Crise politique en Tunisie : "L'absence de majorité claire" au pouvoir nourrit "le blocage institutionnel", explique un chercheur
Selon Béligh Nabli, la pandémie a "aggravé" les "défaillances politiques et étatiques" du pays.
"L'absence de majorité politique claire" nourrit "le blocage institutionnel" en Tunisie, a expliqué lundi 26 juillet sur franceinfo Béligh Nabli, chercheur associé au Centre de recherches internationales (CERI) de Sciences Po. Il réagissait à la crise politique dans laquelle est plongée la Tunisie : dimanche, le président Kaïs Saïed décidait de geler les travaux du Parlement et de limoger le Premier ministre Hichem Mechichi à la suite de manifestations dans de nombreuses villes du pays. Selon le spécialiste, la pandémie a notamment contribué à révéler "les défaillances politiques et étatiques" de la Tunisie. "Avec le coup de force actuel, c'est le versant présidentiel qui semble prendre le pas" sur le parlementaire dans ce régime à la "nature complexe et hybride", a-t-il ajouté.
franceinfo : Sommes-nous dans une forme de coup de force ?
Béligh Nabli : C'est un coup de force du point de vue de l'interprétation de la Constitution. Mais ce n'est pas un coup de force militaire a priori. C'est pourquoi il faut faire attention et prendre peut-être un peu de recul, voir l'évolution de la situation, notamment du point de vue du palais de Carthage, des décisions que va prendre le président en fonction de l'évolution de la situation.
La pandémie a-t-elle été un révélateur de la situation sociale ?
La Tunisie était déjà dans une situation économique et sociale très éprouvée, la pandémie l'a aggravée. La paralysie institutionnelle et politique a pris une dimension nouvelle : la pandémie a révélé les défaillances politiques et étatiques. A partir de là, il y a eu une remobilisation populaire pour mettre en avant la responsabilité des politiques en général et du principal parti non pas au pouvoir mais à l'Assemblée, à savoir Ennahda, le parti islamo-conservateur. Ce qui est assez remarquable c'est que la première vague de la pandémie n'a pas atteint la Tunisie. Les politiques ont donc été relativement épargnés. En revanche, lorsque la pandémie a commencé dans un deuxième et dans un troisième temps à être virulente à l'égard de la population tunisienne, là l'espèce de blocage institutionnel et politique a abouti à l'absence de décision pour faire face à la pandémie. C'est ce qui a nourri la colère populaire : l'incapacité des trois têtes du pouvoir politique (le pouvoir présidentiel, le pouvoir du Premier ministre et le pouvoir parlementaire) à faire face à la pandémie a finalement nourri notamment hier les manifestations populaires qui sont d'ailleurs intervenues le jour même de la fête de la République.
Il y a donc une lutte de pouvoir entre des partis qui sont tous un peu faibles ?
Le blocage institutionnel et politique s'explique en effet en grande partie par le fait qu'à l'Assemblée parlementaire, il n'y a pas de majorité claire qui puisse à la fois guider les décisions du Parlement mais aussi du gouvernement. C'est cette absence de majorité politique claire qui a nourri le blocage institutionnel. Il y a aussi la confrontation entre les deux têtes de l'exécutif, le président de la République et le Premier ministre qui vient d'être limogé alors même qu'il était soutenu par le principal parti parlementaire. Il y a donc différents blocages. Il s'agit moins d'une confrontation d'ordre idéologique que d'une confrontation des hommes de pouvoir. L'enjeu est véritablement de savoir qui exerce effectivement le pouvoir au sein d'un régime dont la nature est assez complexe, hybride, notamment parce que la Constitution est récente, la démocratie jeune. Par conséquent, la nature du régime lui-même ne procédera que d'une expérience et d'une pratique. Cette pratique, on est en train de la vivre en direct, notamment pour savoir si le régime politique tunisien est plutôt présidentiel ou parlementaire. Avec le coup de force actuel, c'est le versant présidentiel qui semble prendre le pas.
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