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Le Zimbabwe, un «pays beau mais triste», explique l'écrivaine NoViolet Bulawayo
L’écrivaine NoViolet Bulawayo a écrit «Il nous faut de nouveaux noms», roman beau et fort qui plonge le lecteur dans la sombre réalité de son pays, le Zimbabwe, qui a célébré le 37e anniversaire de son indépendance le 18 avril 2017. Et ce quand les deux principaux opposants s'allient contre le président Robert Mugabe. Interview d’une jeune auteure prometteuse, publiée en France chez Galllimard.
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NoViolet Bulwayo, née en 1981, vit aujourd’hui aux Etats-Unis où elle travaille à l’université Stanford en Californie. De son vrai nom Elisabeth Zandile Tshele, elle est la première Africaine noire à figurer parmi les finalistes du Man Booker Prize, un des grands prix littéraires anglo-saxons.
Dans «Il nous faut de nouveaux noms», elle raconte la vie de Darling, fillette de 10 ans. Le lecteur découvre ainsi le quotidien du Zimbabwe à travers les yeux d’un enfant. Un enfant tout sauf innocent...
Avec un humour décapant, tantôt tendre, tantôt féroce, Darling décrit la faim, la pauvreté, l’exode des hommes dans les pays voisins, la violence, le sida. Elle parle de ses amis Bastard, Chipo, Godknows (littéralement «Dieu sait»), Sbho, de leurs jeux dans le bidonville Paradise (!), de leurs tourments et de leurs joies. Elle évoque la dignité de sa mère et de sa grand-mère. Mais aussi les travers des adultes comme ceux des organisations humanitaires occidentales. Elle finira par partir aux Etats-Unis où elle sera accueillie par sa tante. Et où elle devra faire face à d’autres problèmes…
Pourquoi avez-vous choisi un tel titre pour votre livre ?
J’ai écrit ce livre en 2008, en plein malaise, alors que la crise des élections était à son paroxysme. Avec ce titre, j’ai voulu dire que nous avons besoin de nouvelles manières de voir la situation, de nouvelles manières de penser le destin et l’avenir de notre pays, de le diriger.
Votre ouvrage décrit les différentes réalités du Zimbabwe par une série de petites scènes très vivantes et très percutantes. Est-il autobiographique ? Et que voulez-vous montrer ?
Je suis née au moment de l’indépendance du Zimbabwe et j’ai grandi dans un pays normal. Je l’ai quitté quand j’avais 18 ans. Mon livre n’est donc pas à proprement parler une autobiographie. Mais j’ai essayé de m’approcher au plus près de la réalité grâce aux expériences vécues par mes amis, grâce à des témoignages sur Facebook et sur internet.
Ensuite, il faut faire sentir au lecteur que cela correspond à la réalité. J’ai alors choisi de le faire à travers la voix de personnes que l’on n’entend jamais : les enfants. Ce sont eux qui racontent ce qui se passe autour d’eux. Quand tout se dérobe, ils savent être très drôles.
Vous décrivez les anciens combattants de la guerre d’indépendance, qui voulaient «libérer leur pays» mais face à l’amère réalité, finissent par dire : «Mieux vaut un bandit blanc qui fasse cela que votre propre frère noir.» S’agit-il d’un trait d’humour cynique ?
Ce n’est absolument pas une plaisanterie ! C’est juste l’expression d’une frustration. Celle de vétérans qui se sont battus pour construire un pays de cocagne et voient à la place un pays ravagé. Ils avaient pourtant confiance dans leur gouvernement. Au temps de la colonisation, les Zimbabwéens ont été parqués dans des réserves. Aujourd’hui, ce sont leurs propres frères qui font d’eux des sans-abris. Tout recommence !
Comment jugez-vous la violence contre les fermiers blancs ?
C’est une situation très complexe. Pendant la guerre d’indépendance, on s’est battu pour retrouver les propriétés qui avaient été volées. Mais une fois l’indépendance acquise, il n’y a pas eu de mesures prises sur une large échelle pour redistribuer les terres. On a attendu 2002. Pour autant, la violence que l’on constate est intolérable. Toute forme de harcèlement devrait être combattue.
Qui est responsable de la situation au Zimbabwe ? Le président Robert Mugabe et son régime ? D’autres rendent responsables les anciens colons et les pays occidentaux. Que dites-vous de votre côté ?
Je ne pense pas qu’il y ait une seule responsabilité. Evidemment, l’actuel pouvoir en a une puisque c’est lui qui dirige le pays. Pour autant, il y d’autres facteurs. Nous avons une opposition faible qui n’a pas su exploiter la situation. Quant aux pays occidentaux, ils ont imposé des sanctions. Mais celles-ci ont affecté les habitants et elles n’ont en rien changé la configuration du pays.
En fait, je pense que le problème numéro un du Zimbabwe, c’est, d’une manière générale, un échec du leadership, une absence de culture du leadership. En soi, un seul bon dirigeant ne changerait rien. Il faut un système qui gouverne pour le bien du peuple. Un système capable de faire fructifier tous les atouts de ce pays potentiellement très riche et de s’attaquer à ses maux : l’éducation, le chômage…
Comment voyez-vous l’avenir du Zimbabwe ? Comment peut-il évoluer ?
Il faut rester optimiste ! J’ai de l’espoir. Je le répète : pour moi, beaucoup dépend du système de leadership. Ce pays a énormément de potentialités. On y trouve beaucoup de gens passionnés, bien formés, compétents. Mais on ne leur donne pas l’espace nécessaire qui leur permettrait de faire fructifier leurs talents. Eux aussi éprouvent de la frustration. Aujourd’hui, quand ils s’expriment, ils sont diabolisés, présentés comme une menace à la sécurité nationale.
Cette situation ne peut pas durer éternellement. Mais dans l’état actuel des choses, si le président change, son parti, le Zanu-PF, lui trouvera un successeur.
Pour l’instant, les Zimbabwéens sont comme frappés d’aphasie. Ils subissent un système et une culture politiques qui les aliènent. Il faut voir qu’en 2008, au moment des élections, les gens étaient enthousiastes. Ils pensaient que l’heure du changement était venue. Mais il n’y a pas eu de changement. L’enthousiasme est donc retombé. Dans ce contexte, le Zimbabwe reste un pays beau mais triste.
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