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Côte d’Ivoire : sortis de l’enfer libyen, ils subissent «une mort sociale»
«Les retournés». C’est le nom qu’on a donné aux Ivoiriens qui ont échoué dans leur projet d’émigration clandestine. Ils sont plus de 1700 à ce jour à avoir été rapatriés de Libye où ils ont été emprisonnés et maltraités par leurs geôliers. Sortis de cet enfer, ils sont stigmatisés et font l’objet de railleries au sein de leur communauté où ils ont du mal à retrouver leur place.
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«Les retournés» ivoiriens reviennent au bercail par vagues successives depuis le scandale des migrants vendus comme esclaves en Libye. Ils étaient encore quelques centaines à fouler le sol ivoirien en février dernier grâce à un pont aérien mis en place par le gouvernement ivoirien en partenariat avec l’organisation internationale pour les migrations (OMI) et l’Union européenne.
Railleries et stigmatisations
Mais le retour dans leur pays natal ne signifie pas la fin de leur calvaire. Loin de là, témoigne le sociologue ivoirien Fahiraman Rodrigue Koné qui a suivi leurs traces. Dans un rapport qui leur a été consacré et dont il est co-auteur, il déplore la stigmatisation dont ils sont victimes dans leurs communautés d’origine.
«Ne pas réussir cette migration est tragique pour ces jeunes. C’est perçu comme une mort sociale et psychologique et un déshonneur. Des discours entremêlant railleries et stigmatisations se construisent autour d’eux dans leur communauté», explique-t-il à l’AFP.
Traumatisés par l’échec de leur aventure, ils sont totalement démunis. Ils ont investi les ressources financières qu’ils avaient dans la préparation de leur voyage qui a mal tourné. Le redécollage est donc difficile dans un pays confronté au chômage des jeunes, qui sont les plus frappés par la pauvreté.
«Dans plusieurs villes, la crise des économies locales est à l’origine de ce déficit d’emploi. A Daloa, très touchée par la migration irrégulière, le déclin du tissu industriel a entraîné la fermeture d’usines. Les entreprises privées qui s’installent ne sont pas arrivées à créer une dynamique de transformation de l’économie», remarquent les auteurs du rapport qui déplorent que la croissance ne profite qu’aux élites.
Des migrants qui brouillent l’image du pays
Un constat en totale contradiction avec le visage d’un pays sorti de crise et bénéficiant de performances économiques extraordinaires, selon le gouvernement ivoirien qui communique abondamment pour attirer les investisseurs.
«Face à cette image, celle des migrants clandestins, ça ne fait pas beau», reconnaît Fahiraman Rodrigue Koné. Il prône un meilleur accompagnement de ces rescapés.
«Les plus courageux arrivent à faire face et réinvestissent dans les secteurs d’activité qui étaient les leurs avant leur départ. Cependant, leur accompagnement dans l’accès aux crédits des banques par exemple, est une nécessité. Il faut les considérer comme des actifs économiques porteurs de projets et non comme des victimes à assister», recommande-t-il.
«La pression sociale dans la construction du projet migratoire»
Le sociologue ivoirien appelle aussi ses compatriotes à un examen de conscience. Il s’adresse notamment à la communauté musulmane malinké, dont sont issus nombre de ces migrants.
«Il y a une forme de responsabilité précoce attribuée aux jeunes. Dès qu’un enfant a 15 ans, un père lui demande de ramener "quelque chose" à la maison, dans une logique de solidarité familiale. Il s’agit de familles polygames et la compétition s’engage autour des enfants.»
Cette pression sociale joue un rôle important dans la construction du projet migratoire, affirme-t-il.
Parmi les nombreux rescapés de l’enfer libyen, le gouvernement ivoirien a directement pris en charge les femmes enceintes et les enfants dès leur retour au pays. Pour l’heure, aucun mécanisme n’a été rendu public pour la réintroduction «des retournés» dans la vie active.
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