Haïti : ce que l'on sait de l'enlèvement de sept religieux catholiques, dont deux Français
Ils ont été kidnappés dimanche dans la banlieue de Port-au-Prince par un gang armé qui a demandé une rançon, selon la police. Ces organisations criminelles ont une emprise grandissante dans ce pays, le plus pauvre des Amériques.
Un rapt de plus dans un pays dévasté par la pauvreté, la crise politique et l'insécurité. Sept religieux catholiques, dont cinq Haïtiens et deux Français, ont été enlevés, dimanche 11 avril, en Haïti, a indiqué à l'AFP le porte-parole de la Conférence des évêques de ce pays des Caraïbes, le prêtre Loudger Mazile. Que sait-on de ce qui s'est passé ?
Les ravisseurs réclament un million de dollars
Le groupe a été kidnappé dans la matinée du dimanche 11 avril à la Croix-des-Bouquets, près de la capitale, Port-au-Prince, alors qu'il "se rendait à l'installation d'un nouveau curé", a expliqué le prêtre Loudger Mazile. Les ravisseurs réclament un million de dollars de rançon, a-t-il précisé. La police soupçonne un gang armé actif dans le secteur, baptisé "400 Mawozo", d'être à l'origine de cet enlèvement, a fait savoir une source policière à l'AFP.
"Je ne pense pas qu'ils étaient visés, il n'y a pas une raison particulière. Je pense qu'ils étaient au mauvais endroit au mauvais moment et parce que c'est quelque chose quand même de régulier en Haïti", a indiqué Paul Dossous, supérieur général de la Société des prêtres de Saint-Jacques, à laquelle appartiennent cinq prêtres enlevés. Jean-Marie Rosemond Joseph, lui aussi prêtre, a indiqué à franceinfo qu'il avait pu échanger avec les ravisseurs.
"Un prêtre m'a appelé et m'a passé un des membres des "400 Mawozo". [Celui-ci] m'a dit que les gens sont entre ses mains et que je dois payer une rançon d'un million de dollars."
Le prêtre Jean-Marie Rosemond Josephà franceinfo
Le membre des "400 Mazowo" a déclaré que si la rançon n'était pas payée, "ils [allaient] 'tourner ça en barbecue'", puis il a "fermé le téléphone", affirme aussi Jean-Marie Rosemond Joseph. Le prêtre a ajouté que son groupe religieux n'avait pas les moyens de verser la rançon : "Comment allons-nous faire pour trouver un million de dollars ? Nous sommes des hommes d'Église, des hommes de prières, nous allons prier pour, qu'avec le secours du bon Dieu, ils puissent être libérés."
Deux Français parmi les personnes enlevées
Le groupe enlevé comprend sept religieux catholiques. Parmi eux, cinq Haïtiens (quatre prêtres et une religieuse) et deux Français originaires de l'ouest de la France (une religieuse et un prêtre). Les deux Français enlevés sont Michel Briand et Agnès Bordeau, dont les noms sont cités dans les communiqués respectifs de la Conférence haïtienne des religieux et de la Société des prêtres de Saint-Jacques.
Selon France 3 Pays de la Loire, Agnès Bordeau fait partie de la Congrégation des sœurs de la providence de la Pommeraye, basée dans le Maine-et-Loire. Michel Briand, lui, appartient à la Société des prêtres de Saint-Jacques, dans le Finistère : il s'agit d'un groupe de missionnaires en Haïti et au Brésil. Les cinq prêtres enlevés en sont tous des membres. Âgé de 67 ans, Michel Briand est originaire de Messac en Ille-et-Vilaine et connaît bien Haïti, où il mène des actions depuis plus de trente ans, précise France Bleu Armorique. Surnommé "le curé des pauvres", il a été blessé par balles le 31 août 2015 dans une rue de Port-au-Prince alors qu'il sortait d'une banque. Après avoir été soigné en Bretagne, il est reparti sur l'île.
Selon Jean-Marie Théodat, maître de conférence à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, géographe et spécialiste d'Haïti interrogé par franceinfo, le fait qu'il y ait deux Français parmi les religieux "n'a absolument aucune incidence".
