"Les années Bolsonaro, c'est la violence au pouvoir" : la productrice d'un documentaire sur le président sortant évoque ses craintes face à l'élection au Brésil
Alors que les Brésiliens sont appelés aux urnes, dimanche, pour élire leur nouveau président, un documentaire intitulé "Jair Bolsonaro, un autre Brésil" est diffusé le soir même sur France 5.
C'est une élection présidentielle sous haute tension qui s'apprête à se tenir au Brésil. En lice, le président sortant Jair Bolsonaro, candidat de l'extrême droite, face à l'ex-président de gauche Luiz Inácio Lula da Silva. Un duel tendu dans un pays plus divisé que jamais que décrypte, à travers le parcours du président sortant, le documentaire produit par la journaliste Stéphanie Lebrun. Jair Bolsonaro, un autre Brésil, réalisé par Ingrid Piponiot et Laetitia Rossi, est diffusé le soir du premier tour du scrutin, dimanche 2 octobre, à 20h55 sur France 5.
Franceinfo : Qu'avez-vous voulu montrer à travers ce documentaire ?
Stéphanie Lebrun : Nous étions soucieux de montrer comment le visage du Brésil avait changé durant les quatre années de présidence de Jair Bolsonaro et à quel point les problèmes que rencontrait ce pays étaient exacerbés depuis son arrivée au pouvoir. Pour cela, nous avons décidé de retracer l'ascension et la pratique du pouvoir de l'actuel président brésilien. A l'instar d'un Donald Trump aux Etats-Unis, il est populiste, provocateur, anti-système et a profité de la défiance grandissante de la population envers les politiques. Une défiance qui a poussé les Brésiliens à mettre au pouvoir cet ancien militaire, que personne ne connaissait et auquel personne ne croyait.
La dégradation de la situation économique du Brésil a elle aussi profité à Jair Bolsonaro en 2018…
Oui, c'est certain. Lorsque j'ai installé mes sociétés de production, Babel Press et Babel Doc, en 2013 au Brésil, c'était un pays en pleine mutation, en pleine croissance. Nous étions encore dans les années fastes. La Coupe du monde de football 2014, ainsi que les Jeux olympiques de 2016 se préparaient. Il y avait des promesses de prospérité, une effervescence et une énergie qui portaient cette nation. Mais dès l'été 2013, nous avons décelé les premiers signes de fractures qui se sont traduits par de grosses manifestations à Rio de Janeiro et à São Paulo, et nous nous sommes rendu compte que derrière la carte postale, l'ambiance festive, le bien-vivre ensemble, la paix sociale n'était qu'apparente. Il y a de profondes inégalités sociales qu'une grande partie de la population n'a pas envie de régler et un racisme très ancré.
Et puis il y a eu le vaste scandale de corruption Petrobras…
Oui, en 2014, parallèlement à la Coupe du monde, éclate l'affaire Lava Jato qui va éclabousser les fleurons de l'industrie comme Petrobras, des politiques de tous bords, et aussi l'ancien président Lula, chef historique du Parti des travailleurs (PT). Cette énorme enquête, menée au sein des partis politiques et des plus grosses entreprises brésiliennes, va envoyer en prison un grand nombre d'entrepreneurs et de politiciens, parfois à tort, dont Lula, accusés de corruption. Il a été blanchi depuis mais à partir de là, tout s'effondre. La défiance envers les politiques et la déliquescence économique font le terreau de la victoire de Jair Bolsonaro, qui va jouer à fond la carte de l'homme nouveau, providentiel, vierge de tout scandale. De plus, l'énorme soutien, à l'époque, des pasteurs évangéliques va également le propulser au pouvoir.
Que s'est-il passé depuis qu'il a été élu ?
Durant sa présidence, le Brésil a fait un énorme bond en arrière. Nous avons découvert un autre pays. Un Brésil très rétrograde, centré sur les valeurs de la famille et de la patrie. Une forme de nostalgie passéiste. Mais au-delà de cela, il y a une fracture sociale énorme. En 2014, des sources officielles disaient que la faim avait disparu du pays, qu'il n'y avait plus d'insécurité alimentaire.
"Aujourd'hui, on constate que les gens ne mangent pas à leur faim. La petite classe moyenne ne parvient plus à payer son loyer et se retrouve à la rue. Dans les grandes villes, énormément de gens dorment dehors."
Stéphanie Lebrun, productriceà franceinfo
La violence a atteint des niveaux dignes des années 1990-2000 avec les favelas qui sont à nouveau sous la coupe des gangs et une police militaire équipée d'armes de guerre. Il y a donc un nombre record de morts par balle perdue. C'est devenu le quotidien alors que des efforts avaient été faits sous les présidences de Lula et de Dilma Rousseff avec, entre autres, des polices de proximité qui apaisaient un peu les choses. Faute de moyens, ces équipes ont disparu.
Comment va se passer, selon vous, cette élection ?
C'est l'incertitude totale. Tous les observateurs considèrent que le scénario est imprévisible, même si aujourd'hui Lula est crédité, selon les sondages, d'environ 45% d'intentions de vote au premier tour et Jair Bolsonaro de 30%. Donc nous devrions retrouver les deux candidats au second tour. L'un des problèmes est que le premier tour des élections se tient le 2 octobre et que le second n'est que le 30 octobre. Il peut se passer beaucoup de choses dans ce laps de temps, ce qui peut être un risque.
Et puis la dynamique de la vie politique a changé après quatre ans de Bolsonaro, car il n'a pas de parti derrière lui, nous sommes dans la personnalisation du pouvoir. Il s'agit du combat d'un homme contre un autre. Lula a 76 ans, il a dû composer et faire alliance avec des partis de droite. Tout le monde se demande quelle marge de manœuvre il aura s'il est élu. Il est sur un programme très anti-Bolsonaro, il est beaucoup sur son passé et n'a pas réellement de vision. Il n'a rien à proposer à part dire : "Il ne faut pas que ce soit Bolsonaro."
Jair Bolsonaro serait-il capable d'accepter sa défaite ?
Tout le monde se pose la question. Il n'a cessé de souffler le chaud et le froid. Durant tout l'été, il a évoqué des soupçons de fraude électorale avec le système de vote électronique. Dernièrement, il est revenu en arrière et a déclaré qu'il accepterait le résultat des urnes. Mais le problème, c'est qu'il a tellement chauffé ses partisans qu'eux risquent de ne pas accepter sa défaite. Ils sont prêts à tout et sont persuadés que si Bolsonaro perd, c'est qu'il y aura eu fraude. Ils ne peuvent pas imaginer qu'il ne soit pas réélu. Parmi ses supporters, il y a des groupes de motards, avec qui Bolsonaro est en lien direct, et qui sillonnent le pays pour relayer ces rumeurs de fraude potentielle.
Tout le monde craint évidemment ce qui s'est produit lors de l'élection américaine au Capitole. Et ce que tout le monde s'accorde à dire, c'est que quatre ans de Bolsonaro, c'est la violence au pouvoir. C'est la violence des mots, des gestes. Une violence qui a gangréné toute la société. On sait que Lula est très menacé, il ne se déplace pas sans gilet pare-balles et ses meetings se tiennent dans des conditions de sécurité optimales. Il est clair que cette campagne ne se déroule pas dans un climat démocratique serein et peut laisser craindre le pire.
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