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La poliomyélite a-t-elle vraiment été éradiquée en Afrique ?

L'AFP a annoncé, le 28 août, que la poliomyélite avait refait son apparition au Soudan après avoir été déclarée "éradiquée en Afrique" trois jours plus tôt. Si les poliovirus sauvages ont bien disparu du continent, des virus dérivés de souche vaccinale continuent à circuler.

Article rédigé par franceinfo - Julien Nguyen Dang
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Temps de lecture : 8min
Une consultante de l'Unicef administre le vaccin antipoliomyélitique oral (VPO) à un enfant à Hotoro-Kudu (Nigeria), le 22 avril 2017, dans le cadre d'une campagne de vaccination synchronisée au sein de 13 pays d'Afrique centrale et d'Afrique de l'Ouest. (PIUS UTOMI EKPEI / AFP)

"Cette journée s'inscrit en lettres d'or dans l'histoire de l'Afrique" a déclaré le 25 août Rose Gana Fomban Leke. Ce jour-là, la présidente de la Commission africaine de certification de l'éradication de la poliomyélite (ARCC) annonçait la disparition du poliovirus sauvage sur le continent. Un virus responsable de cette maladie infectieuse qui touche principalement les enfants en attaquant leur moelle épinière et qui peut provoquer dans un cas sur 200 une paralysie irréversible. Entre 5% et 10% de ces malades paralysés en meurent.

Pourtant, le 28 août, une dépêche de l'AFP largement relayée rapporte que "la polio [a] refait son apparition au Soudan après avoir disparu depuis plus d'une décennie". Seulement quelques jours après avoir été "officiellement éradiquée en Afrique", selon une autre dépêche reprise par franceinfo

L'agence de presse ajoute que "le poliovirus sauvage de type 2 a été détecté dans des prélèvements relevés dans l'Etat de Khartoum", "ce qui indique l'éventualité d'une large circulation du virus dans le pays", d'après le Bureau de coordination des Affaires humanitaires de l'ONU (Ocha). Qu'en est-il donc réellement ? La poliomyélite a-t-elle réellement disparu du continent africain ? Décryptage par la cellule Vrai ou Fake de franceinfo.

Seuls les poliovirus sauvages ont disparu d'Afrique

Alors, qu'a réellement annoncé l'ARCC le 25 août ? Selon la professeure Leke, "la région a satisfait aux critères de certification de l'éradication du poliovirus sauvage", rapporte l'Organisation mondiale de la santé (OMS). En clair, aucune infection à l'un des trois types de poliovirus sauvage n'a été identifiée en Afrique "depuis quatre ans". Deux d'entre eux (les types 2 et 3) ont d'ailleurs été déclarés éradiqués au niveau mondial, respectivement en 2015 et en 2019, précise le rapport (PDF) de la 70e session de l'OMS pour l'Afrique*. "Depuis 1996, les efforts d'éradication de la poliomyélite ont permis d'éviter une paralysie invalidante irréversible à 1,8 million d'enfants et de sauver près de 180 000 vies", précise un communiqué de l'ONU.

"Nous devons toutefois rester vigilants (…) et maintenir les taux de vaccination actuels pour faire face à la menace persistante d'un poliovirus dérivé d'une souche vaccinale", a nuancé Matshidiso Moeti, directrice régionale de l'OMS pour l'Afrique, dans le communiqué du 25 août. Car voilà le fond du problème : bien que les poliovirus dits "sauvages" soient désormais éradiqués en Afrique, il subsiste des virus dérivés d'une souche vaccinale ayant muté de manière fortuite au contact de populations peu ou pas vaccinées. Des poliovirus très rares mais qui, eux aussi, peuvent provoquer des paralysies. La poliomyélite n'a donc pas été totalement éliminée du continent.

