Les émeutes en Argentine relancent le débat sur la corruption de la police
La mobilisation a débuté à Cordoba, riche province agricole du centre de l’Argentine. A l’origine, un sentiment d’exaspération des policiers qui s’estimaient sous-payés (environ 400 euros par mois) alors que l’inflation est galopante (10% officiellement, 25% plus probablement).
Depuis lors, une série de mesures d’augmentation (jusqu’au doublement du salaire) ont été annoncées pour contenir le mouvement, a détaillé Le Monde du 12 décembre.
Le gouverneur de Cordoba se justifie
Mais, dans ce conflit, ce qui a marqué l’opinion, c’est le comportement des forces de l’ordre, indique l’AFP. Plusieurs jours durant, certains policiers auraient encouragé la violence pour faire pression sur le gouvernement, d’autres auraient déserté leur poste, laissant la rue aux pilleurs.
«De façon concomitante avec les manifestations policières, se sont produites des atteintes à la propriété», a relevé le rapport le Parquet général.
Accusé de laxisme par les autorités de Buenos Aires, le gouverneur de Cordoba, José de la Sota, a dénoncé une vengeance policière. Il avait fait fermer les maisons closes qui fournissaient, selon lui, des profits illégaux aux agents corrompus, comme l’explique sur son blog le journaliste américain, Jerry Nelson.
Selon le chercheur Ricardo Ragendorfer, relayé par l’AFP, l’arrestation du chef de l'unité antidrogue de la police de Cordoba, puis la menace proférée par ses lieutenants, ont rajouté à la confusion : «Ne vous mêlez pas de nos affaires, ne mettez pas en prison nos chefs…»
Deux niveaux de police régionale et fédérale
Il y a de 100.000 (selon Le Monde) à 200.000 (selon l’AFP) fonctionnaires de police aux ordres des gouverneurs des provinces dont 50.000 rien que dans la province de Buenos Aires. Ils ont très mauvaise réputation, comme le montre El Pais qui a enquêté dans cette province (les policiers fédéraux, qui sont 44.000, n’ont pas été touchés par la grève).
Des voix s’élèvent aujourd’hui pour dénoncer «le manque de réactivité du gouvernement national» qui aurait dû envoyer des gendarmes (statut militaire) sur le terrain, comme la loi l’exige en de telles circonstances. Pour le site La Voz, «cette crise est encore une conséquence néfaste des tensions politiques que le pouvoir central maintient avec l’administration provinciale».
De la difficulté d’action du gouvernement
Les hommes politiques argentins ont cependant bien du mal à affirmer leur autorité sur les forces de l’ordre, nées après la dictature militaire qui s'est achevée en 1983. «On a réussi à incorporer les forces armées dans le processus démocratique, il faut en faire de même avec les polices des provinces. Les pillages ont été planifiés», a ainsi déclaré la présidente argentine. Et Cristina Kirchner de condamner «le racket pratiqué par ceux qui portent les armes pour défendre la société».
Depuis la démocratisation en Argentine, la réforme des forces de police pour faire cesser «l’utilisation excessive de la force physique et des armes à feu» est un serpent de mer, selon le document rédigé par la Maison de l’Argentine à Paris sous la mandature de Carlos Menem (1989-1999).
Cette dernière explosion de violence ressuscite, comme le montre El Correo, les vieux démons d’une orchestration du chaos pour déstabiliser la démocratie.
Un problème qui a «à voir avec la désintégration sociales»
Le chercheur Ricardo Ragendorfer estime encore que les forces de police «ont des liens avec le crime organisé et sont en mesure de jouer sur l'intensité des violences urbaines». Cet expert juge que la police «doit dépendre du pouvoir politique et ne pas s'autogouverner».
Mais force est de constater que les pilleurs «ne réclament ni travail, ni intégration sociale, seulement des réponses immédiates, des augmentations de prestations sociales, et ils ont recours au racket», analyse pour sa part Enrique Zuleta Puceiro, de l'Université de Buenos Aires.
Horacio Verbitsky, journaliste de Pagina 12, cité par France Culture, estime qu’avec la spéculation immobilière, les pauvres se sont retrouvés dans des bidonvilles, «terrains favorables pour le trafic de drogue que gèrent bien souvent les policiers eux-mêmes. Un trafic contre lequel les autorités n'ont pas su lutter. »
La conclusion revient au politologue Daniel Arroyo : «Nous affrontons un nouveau problème qui n'a rien à voir avec la faim ou la subsistance, mais avec la désintégration sociale.»
Il y a donc là une urgence que le gouvernement argentin devra régler pour éviter de nouvelles poussées de violences. Et ce, alors même que le pays vient de fêter le 10 décembre ses trente années de démocratie ininterrompue.
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