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Mexique : comment la campagne pour les élections générales a viré au bain de sang

Au total, 133 hommes et femmes politiques ont été tués dans ce pays gangrené par la violence et la corruption. 

Article rédigé par franceinfo
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Du personnel médico-légal charge le corps d'une personne tuée lors d'une opération de police qui a fait trois morts à Guadalajara, au Mexique, le 10 juin 2018.  (ULISES RUIZ / AFP)

C'est le scrutin le plus violent jamais connu au Mexique. Au total, 133 hommes et femmes politiques ont été tués depuis le début de la campagne électorale en septembre, rapporte le cabinet d'études Etellekt, jeudi 28 juin. Parmi les victimes figurent 85 élus ou responsables de partis politiques impliqués dans cette campagne et 48 candidats à des mandats locaux aux élections générales du dimanche 1er juillet. Ce jour-là, quelque 88 millions d’électeurs sont appelés aux urnes pour élire leur président et renouveler plus de 18 000 mandats. 

"Lors des élections de 2012, durant tout le processus électoral, il n'y avait eu que neuf hommes politiques assassinés et un candidat selon nos chiffres", souligne Ruben Salazar, directeur de Etellekt. Interviewé sur Radio Formula (en espagnol), il pointe "de très graves problèmes de gouvernance locale".

Des narcotrafiquants qui sèment la terreur

Comment cette campagne a-t-elle viré au bain de sang ? La deuxième économie d'Amérique latine est en proie à une violence endémique liée au trafic de drogue depuis de nombreuses années. Mais la situation s'est aggravée dernièrement. "Les cartels veulent exercer leur influence au niveau local, ils veulent contrôler les mairies, les polices municipales, explique la correspondante de franceinfo à Mexico, Emmanuelle Steels. Auparavant, les cartels s’en prenaient surtout aux élus, mais ce qui est exceptionnel cette fois-ci, c’est qu’ils agissent avant même l’élection, pour influencer les résultats en éliminant des candidats qui ne leur sont pas favorables."

Ainsi, le 8 juin, Fernando Puron, ex-maire de Coahuila, à la frontière avec les États-Unis, qui visait un poste de député fédéral, a été assassiné à la sortie d'un débat où il avait vanté son combat contre le cartel de Los Zetas. D'autres candidats paraissent avoir eu des liens trop proches avec les gangs. C'est le soupçon qui plane à Juchitan, dans l'État d'Oaxaca : candidate au poste de conseillère municipale, Pamela Teran a été abattue le 2 juin. Elle était la fille du chef présumé de cartel Juan Teran.

Un processus amorcé dans les années 1990

Mais la plupart des meurtres restent inexpliqués et impunis, forçant nombre de candidats à faire campagne dans la peur. Dans l'État violent de Guerrero, 496 d'entre eux ont déjà renoncé. Et pour cause : sur les 49 demandes de gardes du corps transmises au niveau fédéral pendant la campagne, seules 12 ont été accordées, selon le chef de la Commission nationale de sécurité, Renato Sales.

Se présenter à une élection au Mexique, c'est "pratiquement une peine de mort", déplore Mario Alberto Chavez, candidat à la mairie de Zumpango del Rio (Guerrero) : récemment, alors qu'il dînait dans un restaurant, un homme armé a ouvert le feu en direction de sa table.

J'ai demandé plein de fois [aux autorités] de me donner des gardes du corps, mais on continue de m'ignorer.

Mario Alberto Chavez, candidat à la mairie de Zumpango

à l'AFP

Il faut remonter aux années 1990 pour comprendre le processus de violence dans lequel est engagé le pays. Autrefois cantonné au transit, le Mexique devient, à cette période, un lieu de production et de consommation de cocaïne. Les narcotrafiquants mexicains montent progressivement en puissance, au point de détrôner les Colombiens. Depuis cette époque, ils ont infiltré l’appareil d’État, de l’administration aux renseignements, en passant par la police. Mais en 2006, le président Felipe Calderon, tout juste élu, leur déclare la guerre, avec le soutien des États-Unis. "Il faut combattre les criminels parce qu'ici le seul patron de la ville, le seul patron du peuple, le seul patron de cet État, c’est l’État mexicain", déclare-t-il. 

Une guerre contre les cartels contre-productive

Pas moins de 100 000 agents des forces de sécurité sont déployés à travers le pays. En deux ans, près de 60 000 narcos sont arrêtés, dont 25 des 37 chefs de gangs les plus recherchés du Mexique. Au total, 4 000 tonnes de cannabis, 80 tonnes de cocaïne et 30 000 armes sont saisies. Ciudad Juarez, l’une des villes les plus dangereuses du monde, voit son taux de mortalité chuter.

Mais cette réussite de façade s'avère contre-productive : la guerre contre les cartels a fragmenté ces groupes criminels en cellules délictueuses plus petites et souvent très violentes. Les rivalités entre les nouveaux gangs se traduisent par une vague d’ultraviolence qui touche également la population civile. "Cette guerre contre la drogue, encouragée par Washington, a fait plus de 20 000 morts depuis 2006rappelle de son côté Libération. C'est l'autre terrorisme, plus local, mais tout aussi meurtrier, sinon plus, que celui des islamistes : le narcoterrorisme."

Pour la seule année 2017, 25 339 personnes ont été assassinées à travers le pays, un record en vingt ans. Et 2018 bat déjà de nouveaux records, avec 13 298 assassinats entre janvier et mai, soit 21% de plus que sur la même période l’année dernière.

En finir avec la corruption

"Aucun candidat ne peut vraiment promettre aux Mexicains que la violence va diminuer. Mais Andrés Manuel Lopez Obrador est parvenu à transmettre l’idée qu’il allait faire les choses différemment", explique la journaliste Emmanuelle Steels. Le candidat de gauche, surnommé "AMLO", est donné favori avec 25 points d'avance. Sa victoire mettrait fin à l'hégémonie du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI, centre), qui a gouverné le pays durant soixante et onze ans jusqu’en 2000. L'élection du conservateur Vicente Fox, du Parti d'action nationale (PAN), avait brièvement interrompu le règne du PRI. Celui-ci avait retrouvé le pouvoir en 2012 avec Enrique Peña Nieto. 

Andrés Manuel Lopez Obrador, qui se présente pour la troisième fois, promet d’en finir avec la corruption, qui est, selon lui, la cause principale de la violence. Il propose un changement de stratégie sur le plan sécuritaire, même si les détails de son programme dans ce domaine sont assez flous. Mais le besoin de renouvellement des Mexicains pourrait bien le porter au pouvoir. 

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