"C'est le fait d'être blanc, d'être religieux (...) qui vous désigne comme faisant partie de la catégorie des privilégiés d'Haïti, donc [comme] une proie possible."
Jean-Marie Théodat, géographe et spécialiste d'Haïtià franceinfo
Par ailleurs, trois autres personnes ont également été kidnappées, selon la Conférence haïtienne des religieux (CHR), qui a fait part de son indignation dans un communiqué. Il s'agit de proches d'un autre prêtre ne faisant pas partie des personnes enlevées. "La CHR exprime son profond chagrin mais aussi sa colère face à la situation inhumaine que nous traversons depuis plus d'une décennie", a-t-elle écrit. "Il ne se passe pas un jour sans pleurs et grincements de dents et pourtant les soi-disant leaders de ce pays, tout en s'accrochant au pouvoir, sont de plus en plus impuissants", a-t-elle ajouté.
Les "400 Mawozo" sont un des gangs violents d'Haïti
Les "400 Mawozo" sont un "gang qui sème la terreur notamment dans les communes de Croix-des-Bouquets, Ganthier et Thomazeau", affirme le journal Haïti libre. Pour Jean-Marie Théodat, "c’est un des gangs parmi la centaine qui opèrent sur le territoire national, constitués souvent d'anciens policiers ou de policiers encore actifs, mais qui agissent sous couvert de gangstérisme et qui sont, nous le savons depuis des lustres, aux commandes des hommes politiques qui occupent le devant de la scène en Haïti". Le chercheur à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne décrit un gang de "vrais criminels, des gens qui sont des chiens enragés dont les maîtres ont perdu le contrôle".
Les enlèvements contre rançon ont connu une recrudescence ces derniers mois à Port-au-Prince comme dans les autres régions du pays. "C'en est trop. L'heure est venue pour que ces actes inhumains s'arrêtent", a réagi dimanche Pierre-André Dumas, évêque de Miragoâne, joint par téléphone par l'AFP. "L'Eglise prie et se fait solidaire de toutes les victimes de cet acte crapuleux", a-t-il ajouté.
Cette violence des gangs ainsi que l'instabilité politique dans le pays ont conduit ces dernières semaines à des manifestations dans les rues de la capitale. Le 3 avril, plusieurs centaines de femmes ont défilé à Port-au-Prince pour dénoncer l'emprise grandissante des gangs sur le territoire. Les enlèvements contre rançon touchent indistinctement les habitants les plus riches et la majorité vivant sous le seuil de pauvreté.
L'état d'urgence a été décrété, sur fond de crise politique et humanitaire
Afin de "restaurer l'autorité de l'Etat" dans des zones contrôlées par des gangs, le pouvoir haïtien a décrété, en mars, l'état d'urgence pour un mois dans certains quartiers de la capitale et dans une autre région du pays. La mesure, selon l'arrêté présidentiel, est motivée par les actions de bandes armées qui "séquestrent des personnes contre rançon en le déclarant ouvertement, volent et pillent des biens publics et privés, et affrontent ouvertement les forces de sécurité publique".
Cette mesure s'inscrit dans un contexte de profonde crise politique dans ce pays, le plus pauvre des Amériques. Le président Jovenel Moïse estime que son mandat prendra fin le 7 février 2022, alors que, pour l'opposition et une partie de la société civile, celui-ci s'est achevé le 7 février 2021. Ce désaccord tient au fait que Jovenel Moïse avait été élu en 2016 lors d'un scrutin annulé pour fraudes, puis réélu un an plus tard. Des opposants avaient d'ailleurs manifesté en février dernier pour exiger le départ de Jovenel Moïse, comme le rappelle cette vidéo de France 24.
Privé de Parlement, le pays s'est enfoncé dans la crise et le président Moïse gouverne par décret, alimentant une défiance croissante à son encontre. Plus de 60% de la population vit sous le seuil de pauvreté, selon la Banque mondiale. Le pays est classé 170e sur 189 pour son indice de développement humain. Un tiers des 11 millions d'habitants a besoin d'une aide humanitaire d'urgence, et un million sont en situation d'insécurité alimentaire sévère, selon le Programme alimentaire mondial.
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