Des mutations favorisées par la sous-vaccination

Comment est-ce possible ? Administré à l'échelle du continent africain, le vaccin antipoliomyélitique oral (VPO) permet de protéger les enfants d'une infection au poliovirus, un virus très contagieux qui pénètre dans l'organisme par la bouche via de l'eau, des aliments ou des objets contaminés par les selles d'une personne infectée. Après avoir été vaccinés, les enfants sécrètent des anticorps et rejettent également dans leurs excréments le virus atténué contenu dans le VPO. Dans les zones où l'assainissement est insuffisant, ce virus d'origine vaccinale, donc affaibli, peut alors se propager et même conférer une immunité aux autres enfants : c'est "l'immunité passive".

Néanmoins, le virus atténué peut continuer à se répandre et muter au fil du temps, ce qui n'est pas sans risque dans les régions où la couverture vaccinale est faible. "Dans de très rares cas", après "au moins 12 mois", il "acquiert la capacité de provoquer une paralysie et il est devenu ce que l'on appelle un poliovirus circulant dérivé d'une souche vaccinale (PVDVc)", explique l'OMS. Dans 90% des cas, ces poliovirus sont dus au composant de type 2.

Mais le problème ne vient "pas du vaccin lui-même", insiste l'organisation : une population "bien immunisée" est en effet protégée à la fois contre les poliovirus sauvages et contre ceux dérivés de souches vaccinales. "La poliomyélite représente pour les enfants un risque bien supérieur à celui associé au vaccin antipoliomyélite", l'un des "plus sûrs jamais mis au point", qui a permis à "cinq millions d'enfants d'échapper à une paralysie permanente", défend l'OMS.

Ce sont précisément ces poliovirus issus de mutations qui ont été repérés au Soudan dès le 9 août (et non le 28), alors qu'aucun foyer de polio n'y avait été identifié depuis plus d'une décennie. "Au moins 13 cas" ont été signalés dans l'est et le sud-ouest du pays, ont rapporté l'Ocha* puis l'OMS*, faisant craindre le pire pour les jeunes Soudanais.

Le poliovirus sauvage ne circule plus qu'au Pakistan et en Afghanistan

En plus de ces cas, trois "échantillons environnementaux" provenant de l'Etat de Khartoum se sont révélés positifs au poliovirus de type 2 dérivé de souche vaccinale (PVDVc2), indique l'OMS*. Il s'agissait de prélèvements d'eaux usées réalisés à des fins de surveillance. De quoi indiquer "une possible circulation étendue du virus au sein du pays", craint l'Ocha. "Cela ne signifie pas nécessairement" que des enfants ont été paralysés dans la région, précise l'OMS à franceinfo, seulement que "quelqu'un est infecté" et diffuse le virus. Mais en aucune manière il ne s'agit du poliovirus sauvage de type 2, comme l'a pourtant avancé l'AFP : "Les seuls endroits où le virus sauvage persiste sont le Pakistan et l'Afghanistan", confirme l'organisation.

L'apparition de nouveaux cas au Soudan ne contredit donc en rien l'annonce de l'éradication des poliovirus sauvages en Afrique faite le 25 août. Cela n'en suscite pas moins l'inquiétude : près de 9 millions de Soudanais âgés de moins de 5 ans devraient faire l'objet d'une campagne de vaccination de masse, rapporte l'Ocha*, pour un coût d'"environ 20 millions de dollars".

Une situation qui rappelle "la hausse du nombre de flambées épidémiques" dues à ces virus dérivés à l'échelle du continent, rapporte l'OMS dans un rapport (PDF). D'après l'organisation*, 172 cas dus au poliovirus dérivé de souche vaccinale de type 2 (PVDVc2) ont été identifiés en 2020 dans 14 pays africains, et 894 depuis 2001*.

Pour contrer le PVDVc2, l'Initiative mondiale pour l'éradication de la poliomyélite (PDF) mise notamment sur le développement d'un nouveau vaccin, le nVPO2, plus stable génétiquement, pour réduire le risque de mutations. Deux cents millions de doses devraient être prêtes à la fin de l'année 2020, prévoit l'organisation (PDF).

* Ces liens renvoient vers des articles en anglais.

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