Coronavirus au Kenya : un organisateur de safaris touristiques se transforme en bienfaiteur de familles pauvres
Le confinement imposé aux Kenyans bloque l'économie informelle qui permet habituellement aux plus pauvres de survivre. Un groupe de bénévoles leur apporte de la nourriture.
En cette saison, l'organisateur de safaris Pankaj Shah serait normalement en train de faire admirer aux touristes les beaux sites de son Kenya natal. Mais l'épidémie de coronavirus en a décidé autrement. Au lieu de cela, il a choisi de monter une équipe de bénévoles – la Team Pankaj – afin d'apporter de la nourriture à des milliers de familles sans le sou, au moment où l'économie souffre du confinement imposé par les autorités depuis fin mars 2020. "Une femme âgée nous a dit qu'elle n'avait pas mangé depuis des jours – ses fils ont cessé de l'approvisionner parce qu'ils n'ont plus de travail", se désole M. Shah, interrogé par Reuters, tout en donnant ses directives aux jeunes gens chargés d'emballer dans des cartons, paquets de riz, de farine, boîtes de haricots, lait longue conservation. Et aussi savons, fruits et légumes frais.
Mère Teresa, son guide
C'est en souvenir de Mère Teresa que l'homme d'affaires d'origine indienne s'est lancé sans hésiter dans cette action de bienfaisance. Il y a plus de trente ans, sa route a croisé celle de la religieuse catholique, engagée auprès des plus pauvres. Au sens propre. Il raconte volontiers l'anecdote : ce jour-là, la très vieille camionnette conduite par la missionnaire a perdu une roue, venue percuter sa Mercedes toute neuve. Comme dans un film, l'accident a donné naissance à une amitié solide entre un entrepreneur "jeune et sauvage", ainsi qu'il aime à décrire celui qu'il était à l'époque, et Mère Teresa, canonisée par l'Eglise en 2016. Grâce à elle, il fait alors du bénévolat pendant trois mois et adopte même une petite fille de l'un de ses orphelinats.
Aujourd'hui, l'urgence le motive plus que tout. Le Kenya a signalé son premier cas de coronavirus le 12 mars. Les écoles ont fermé la semaine suivante. Les entreprises ont cessé leurs activités, les familles ont quitté la capitale et le travail occasionnel soutenant la grande majorité des Kényans urbains s'est asséché, poussant dans la misère totale des dizaines de milliers de personnes.
Le gouvernement a offert des allègements fiscaux, mais n'apporte aucune aide à ceux qui sont trop pauvres pour payer des impôts. Les journaux ont appelé à un "verrouillage total" et les familles oubliées des bidonvilles ont commencé à mourir de faim et à protester. Comme en Afrique du Sud, où ont eu lieu des pillages de magasins, "les gens ont faim et sont en colère", explique M. Shah. Quelqu'un doit agir, a-t-il décidé. Ainsi, il a d'abord demandé à quelques amis de lui prêter main forte. Ensuite, une école locale, fermée pour cause de coronavirus venu de Chine, a été mise à la disposition de l'association. Et voilà la campagne de solidarité lancée.
Les riches Kényans mis à contribution
La communauté indienne du Kenya, aussi appelée "asiatique", – officiellement reconnue il y a trois ans comme la 44e tribu du pays – se rallie. Des chèques sont apportés, des camions de nourriture acheminés ainsi que des légumes plantés pour l'exportation, mais abandonnés faute de vols aériens. Les livraisons ont lieu chaque jour dans des lieux différents.
Les bénévoles ont distribué 24 000 paniers depuis le lancement de l'opération le 21 mars, chacun rempli de suffisamment de nourriture pour permettre à une famille de cinq personnes de tenir deux semaines.
M. Shah demande aussi aux riches Kényans de faire don de 4 000 shillings kényans chacun (l'équivalent de 38 euros) pour financer les paniers, soit le coût de deux pizzas et d'une bouteille de vin au restaurant, c'est tout, précise-t-il, impatient de voir rentrer les fonds.
Le téléphone de Pankaj Shah sonne en permanence. Au bout du fil, des gens prêts à aider, à qui, après un petit test, il confie des missions. Les principales destinations des livreurs se trouvent dans les bidonvilles, dont Kibera, Mathare Kariobangi ou Deep Sea.
"C'est l'inspiration du reste de ma vie"
Dans ces quartiers pauvres, où les habitants présentent des jetons orange afin de recevoir leur carton, les volontaires apportent une aide attentive aux femmes enceintes et aux mères de nourrissons. Ils prennent aussi le temps de les écouter et d'entendre des témoignages terribles. Comme celui de Mary Wangui, une jeune femme de 29 ans, qui avoue, désespérée : "Vous ne pouvez pas embrasser un enfant pour qu'il dorme, quand il a faim."
Au moment où lui sont rapportés ces récits, Pankaj Shah redouble d'énergie pour organiser la distribution de ses colis. "Je pense à ce qu'elle ferait", dit-il, évoquant à nouveau Mère Teresa. "C'est l'inspiration du reste de ma vie."
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