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Au Zimbabwe, les diamants de la corruption sont éternels

Dans un Zimbabwe à l’économie ruinée, en attente de Constitution et d’élections générales, un scandale lié au détournement de millions de dollars issus de la vente de diamants braque le projecteur sur le président Robert Mugabe et son entourage…
Article rédigé par Catherine Le Brech
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Conférence du diamant de Victoria Falls, au Zimbabwe (13/11/2012), visant à polir l'image du pays et à attirer les investisseurs. Le ministre des Mines, Obert Mpofu, s'entretient avec le président du club des diamantaires de New York, Reuven Kaufman.  (AFP PHOTO / JEKESAI NJIKIZANA)

Au bas mot, deux milliards de dollars destinés à renflouer les caisses du Zimbabwe (ruiné depuis les années 2000) se sont envolés depuis 2008. D’après un rapport de l'organisation Partnership Africa Canada, publié le 12 novembre 2012, ils auraient atterri dans les poches de proches du «Vieux Lion», âgé de 88 ans et rivé au pouvoir.
 
Pour l’ONG, des zones d’ombre persistent sur la destination des produits de la vente de diamants issus des gisements de Marange, à l’est du pays.

Un ministre sur la sellette
Partnership Africa Canada accuse notamment le ministre zimbabwéen des Mines, Obert Mpofu (membre du Zanu-PF de Robert Mugabe), d'avoir «accordé des concessions à des individus douteux sans expérience minière, souvent en des circonstances ou des termes hautement discutables». Mais aussi d’avoir «sollicité et approuvé la requête de membres des forces sécurité du Zimbabwe, dont certains impliqués dans des violations des droits de l'homme à Marange».
 
Le ministre, qui est lié à des responsables politiques et militaires de Marange depuis le début de l’exploitation du site en 2006, possède une fortune personnelle inexpliquée. Il touche 800 dollars par mois comme ministre. Mais il aurait investi, selon Partnership Africa Canada, quelque 20 millions de dollars en trois ans, en cash, dans l’immobilier notamment.

 
Pour sa part, le ministre zimbabwéen des Finances, Tendai Biti (issu du MDC, proche allié de Morgan Tsvangirai, Premier ministre et premier opposant de Robert Mugabe dans un gouvernement de coalition), précise que l’argent s’est «évaporé dans des circuits légaux et illégaux». Selon lui, l'Etat espérait retirer quelque 600 millions de dollars en 2012 (17% de son budget) de la vente des gemmes. Mais Tendai Biti dit n'avoir vu en rentrer que 46 millions sur les six premiers mois de l'année.
 
Les champs de Marange font partie des plus gros gisements diamantifères au monde, issus de plusieurs sites miniers près de Mutare. Ils sont exploités, entre autres, par la joint-venture sino-zimbawéenne Anjin Investments, Diamond Mining Corporation (basée à Dubaï), Mbada Diamonds et Marange Resources. En 2012, leur production mensuelle conjointe était évaluée à 1,3 million de carats. Alors qu’en 2011, la production totale annuelle du Zimbabwe était encore estimée à 8,5 millions de carats (476 millions de dollars)…
 
Les diamants de Marange reviennent dans le circuit
Jusqu’en novembre 2011, les pierres extraites à Marange étaient exclues du circuit officiel. Après cette date, et le feu vert du Kimberley Process (le régulateur mondial du marché, mis en place en 2003 pour éviter que les diamants ne financent les conflits, comme au Liberia et en Sierra Leone), elles y étaient revenues. Et le 30 novembre 2012, l’organisation internationale avait cessé de contrôler la production de diamants au Zimbabwe au motif «des efforts significatifs et de la bonne volonté» du pays.
 
Certes, mais le rapport canadien a mis l’accent sur un certain laxisme au niveau des centres de négoce à Dubaï, en Inde ou en Israël, pas toujours regardants sur la provenance des gemmes. Ce que le Kimberley Process a occulté.
 
Du coup, leur retour dans le circuit officiel n’a pas été un bon plan. Ils ont subi une décote (d’aucuns parlent de 25%) en raison de la mauvaise réputation des gisements où ils étaient exploités en toute opacité. Et ce n’est pas la conférence internationale organisée par Harare à Victoria Falls fin 2012 qui a redoré leur blason auprès des acheteurs mondiaux.
 
Une usine de transformation du diamant dans la région de Marange (14/12/2011), où des familles ont été expulsées pour faire place à des machines d'excavation de grandes sociétés minières alliés au régime du président Robert Mugabe. (AFP PHOTO / JEKESAI NJIKIZANA)


Il faut dire que le site de Marange souffre d’une sinistre réputation : au départ exploité par des milliers de prospecteurs privés, il avait été investi en 2008 par l'armée zimbabwéenne qui les avait violemment expulsés. Des défenseurs des droits de l'Homme ont comptabilisé près de 200 tués. Parmi les déplacés de Marange, nombreux sont ceux toujours en attente d'indemnisation des compagnies minières.
 
Si l’accès aux mines et les ventes des pierres sont en théorie réglementés, le marché noir, notamment à Mutare, située à la frontière du Mozambique, est plus florissant que jamais. Un marché couvert, la plupart du temps, par les autorités locales.
 
Des militants des droits de l'Homme n’hésitent pas à dire qu’il faut être membre du Zanu-PF pour travailler dans les mines et que l’ancienne police secrète de Mugabe constitue un bon vivier pour le recrutement des gardes privés dans le secteur.
 
Des inquiétudes pour la prochaine campagne électorale
Aujourd’hui, l’ONG Global Witness, qui a quitté le Kimberley Process, émet l’hypothèse que l'argent des diamants pourrait servir à financer la campagne électorale du camp Mugabe, voire son armée. Quand on connaît les exactions commises à chaque scrutin depuis 2000, on peut s’inquiéter des conditions dans lesquelles le processus électoral va se dérouler.
 
Le Zimbabwe doit bientôt se doter d'une nouvelle Constitution et organiser des élections générales que Robert Mugabe a annoncées pour mars 2013. Le vieux président espère obtenir un nouveau mandat et mettre fin à la cohabitation.

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