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Mandat d'arrêt contre Omar el-Béchir: la CPI demande des explications à Pretoria

Alors que les pays africains questionnent sa légitimité, la CPI se lance dans une séance de demande d'explication à l'Afrique du Sud qui n'a pas exécuté en 2015 le mandat d'arrêt international contre le président soudanais Omar el-Béchir.
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Portrait du président soudanais Omar el-Béchir sur une carte, où il est écrit «recherché, lors d'une manifestation le 4 mars 2009 à New York, en prélude à la décision de la CPI de lancer un mandat d'arrêt international contre le chef d'Etat.  (DON EMMERT / AFP)

L’Afrique du Sud est convoquée vendredi 7 avril 2017 à une audience publique par la Cour pénale internationale (CPI). Pretoria est priée d’expliquer sa décision de ne pas arrêter le président soudanais Omar el-Béchir en 2015 alors qu’il était sous le coup d’un mandat international. 

A l’issue de l’audience, la CPI devra dire si les autorités sud-africaines n’ont pas rempli leurs obligations vis-à-vis du traité de Rome, fondateur de la juridiction internationale, et éventuellement «en référer à l’Assemblée des Etats parties et/ou au Conseil de sécurité en application de l’article 87-7 du Statut». 

Le président soudanais Omar el-Béchir (à gauche, en costume bleu) salué par son homologue zimbabwéen Robert Mugarbe (de dos, en noir), président en exercice de l'Union africaine (UA), lors du 25e sommet de l'organisation panafricaine le 14 juin 2015. Le chef d'Etat soudanais s'est rendu en Afrique du Sud alors qu'il fait l'objet d'un mandat d'arrêt international lancé par la Cour pénale internationale (CPI). (AFP PHOTO / GIANLUIGI GUERCIA)

Rappel à l'ordre
A la suite de l’incident de 2015, Pretoria avait décidé de se retirer de la CPI et participé à une croisade pour convaincre les pays membres de l’organisation panafricaine d'en faire autant. Un appel qui n’a pas fait l’unanimité et rencontré l’opposition de certains pays, notamment le Nigeria et la Côte d’Ivoire.

«Les pays qui sont opposés (à la démarche) sont des pays qui connaissent des conflits, la plupart sont en Afrique de l’Ouest (…). L’ancien président de la Côte d’Ivoire, Laurent Gbagbo, est jugé par la CPI dans le cadre de la crise de 2011 (…). De l’autre côté, les Etats qui sont favorables à un retrait collectif et qui sont à la tête du mouvement comme l’Afrique du Sud sont ceux pour qui un conflit peut être résolu à l'amiable (…). Pour ces derniers, le maintien d'un environnement pacifique devrait primer sur la justice», a expliqué Frank Lekaba, chercheur à l’African Institute of South Africa au micro de la radio sud-africaine SABC.

Le président kenyan Uhuru Kenyatta au sommet de l'Union africaine à Addis Abeba, le 29 janvier 2016. C'est lui qui propose aux pays africains de se retirer de la CPI. (Photo AFP/ Tony Karumba)

Aujourd'hui, des trois pays (Afrique du Sud, Burundi et Gambie) qui souhaitaient se retirer de la CPI, il ne reste que le Burundi. La justice sud-africaine a jugé le retrait de Pretoria inconstitutionnel. Le pays a fait les dermarches nécessaires début mars 2017 pour revenir sur sa requête. La Gambie, quant à elle, a un nouveau président qui ne souhaite pas dénoncer le Statut de Rome.    

Un éventuel rappel à l’ordre de la CPI à l'Afrique du Sud constituerait une mesure dissuasive alors que le conflit ouvert entre la Cour et les pays africains affaiblit une juridiction qui leur doit son existence – leur vote a été crucial en 1998 où le Statut a été adopté – et sa raison d’être.  

Destins liés
Pour Adam Branch, enseignant à l’université de Cambridge et spécialiste des questions africaines, l’opposition actuelle des pays africains à la CPI est le reflet du dilemme auquel elle est confrontée. «Sans l’Afrique, la CPI n’aurait pas survécu dans le monde post 11-Septembre»estime le chercheur. «L'Afrique s'est avérée être la cible parfaite pour les premières affaires de la CPI»

Instruire des affaires sur le continent africain, politiquement marginalisé et où des actes de barbarie ont été effectivement commis, aurait ainsi permis à la Cour de ne pas être en porte-à-faux avec les intérêts américains. Washington, n'a pas ratifié le traité de Rome, pouvait ainsi guerroyer au Moyen-Orient et la CPI bénéficier de la nécessaire coopération des Etats pour conduire ses missions.

En outre, «les pays africains étaient ravis de coopérer avec la CPI tant qu’elle servait leurs intérêts (arrestations de chefs rebelles), poursuit Adama Branch. Mais quand le tribunal s’est retourné contre eux (les dirigeants comme Omar el-Béchir), les accusations de néocolonialisme se sont fait jour.» 

L’enseignant souligne néanmoins que la CPI a toujours eu le soutien des organisations africaines de défense de droits humains. Ainsi nombre d'elles sont montées au créneau en Afrique du Sud pour demander l’arrestation du président soudanais en 2015. Selon elles, en se dérobant, leur gouvernement a trahi les valeurs de l’Afrique du Sud au regard de son Histoire.

«La CPI semble capable de ne poursuivre que des rebelles africains qui ont été arrêtés grâce aux pouvoirs en place ou des anciens chefs d’Etats africains renversés à la suite d’interventions militaires occidentales», conclut Adam Branch. 

Le siège de la Cour pénale internationale à La Haye aux Pays-Bas. ( Mike Corder/AP/SIPA)

Jeux de pouvoir
Cependant, l’Afrique du Sud doit fournir des explications à la CPI alors qu'elle n’est pas le premier pays africain à avoir laissé s’échapper le président soudanais. Le Tchad et le Kenya, en 2010, et le Nigeria, en 2013, n'avaient pas non plus exécuté le mandat d'arrêt de la CPI contre Omar el-Béchir. Ces pays, qui ont été des membres non-permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies, ont suivi la doctrine de l'Union africaine mais certains sont également des alliés de Washington. 

Pour certains observateurs, la non-arrestation d’Omar el-Béchir relève des stratégies politiques des Etats qui siègent au Conseil de sécurité: la Chine et la Russie sont des alliés du régime soudanais.

De même, trois (Etats-Unis, Chine et Russie) des cinq membres de l'organe des Nations Unies n'ont pas signé ou ratifié le traité de Rome mais ils utilisent la CPI pour servir leurs intérêts géostratégiques. Le Conseil de sécurité peut saisir la CPI. Ainsi, rapporte le New York Times, la France a tenté de faire intervenir la juridiction internationale dans le dossier syrien. En vain. La motion était soutenue par les Etats-Unis mais la Russie a fait usage de son droit de veto.

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