"À quel point ce type de substance va affecter nos vies ?" : les Brésiliens démunis face à la marée noire qui continue de souiller leurs côtes
Le Brésil est touché par une marée noire sans précédent. Les habitants ont le sentiment d'être abandonnés par le gouvernement, face à une crise environnementale hors norme.
"Tu arrives à le voir ? Tu le vois ?" : à marée basse, avec ses gants en plastiques et son masque de protection autour du cou, Vandecio de Santana montre dans la mangrove les dernières traces brillantes du pétrole accroché aux racines. Nous sommes à 20 minutes en barque d'une des plages de Cabo de Santo Agostinho (Brésil), face aux derniers restes visibles de la pollution. "Cette partie-là de la mangrove, tu vois, elle est déjà morte. La tâche de pétrole est accrochée aux racines", explique-t-il.
Il y a trois mois, une mystérieuse marée noire s'est abattue sur le nord-est du Brésil. À tel point que depuis quelques jours, de minuscules boulettes de pétrole ont été retrouvées à 300 kilomètres de Rio de Janeiro. Une crise environnementale hors norme, la suite d’une pollution monstre qui a déjà souillé plus de 2 000 km de côtes.
Les touristes, grands absents des côtes
À Cabo de Santo Agostinho, dans l'Etat de Pernambouc, il a fallu une quinzaine de jours pour nettoyer. Mais le secteur n’arrive toujours pas à tourner la page. La population vit principalement de la pêche et du tourisme, mais malgré la saison haute, l'activité est au ralenti. "Ça fait deux mois, presque trois que les dégâts s’accumulent. Les touristes ne viennent plus, déplore Vandecio de Santana, les gens ici veulent reprendre le cours normal des choses mais les touristes se sont éloignés."
On préfère n’importe quelle promotion dans un centre commercial plutôt que de venir passer le week-end ici, ce qui était impensable avant ! L’impact est total
Vandecio de Santanaà franceinfo
Pour tenter de sauver leur outil de travail, les Brésiliens ont eux-mêmes assuré le nettoyage des plages. Un protocole d’intervention a été mis en place par l’organisation environnementale "Salve Maracaípe" ("Sauvons Maracaípe"). Avant cela, le premier travail s’est fait à main nue, avec un risque sanitaire encore mal évalué. "Basiquement, ça crée des irritations de la peau, des mots de tête, ça irrite les yeux, raconte le responsable de l'ONG Sidney Marcelino Leite. C’est ce qu’on a constaté, mais on ne sait pas ce que ça peut faire sur le moyen et le long terme."
4 000 volontaires mobilisés
D’après l’organisation, 4 000 volontaires ont été mobilisés sur les différentes plages de la région, au plus fort de la crise. La principale agence de voyage de la région a affrété 30 bus pour convoyer les gens. Les citoyens ont eux-mêmes défendu la ressource locale, selon Erika Costa de l’agence de voyage Luck Receptivo: "Les volontaires, ce ne sont pas seulement des gens impliqués dans les ONG mais des gens qui sont venus des communautés locales, des gens de la région et des environs. Évidemment, le tourisme est l’une des principales activités ici, du coup, il y a eu une forte mobilisation dans le secteur privé."
Dans cette pollution, l’armée a été mobilisée très tardivement. Les habitants ont le sentiment d’avoir été laissés seuls en première ligne, malgré l’ampleur de la catastrophe. Pour Sidney Marcelino Leite, "c'est ce qu'on appelle du racisme environnemental". Selon lui, la région a été totalement exclue. "Je vous garantis que si c’était arrivé à Rio, tout ça serait déjà réglé. Ils auraient déjà identifié la source du problème, mais comme c’est arrivé dans notre région, ils ont laissé le pétrole", dénonce-t-il.
Ce crime est devenu un désastre à cause du racisme environnemental
Sidney Marcelino Leiteà franceinfo
Et c'est bien l’autre critique en direction du gouvernement Bolsonaro : il n’y a pas de transparence et de certitudes sur l’origine, la nature, et la toxicité de cette pollution. D’après un biologiste universitaire, le pétrole a pénétré profondément dans le sable. Il y aurait un risque pour les écosystèmes, mais il n’y a pas d’analyses fiables sur lesquelles s’appuyer.
"Qu’est ce qui va arriver ? C’est ça la vraie question", lâche Vivian Chimendes, travaillant pour la protection des tortues. "À quel point ce type de substance va affecter nos vies, les animaux, des personnes qui ont besoin du littoral pour survivre ? On ne sait pas combien de temps ça peut durer. Est-ce qu’il va y avoir de nouveau du pétrole ou est-ce que c’est fini ?", s'interroge-t-elle. Dans ce secteur, une tortue et plusieurs oiseaux ont été tués par cette pollution. Les pêcheurs demandent des indemnisations qu’ils n’ont toujours pas touchées.
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