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Equateur: le pape critique l'autoritarisme des dirigeants latino-américains

En Equateur, première étape de sa tournée en Amérique latine, le pape a rappelé la nécessité pour l'Eglise de s'occuper des plus déshérités. François a sermonné les dirigeants sud-américains pour leurs tendances populistes et autoritaires. Le président Correa, en pleine crise politique, espérait bénéficier de la ferveur populaire entourant ce voyage. Interview d'Eric Samson journaliste à Quito.
Article rédigé par Catherine Le Brech
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Le 5 juillet 2015, le pape François avec le président équatorien Rafael Correa à Quito.   (REUTERS / Alessandro Bianchike)

Le pape François a entamé sa tournée sud-américaine en Equateur. Peut-on parler d'un soutien au président Correa, aujourd’hui en pleine tourmente politique?
Durant son séjour en Equateur, et notamment lors des deux messes massives à l’air libre de Quito et Guayaquil, le pape a insisté comme il le fait depuis le début de son pontificat sur la nécessité pour l’Eglise de s’occuper des plus pauvres, des plus déshérités et de pratiquer en famille et dans sa vie les vertus chrétiennes de solidarité et de miséricorde. Il prêche pour le lancement d’une nouvelle évangélisation et pour une Eglise «de sortie», capable d’oublier son confort et ses habitudes pour aller chercher dehors, dans la rue et en général là où ils sont, les fidèles et ceux qui se sont éloignés de l’Eglise. Il n’est donc pas indifférent aux résultats du régime de Rafael Correa dans le domaine de la lutte contre la pauvreté et l’indigence, et la construction de nombreuses écoles, collèges et hôpitaux, sans oublier le réseau de communication qui s’est fortement amélioré.
 
Cela dit, le pape a aussi parsemé ses différentes interventions de conseils et recommandations qui ne vont pas dans le sens de l’action et des méthodes du régime équatorien. Avant de s’envoler pour l’Amérique du Sud, il a par exemple indiqué qu’il n’y a pas de leader à vie dans l’Eglise, ce que l’on pourrait rapprocher au désir du président Rafael Correa de promouvoir la réélection indéfinie (qui devrait être votée prochainement au sein de l’Assemblée nationale où il dispose de la majorité absolue, ce qui lui permettra de faire passer le texte sans en passer par un référendum comme le demande l’opposition). Après les manifestations de ces dernières semaines, manifestations assimilées trois jours avant l’arrivée du pape par le régime Correa à une tentative de coup d’Etat, le chef de l’Etat équatorien a proposé le lancement d’un grand débat national sur les projets de loi contestés qui augmentent les impôts sur la plus-value et les héritages. Mais il en est très vite revenu à son style agressif, qui s’en prend à l’adversaire tout autant qu’à ses idées, indiquant avec qui il était prêt à discuter et avec qui non…  Le pape, quant à lui, a offert une définition bien différente du dialogue. Il insiste sur la nécessité de parler avec tous, sans exclusive.
 
On peut donc faire dire bien des choses au pape. Face aux phrases de Francois interprétées à leur facon par les uns et les autres, le président de la Conférence épiscopale équatorienne a d’ailleurs indiqué qu’il fallait lire le pape dans le texte et le contexte.

L'Equateur était la première étape de la tournée du pape en Amérique du Sud. Le souverain pontife va également rencontrer les fidèles en Bolivie et au Paraguay. (REUTERS / Kevin Granja)
 
L’opposition reproche au président Correa de vouloir modifier la Constitution (afin de pouvoir se représenter), mais aussi ses réformes économiques en faveur des plus pauvres. Le pays est-il au bord d’une grave crise politique?
Sur le plan institutionnel, le président Rafael Correa a toutes les cartes en main. Il dispose de la majorité absolue à l’Assemblée nationale, ses partisans sont majoritaires dans tous les rouages de l’Etat, que ce soit la Justice, les organes de contrôle, le pouvoir populaire. Les média privés sont également dans le viseur du Superintendant de Communication et Information qui multiplie procès et amendes qui poussent à une autocensure sévère. Sur ce point, le président n’a donc pas d’obstacles pour gouverner et aucun coup d’Etat à son encontre ne serait toléré par la communauté internationale ni par l’opinion équatorienne.
 
Depuis la chute du prix du pétrole et la hausse du dollar, il a en revanche des difficultés économiques qui ne lui permettent pas de maintenir au même niveau une dépense publique considérable qui est à la base des résultats enregistrés sur le plan social. Son mouvement «Pais» est majoritaire dans le monde rural, mais on sent une exaspération croissante dans la classe moyenne et les villes contre un style de gouvernement jugé autoritaire et peu respectueux des libertés individuelles. Le 23 février 2015, son parti a d’ailleurs subi un revers électoral. Il ne domine qu’une seule des dix grandes villes du pays et a notamment perdu la capitale.
 
Le régime a mal évalué l’impact qu’a eu la présentation de deux projets de loi sur la plus value et l’héritage. Les manifestations se sont multipliées jusqu’à trois jours avant l’arrivée du pape. Le président a dû céder et retirer les projets de loi temporairement, ce qu’il n’a pas l’habitude de faire. On verra ce que donne le dialogue qui doit s’engager maintenant que le pape est parti mais en tout, ces dernières semaines ont montré un changement dans la mentalité de l’opposition qui n’a plus peur de descendre dans la rue. En ce sens, le régime est affaibli.
 
Le président Correa, contesté dans la rue par les propriétaires terriens et les classe moyennes, bénéficie toujours d’un fort soutien populaire. Quel est son véritable bilan?
Le régime, fort pendant sept ans de prix du pétrole exceptionnellement élevés, a un bilan que même l’opposition reconnaît sur le plan de la construction de routes, ponts, centrales hydrauliques, collèges du millénaire, hôpitaux. En revanche, et même si elle se prétend citoyenne, la révolution en marche est très verticalement articulée autour de la personnalité du leader, n’étant en ce sens guère différente de l’histoire latino-américaine et ses caudillos. Dirigée par un ex-ministre et secrétaire particulier de Rafael Correa, la justice ne fait pas preuve de suffisamment d’indépendance, tout comme en général les autres organismes de l’Etat. Sur le plan institutionnel et des libertés publiques, le bilan est donc beaucoup plus mitigé.

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