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Gabon: malades, d'anciens employés de la filiale d'Areva demandent réparation

Leur travail à la Comuf, filiale gabonaise du groupe nucléaire français Areva, est responsable de leur mauvais était de santé. Cela ne fait aucun doute pour les anciens employés de l'entreprise qui se battent pour être indemnisés depuis plus d'une décennie. En 2007, ils pensaient avoir remporté le bras de fer qui les oppose à Areva. Mais la bataille est loin d'être gagnée.
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 4 min
Un panneau indicateur cassé montre la direction de l'Observatoire de la santé de Mounana (OMS) créé par le groupe français Areva au Gabon. Censé «suivre l'état des travailleurs (de sa filiale gabonaise, la Compagnie des mines d'uranium de Franceville-Comuf), et les indemniser», il est fermé depuis 2015.  

 (AMAURY HAUCHARD / AFP)

Depuis douze ans, des centaines d'anciens travailleurs gabonais de la Compagnie des mines d'uranium de Franceville (Comuf), filiale du groupe français Areva au Gabon, réclament d'être indemnisés pour des maladies qu'ils estiment être liées à leur travail dans la mine d'uranium exploitée entre 1958 et 1999 par le groupe nucléaire à Mounana, dans le sud-est du pays.

Un collectif formé par 1.618 anciens employés gabonais de la filiale d'Areva, le Mouvement des anciens travailleurs de la Comuf (Matrac), se bat pour faire reconnaître leur cause. Contrairement aux employés gabonais, deux familles d'anciens travailleurs français de la Comuf ont été indemnisées en 2011, en France.

Dans un mail interne à la Comuf, consulté et authentifié par l'AFP auprès de plusieurs destinataires, le directeur santé d'Areva, Pierre Laroche, a admis en 2015 que «de nombreuses maladies graves ont été détectées chez des anciens salariés, comme par exemple des tuberculoses en phase contagieuse»

Pour les anciens travailleurs, ce courrier est la reconnaissance officieuse de leurs blessures, et justifie indemnisations. Même si ces maladies ne sont peut-être pas reconnues comme étant radio-induites.

Démonstration d'anciens employés de la Comuf, au Gabon, en 2010 lors d'une assemblée générale de l'Observatoire de la santé de Mounana (OSM). On peut lire sur l'une des banderolles: «Pas d'observatoire sans indemnisation». (WILS YANICK MANIENGUI / AFP)

Une première victoire
Quelques années plus tôt, les anciens employés gabonais de la Comuf pensaient avoir obtenu gain de cause. «On croyait avoir gagné», commente Moïse Massala, 82 ans, géochimiste en retraite. 

En 2007, interpellées par les anciens travailleurs, les ONG françaises Sherpa et Médecins du Monde se sont saisies du dossier. Avec la Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité (Criirad), une association privée basée à Valence (France), elles réalisent des enquêtes de terrain à Mounana, et publient un rapport dénonçant le taux élevé de cancers parmi les salariés ou ex-salariés de ces mines d'uranium au Gabon et au Niger. 

Le groupe nucléaire ouvre alors des négociations et un accord «sans précédént» est signé en octobre 2009. La multinationale accepte ainsi de créer un Observatoire de la Santé (OSM, lancé avec l'Etat gabonais), en 2010, pour «suivre l'état des travailleurs et les indemniser». Selon Areva, «aucune maladie professionnelle liée à l'exposition aux rayonnements ionisants» n'y a jamais été décelée.

Pourtant, rapportait Franceinfo, un nouveau rapport de la Criirad publié en décembre 2009 soulignait que «les mesures de 2009 confirment (...) que les logements des cadres et des ouvriers de la Comuf ont été construits avec des matériaux radioactifs». Ainsi, «les populations sont soumises à leur insu à des doses de radiation totalement injustifiées». 

Vue d'un foyer de travailleurs de la Comuf à l'abandon prise le 26 janvier 2002 à Mounana, sud-est du Gabon.  (DESIREY MINKOH / AFP)

Espoirs déçus
Aujourd'hui, les locaux de l'OSM à Mounana, à quelques kilomètres de l'ancienne mine, sont fermés, les panneaux indicateurs sont à même le sol et plus aucun travailleur gabonais n'y est suivi. Aucun d'eux n'a été indemnisé.

«L'observatoire a bien fonctionné jusqu'en 2015, il s'est adressé à près de 667 anciens salariés. Le Conseil d'administration à l'unanimité a décidé d'en suspendre l'activité» en raison du boycott par le Matrac, dit le directeur du Conseil d'administration de la Comuf, Gilles Recoché.

Qui a raison, des Gabonais qui affirment «tomber comme des mouches» à cause de leur travail à la mine ou d'Areva qui estime qu'aucune maladie professionnelle n'a été décelée? «Qu'il y ait eu de la radioactivité à Mounana, c'est une réalité. Après, à quel degré et dans quelle mesure les travailleurs ont été touchés, il sera très compliqué de l'établir», confie à l'AFP un ancien haut cadre de la mine, sous couvert d'anonymat.

Dans la loi française, qui date de 1984 et de laquelle dépend Areva et sa filiale au Gabon, 13 maladies seulement sont imputables aux rayonnements ionisants. «C'est édifiant! Le tableau de maladies professionnelles n'a pas été actualisé depuis 1984... Une aberration devant les progrès faits en médecine», estime Jacqueline Gaudet, fondatrice de l'association française Mounana, qui se bat pour l'indemnisation des anciens travailleurs expatriés de la Comuf. Elle appartient à l'une des familles françaises qui a réussi à se faire indemniser par Areva. 

Son association a fait porter deux fois à l'Assemblée nationale française une demande pour réviser le code de la Sécurité sociale, sans succès. En outre, l'association Mounana dit avoir porté plainte contre Areva devant la justice gabonaise. «Par douze fois, on a été débouté», expliquent le président du Matrac, ainsi qu'un ancien avocat du collectif.

La Comuf dément: «Il y a des discussions, des menaces, des démonstrations de forces (de la part du Matrac) pour empêcher en 2015 les consultations de l'OSM, mais à ma connaissance, je n'ai jamais eu en main de plainte officielle», rétorque Gilles Recoché. La Comuf a suspendu l'exploration de nouveaux gisements en 2017.

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