Bhoutan: à la recherche du bonheur perdu
Petite nation traditionnelle de l'Himalaya, coincée entre la Chine et l'Inde, le royaume était jusqu'ici célébré pour son indice de Bonheur national brut, qui veut donner la priorité au bien-être sur la puissance économique. Mais revers de cette médaille dorée, la jeunesse récuse de plus en plus cette réputation de pays du bonheur.
L'ancien roi du Bhoutan avait inventé dans les années 1970 ce concept : on mesure le bonheur des habitants d'un pays non seulement en fonction de la croissance économique, mais en prenant compte d'autres critères, tels que la sauvegarde de la culture, l'environnement et la bonne gouvernance. Mais «aspiré» par la mondialisation, le Bhoutan qui a autorisé les premiers touristes en 1974, la télévision en 1999 et la démocratie en 2008, semble avoir aujourd'hui perdu une certaine harmonie ancestrale.
«On peut voir que les gens ne sont pas heureux ici», assène Jim Wangchuk, travailleur social et ancien drogué, dans la capitale Thimphou où il œuvre dans un centre d'accueil pour les jeunes toxicomanes. Les autorités s'inquiètent de la consommation croissante des drogues, dans ce pays isolé du monde pendant des siècles. La consommation d'alcool, notamment un vin de riz fermenté fabriqué artisanalement, a toujours fait partie de la culture bhoutanaise. Mais les maladies du foie sont devenues l'une des principales causes de décès au grand hôpital de ce pays de 750.000 habitants.
Monarchie absolue jusqu'en 2008, le pays est désormais une monarchie parlementaire où le bouddhisme demeure religion d'Etat et imprègne la vie quotidienne. Mais le tissu social traditionnel se déchire peu à peu. Selon un des deux seuls psychiatres du pays, «le taux de criminalité augmente chaque année, avec l'apparition des cambriolages et des vols dans la rue, des délits inexistants il y a 10 ans». Selon lui, le chômage, avec la toxicomanie et l'alcoolisme qui l'accompagnent, est le principal défi que va devoir relever le pays.
«Quand je regarde les difficultés du pays, je ne vois pas de Bonheur national brut», déclare Jamyang Tsheltim, un étudiant de 21 ans. Au premier rang des inquiétudes, l'absence d'emplois qualifiés pour les jeunes d'un pays dont la moyenne d'âge est de 26 ans.
Peut-on parler d'un «Etat utopique»? «Il y a une inédaquation entre la demande et l'offre d'emplois», souligne le psychiatre Nirola. Les jeunes abandonnent l'agriculture, qui reste le principal secteur d'activités du royaume. Selon le journaliste Tenzig Lamsang, le pays souffre d'un «esprit de déni» vis-à-vis des problèmes nationaux. Le Bonheur national brut est devenu un concept «très intellectuel», populaire auprès des élites, mais qui ne veut plus dire grand chose pour la population. Le bonheur est un objectif que tout le peuple du Bhoutan tente de revendiquer et d'atteindre. Mais pour le moment, personne ne prétend que le Bhoutan a réalisé un Bonheur national brut.
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