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La grippe espagnole de 1918-1919 aurait tué 2,4 millions d’Africains

La diffusion de la pandémie dans le monde entier et sa rapidité rappellent celles du coronavirus. Mais pour l'instant, on ne peut pas mettre les deux sur le même plan.

Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Malades de la grippe espagnole installés dans le Oakland Municipal Auditorium, transformé en hôpital provisoire, à Oakland (Californie, Etats-Unis) en 1918. (EDWARD A. "DOC" ROGERS/AP/SIPA / AP)

Avec le coronavirus qui s’étend dans le monde entier, on pourrait être tenté de faire le rapprochement, de par sa diffusion foudroyante, avec la fameuse épidémie de grippe espagnole en 1918-1919, à la fin de la Première guerre mondiale. Mais la comparaison s’arrête là. Car la grippe espagnole aurait touché entre un tiers et la moitié de la population mondiale, et tué entre 20, 50, voire 100 millions de personnes, selon les estimations. Soit plus de morts que durant le conflit, souvent considéré comme la "première guerre industrielle de l'Histoire" (10 millions de tués, selon un bilan approximatif).

Mutation

La pandémie de grippe espagnole est carrément qualifiée par l’historien Freddy Vinet de catastrophe sanitaire la plus grave depuis la fameuse "peste noire" de 1347-1348. A la fin des années 1990, les scientifiques ont déterminé qu’il s’agissait d’un virus grippal de type H1N1, "sans doute (…) d’origine aviaire passé probablement par des porcs", selon l’historien français Frédéric Vagneron (cité par le site de France Culture).

Un virus qui a probablement muté, aggravant la pandémie. L'apparition du "phénomène de mutation des microbes animaux en agents pathogènes humains (...) date de la révolution néolithique, quand l'être humain a commencé à détruire les habitats sauvages pour étendre les terres cultivés et à domestiquer les animaux", rapporte la journaliste américaine Sonia Shah dans Le Monde Diplomatique. Cette destruction a pour effet "une probabilité accrue de contacts proches" entre espèces naturelles et humains. Contacts qui "permettent aux microbes de passer dans notre corps, où, de bénins, ils deviennent des agents patrhogènes meurtriers"... 

Mondialisation

En 1918-1919, peu de pays sont épargnés par l'expansion du virus H1N1. Aujourd’hui encore, son origine géographique n’est pas connue. Précisons au passage que la grippe espagnole n’a d’ibère que le nom : non soumis à la censure militaire en raison de la neutralité de l’Espagne face à la guerre, les journaux du pays ont été les premiers à en parler librement. Comme point de départ, certaines sources évoquent l’Asie, d’autres les Etats-Unis. "Les premiers cas ont été répertoriés en mars 1918 dans le Kansas parmi des soldats américains. La maladie se serait ensuite propagée en Europe à la faveur de convois militaires", rapporte Sciences et Avenir. En Europe et dans le monde entier.

Propagande francaise contre l'épidemie de grippe espagnole : la maladie est representée allégoriquement sous la forme d'une figure inquiétante voyageant sur un train venu d'Orient...  (AFP - COSTA)
Sa diffusion est accélérée par les mouvements de troupes et les convois militaires du conflit mondial. Entre 400 000 et 500 000 Africains ont ainsi été transportés en Europe pour être engagés dans la guerre : tirailleurs sénégalais, Maghrébins… A l’époque, "des navires partent continuellement d’Europe vers l’Afrique, l’Amérique du Sud, les Indes, la Chine, ainsi que l’Océanie, avec à leur bord des marins grippés", note le site de Géo.

Et le continent africain ?

L’Afrique, alors colonisée par les Européens, a donc été touchée comme le reste du monde. On possède très peu de données sur la manière dont la pandémie y a sévi. Selon le Bulletin of the History of Medicine (2002), cité par le JDD, 2,4 millions de personnes seraient mortes sur le continent en raison de la grippe espagnole. Précisons-le bien, il s’agit là d'une estimation. Par ailleurs, sur le continent et en Asie, la proportion de personnes contaminées aurait "oscillé entre 30 et 80 %, du fait du faible niveau d’hygiène, de la pauvreté et de la situation démunie des colonisés", affirme l'historienne Chloé Maurel dans un article publié sur le site The Conversation.

Pour autant, les autorités coloniales ne sont pas forcément mobilisées pour stopper la propagation de la pandémie...

Une explication partielle est peut-être fournie par le chercheur canadien Myron Echenberg dans une étude (non accessible sur internet), datée de 2003 portant sur la santé au Sénégal de 1914 à 1945. "Comme l’auteur l’indique, plus que la grippe, c’est le retour de la peste bubonique, en 1914, puis en 1918-1919, qui accapare l’attention, puis la mémoire des autorités coloniales et de la population", rapporte Frédéric Vagneron (dans un dossier sur la grippe espagnole). La peste, avec tout ce qu’elle évoque dans l’inconscient collectif, notamment occidental… A l’époque, "très peu de médecins font preuve d’une compassion élémentaire devant le sort d’une population (sénégalaise) cruellement atteinte" (compte-rendu de l’étude d’Echenberg). Selon les sources, cette autre épidémie aurait alors fait entre 4000 et 8700 victimes.

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