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Birmanie : les Rohingyas rêvent toujours d'exil, malgré les dangers de la mer

Depuis deux semaines, 3 500 migrants rohingyas et bangladais sont arrivés sur les côtes de Malaisie et d’Indonésie, fuyant les persécutions et la pauvreté. Des centaines d’autres sont encore bloqués en mer. Des ministres d’Asie du Sud-est doivent se rencontrer ce vendredi pour trouver une issue à cette crise migratoire. Reportage dans les camps de déplacés, où beaucoup rêvent encore d'exil.
Article rédigé par franceinfo
Radio France
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  (Le camp de déplacés de The Kyaung. Les Rohingyas fuient les persécutions dont ils sont victimes en Birmanie. © Rémy Favre / RF)

Zura n’a plus de nouvelles de son conjoint, parti en Malaisie il y a quelques mois. Devant ses voisins, elle peine à admettre qu’elle n’attend plus son retour.

"Ceux qui sont revenus des bateaux ont dû payer 200 ou 300 dollars aux passeurs. Depuis que mon mari est parti, nous n’avons plus assez à manger. Le soir, je donne un sac en plastique à mon fils pour qu’il mendie. J’ai parfois un peu à manger de cette manière et je partage avec les villageois. Je n’ai pas d’argent pour le ramener, alors, s’il arrive à destination, et qu’il trouve un travail, il nous enverra de l’argent. Je me dis que ce serait bien pour nous... J’espère.. ."

L'enfer de la traversée 

Ceux qui sont revenus des bateaux, comme Mohamud, 15 ans, décrivent l'enfer de la traversée. Des conditions de vie extrêmement difficiles, comme lorsque les passeurs le battaient pour un simple verre d'eau.

"On ne peut pas s’asseoir convenablement ou s’allonger, il n’y a pas assez de place sur le bateau, il y en a qui sont malades, il y en a qui vomissent... Les passeurs jettent des corps à la mer, ils ne nous autorisaient pas à prier pour les morts, ils sont cruels... J’ai vu deux corps jetés à l’eau d’un autre bateau, pas du mien. Une nuit, les passeurs ont conduit une fille à l’arrière du bateau, je sais qu’elle a été violée, elle criait, elle ne voulait pas que les passeurs bouddhistes la touchent ".

  (Au marché de Thakkaypyin. Les Rohingyas fuient l'ouest de la Birmanie, une terre qu'ils jugent sans avenir © Rémy Favre / RF)

Hamid, 17 ans, écoute le récit de son ami Mohamud. Un récit qui ne le convainc pas. En dépit de tous les dangers, une seule solution, pour lui : partir.

"Mes parents me disent toujours que je ne fais rien de bien, alors, je vais partir. Je ne peux rien faire, ici. Si j’ai faim, je ne peux pas manger, si je veux me déplacer, je ne peux pas. Je peux aller à Té Tchang et Santchang, c’est à deux kilomètres d’ici, mais je n’ai pas le droit d’aller à Rangoon, je n’ai pas le droit de retourner dans mon village natal. Nous ne pouvons pas aller où nous voulons. Si je veux lancer une affaire, je ne peux pas, je n’ai pas d’argent, alors pourquoi rester ici ? C’est un pays bouddhiste, il faut partir ".

Reportage de Rémy Favre, dans les camps de déplacés rohingyas, en Birmanie

L'exil, seul moyen d'échapper à la "prison" des camps

Hamid parle de son camp de déplacés et des villages alentour comme d’une prison. "La prison des 3 milles", comme il dit. Les Rohingyas n’ont pas le droit de quitter cette bande de terre bordée par l’océan d’un côté et des villages bouddhistes de l’autre.

"Je n’ai rien ici, alors, pourquoi est-ce que j’aurais peur ? Je n’ai pas peur. Si je suis face à face avec un trafiquant, je le tuerai. Si c’est lui qui me tue, tant pis. Je m’en moque, je ne serai pas moins heureux qu’ici ".

La semaine dernière, les autorités birmanes ont remorqué vers leurs côtes un bateau avec 200 migrants à bord. C’est la première fois qu’elles venaient en aide aux réfugiés en mer. En Thaïlande, les forces de l’ordre ont démantelé plusieurs filières de passage. Malgré cela, dans les camps d’où partent les Rohingyas, les trafiquants ne craignent pas la police, comme l’explique ce passeur.

  (Au marché de Thakkaypyin. Malgré les dangers en mer, beaucoup de Rohingyas songent encore à fuir en Malaisie © Rémy Favre / RF)

"Je connais une centaine d’autres passeurs dans cette région et la police n’en a pas mis en prison un seul. Elle leur prend de l’argent, et elle les laisse faire leur travail. La police sait tout. Au commissariat numéro 1 de Rashipori, il y a la liste des passeurs. Récemment, elle a arrêté deux passeurs et elle les a relâchés. Ils ont donné 1500 dollars ".

Au camp de Say Tha Mar, les hommes réparent les toits des abris en prévision de la mousson qui va bientôt s’abattre sur l’Arakan. A cette saison, la mer est agitée et les départs en bateau vers la Malaisie, beaucoup moins nombreux.

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