiment un moment important", réagit ce jeudi sur franceinfo le journaliste Patrick de Saint-Exupéry, après le discours d'Emmanuel Macron au Rwanda. Il "brise", selon lui, "27 ans de déni" sur le génocide des Tutsis. En revanche, le fondateur de la revue XXI estime que "comme toute parole d'État, elle a ses limites" puisqu'"il n'y est pas question de justice". Il accuse également l'ancien secrétaire général de l'Elysée Hubert Védrine de "négationnisme". "Nous arrivons au moment où il nous appartient, à nous Français, de demander qui sont les 20 responsables français qui ont mené cette politique secrète."
franceinfo : L'association de rescapés du génocide Ibuka regrette l'absence d'"excuses" d'Emmanuel Macron. Le président rwandais, lui, dit que ce discours a "plus de valeur que des excuses". Que vous inspire-t-il à vous ?
Patrick de Saint-Exupéry : C'est une parole d'État qui, en plus, est portée au Rwanda face aux Rwandais. Donc, c'est vraiment un moment important, d'autant qu'il intervient après 27 ans de déni. Ce qui se brise, en fait, ce n'est pas tellement le silence, comme le dit Emmanuel Macron, c'est plutôt la négociation qui est brisée. Maintenant, comme toute parole d'État, elle a ses limites. Il n'y est par exemple pas question de justice. Il est dit que les génocidaires réfugiés en France vont être poursuivis, mais c'est une promesse qui a déjà été faite par Nicolas Sarkozy il y a 10 ans. Il faut aussi une autre justice extrêmement importante... Celle des 20 responsables de l'État français qui ont mené cette politique secrète au nom de la France. Les Français n'étaient pas au courant. Là, nous arrivons au moment où il nous appartient, à nous Français, de demander qu'est ce qui s'est passé. Où sont-ils ? Qui sont ces responsables ?
"Seule la justice pourra trancher."
Patrick de Saint-Exupéryà franceinfo
Pourquoi cette justice n'arrive pas ?
Parce qu'il a fallu établir la vérité. Nous y arriverons avec cette parole présidentielle mais tant que la vérité était discutée, tant qu'il y avait un discours négationniste avec des arguments fous et insensés. Lorsque tout était brouillé et que de hauts responsables refusaient simplement d'examiner un génocide, la vérité était inaccessible. Aujourd'hui, elle est claire, limpide, nette. Les mots sont quand même très forts quand le chef de l'État reconnaît l'ampleur de nos responsabilités et dit que, de fait, nous avons accompagné les génocidaires dans leur travail.
Mais nous ne sommes pas complices, dit Emmanuel Macron...
Mais la complicité est une notion juridique. Seule la justice pourra trancher. Le chef de l'Etat est dans son rôle politique. Il parle au nom de la France, donc il assume la responsabilité, mais il ne peut pas dire la justice. Ça ne lui appartient pas comme ça n'appartient pas non plus à l'État rwandais, ça appartient aux Français et à la justice française.
"Je n'ai pas trouvé trace de génocide au Congo."
Patrick de Saint-Exupéryà franceinfo
Qu'avez-vous trouvé au Congo, où vous êtes parti sur les traces de responsables de l'extermination des Tutsis ?
En fait, au Congo, il y a la théorie d'un deuxième génocide qui se serait déroulé sur les responsables du premier génocide. Ce deuxième génocide aurait été commis par les victimes du premier. C'est une théorie totalement folle défendue par Hubert Védrine qui était secrétaire général de François Mitterrand et qui a une responsabilité immense dans le drame du Rwanda. Je n'ai pas trouvé trace de génocide au Congo. J'ai trouvé trace de la guerre, mais pas d'un génocide. Alors, pourquoi cette théorie a émergé ? Parce qu'elle permettait d'occulter le seul génocide, celui des Tutsis du Rwanda. Que des hommes politiques de la responsabilité d'Hubert Védrine, des intellectuels, des chercheurs, aient pu se faire l'écho de cette théorie est fascinant... Nous sommes en fait dans la pure construction du négationnisme, qui ne consiste pas forcément à nier la réalité des faits, mais à les brouiller. C'est une forme de négationnisme extrêmement sophistiqué.
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