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Au Brésil, personne n'a vu venir la contestation

Au onzième jour de contestation, et au lendemain de manifestations historiques au Brésil, la présidente Dilma Rousseff a réuni vendredi un cabinet de crise. A un an du Mondial de football, des dizaines de milliers de Brésiliens, jusqu'à un million jeudi soir, manifestent contre l'augmentation du coût de la vie. La contestation grandit au fil des jours. Pourtant, personne n'a vu venir la fronde.
Article rédigé par Typhaine Morin
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3min
  (Marcos Brindicci Reuters)

Ni le Parti
des travailleurs de la présidente Dilma Rousseff, ni les centrales syndicales, ni
les députés... Personne, semble-t-il, n'a vu venir la contestation sociale qui
agite le Brésil depuis onze jours. La présidente, au pouvoir depuis un an et
demi, a dû annuler une visite au Japon tant les rangs des manifestants
grossissent. Vendredi, elle a convoqué en urgence ses principaux ministres.

A un an du
Mondial de football, les Brésiliens protestent contre la précarité des services
publics, la hausse des produits alimentaires et la corruption. Une semaine
après le début des manifestations, déclenchées par la hausse du prix du ticket
de bus, Dilma Rousseff s'est adressé à son peuple, et s'est dite à l'écoute des "voix
de la rue"
. Mais ce message n'y a rien fait, les manifestations ont
continué.

 

 

Croissance
et prospérité

Depuis 10
ans, le Parti des travailleurs est au pouvoir. Pendant 10 ans, le Brésil a connu, et
en particulier au début de l'ère Lula, une période de prospérité, une
croissance économique allant même jusqu'à plus de 7% par an. "Mais maintenant,
le pays est affecté par la crise internationale"
, explique Janette
Habel, spécialiste de l'Amérique latine, professeur à l'Université de Nanterre
et à l'Institut d'Amérique Latine. Le pays est aujourd'hui confronté à une
désindustrialisation précoce.

*"Il y
a des éléments structurels objectifs qui sont la toile de fond de la crise,

  • souligne Mme Habel . Mais l'augmentation [des prix] des transports a été la
    goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Personne n'a vu venir"
    cette
    contestation. "Ce qui montre que l'on a une réelle coupure entre un Parti
    des travailleurs, des centrales syndicales, (...) la présidence de la République
    et le reste de la population."

Intransigeance
et aveuglement

Fin 2012, le
Brésil a connu une grande grève des fonctionnaires, un mouvement très suivi par
les universitaires et appuyé par les étudiants. "Or, explique la
chercheuse, Dilma Rousseff a opposé à cette grève et à ces revendications
une intransigeance très grande, qui a été très mal reçue, et notamment parmi
les jeunes."

Cette
intransigeance "a contrasté avec le traitement qu'elle a réservé à
certains secteurs de l'armée et à ses bonnes relations avec le patronat"
,
analyse Janette Habel. La chercheuse estime que la présidente "a
certainement fait une erreur qui témoigne d'un réel aveuglement"
, et que "l'appareil
gouvernemental et l'appareil général du Parti des travailleurs sont maintenant
beaucoup plus éloignés que par le passé des exigences de la population"
.

Classes
moyennes

Cette
contestation sociale met aussi en lumière le mauvais fonctionnement des
services publics et le fossé qu'il existe entre les riches et les classes
moyennes. "Si vous êtes contraints d'aller, par exemple, dans les hôpitaux
publics ou dans le système public, il y a un écart énorme"
avec le privé,
explique Mme Habel. Or, les classes moyennes brésiliennes n'ont pas accès à ces
services privés.

 

 

"Les
classes moyennes se sont plutôt des travailleurs qualifiés qui ont un emploi
stable, mais qui n'ont toujours pas suffisamment de revenu pour avoir accès à
des soins de santé ou d'éducation"
, explique la chercheuse, à l'inverse
des plus riches. Les classes moyennes font partie de ceux qui sont dans la rue
depuis 10 jours, avec des jeunes sans emploi, des travailleurs pauvres et des
gens qui viennent des banlieues.

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