Enlèvements en Haïti : comment fonctionne la cellule interministérielle qui négocie pour libérer les sept otages
Le 11 avril en Haïti, étaient enlevés sept religieux parmi lesquels deux Français, la sœur Agnès Bordeau et le père Michel Briand. Quelques heures plus tard, selon une information du magazine spécialisé L'Essor, confirmée par franceinfo, était activée la cellule interministérielle de négociation (CIN), déjà à l'oeuvre dans 22 dossiers d'enlèvements depuis sa création en 2006.
Pour expliquer ce que fait la cellule interministérielle de négociation (CIN), le plus simple est de dire qu'elle ne s'occupe pas des enlèvements politiques ou terroristes, qui sont du ressort de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE). La cellule est faite pour les enlèvements contre rançon, les enlèvements mafieux et crapuleux. Comme celui des deux religieux français, dimanche 11 avril, par un gang d'une localité proche de la capitale Port-au- Prince (Haïti), les "400 Mawozo", qui aurait réclamé un million de dollars en échange des sept otages.
Créée en 2006, la CIN est née trois ans auparavant, lors d'une discussion entre deux Français lors d'un séminaire de l'International Negociation Working Group, un réseau de négociateurs du monde entier conçu et piloté par le FBI. Les seuls Français à en faire partie sont deux officiers venant de deux unités d'intervention : Franck Chaix, pour le GIGN (gendarmerie), et Christophe Caupenne pour le Raid (police).
La teneur de leur discussion : une affaire d'enlèvement à l'étranger, qui aurait pu très mal tourner. En 2003, après une quarantaine de jours de détention, la police vénézuélienne donnait l'assaut pour libérer Stéphanie Minana, une étudiante de 24 ans pour qui les ravisseurs réclamaient plusieurs millions de dollars.
"Quand on prend contact avec les ravisseurs, on parle toujours de l'otage en l'appelant par son prénom. Notre but est d'humaniser l'otage, de faire prendre conscience qu'il n'est pas un bien ou une marchandise."
Franck Chaix, ex du GIGN et co-créateur de la Celluleà franceinfo
Ce n'est pas l'intense violence de la libération de la Française qui a interpellé les deux hommes, c'est plutôt le manque d'une structure qui aurait pu gérer cet enlèvement, de sa commission à son issue. "Pourtant, sur place, l'attaché de sécurité [le policier en détachement à l'ambassade de France au Venezuela] a fait ce qu'il a pu, se souvient Franck Chaix, à l'époque patron de l'intervention et de la négociation au GIGN. Mais nous avons cette idée qu'il y a un vide à combler."
Le Quai d'Orsay d'abord réticent
Le tout n'est pas d'avoir une idée, mais de savoir la vendre au ministère des Affaires étrangères, compétent pour les enlèvements de ressortissants français à l'étranger, via sa Direction des Français à l'étranger (DFAE). Le Quai d'Orsay renâcle jusqu'au moment où un ancien officier de gendarmerie prend la tête de la DFAE et valide l'idée et les futures procédures de la cellule interministérielle de négociation. Quelques mois plus tard, en 2006, le Quai d'Orsay active pour la première fois la toute nouvelle cellule. Elle l'a été 22 fois depuis sa création, d'Haïti à la Côte d'Ivoire, en passant par le Yémen ou le Venezuela.
"Bien sûr, quand un Français est enlevé à l'étranger, la première évaluation est celle de la DGSE, explique l'ancien colonel de gendarmerie. Mais si ce n'est pas terroriste, alors le Quai d'Orsay déclenche Raid et GIGN, et on prend la main". Chacune des unités accueille alternativement les experts en négociation de la CIN, qui rentrent en contact directement avec les ravisseurs.
L'actuel directeur sécurité-sûreté auprès la compagnie de transport maritime CMA-CGM se souvient "de la pression énorme que peuvent mettre les preneurs d'otages, comme les Yéménites qui nous harcelaient littéralement au téléphone. Mais notre boulot, c'est justement de faire redescendre cette pression". Le plus souvent, l'équipe de négociateurs est envoyée sur place, dans des ambiances tendues parfois, comme celle de "cette chasse aux blancs en Haïti", sourit-il se rappelant une mission de dix jours.
Les négociateurs travaillent toujours à deux lors de ces missions, sans compter ceux qui sont en "back-up" en France et dont le recul est nécessaire à celles et ceux qui sont envoyés sur place. "La première chose que l'on demande, explique encore Franck Chaix, c'est une preuve de vie régulière au fur et à mesure des avancées de la négociation, et puis on calme le jeu le plus possible, toujours". Mais parallèlement à la négociation, GIGN et Raid préparent aussi une possible libération, par la force, en coopération avec les unités locales d'intervention. Même si des forces spéciales françaises ont déjà été utilisées à l'étranger pour extraire des otages des mains de leurs ravisseurs.
Ce qui complique la tâche des négociateurs aujourd'hui, ce sont les nouvelles technologies et la paranoïa des ravisseurs, parfois nourrie aux films hollywoodiens à grand spectacle. Mais les 22 affaires suivies par la CIN ont-elles toutes connu une fin heureuse, ou du moins – parce qu'il y a quasiment toujours blessures physiques et psychiques – non mortelle ? La réponse tient en un message, envoyé par une source : "Oui :-)"
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