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Le Brexit vu du Commonwealth: mauvais pour le business

Au sein du Commonwealth, la tendance est plutôt au «Bremain». En cas de Brexit, les groupes australiens, canadiens et indiens, les plus présents en Grande-Bretagne, perdraient leur fenêtre sur l'Europe. Quant aux pays africains, la plus forte délégation régionale du Commonwealth, l'unique argument en faveur du «Out» est la perspective de négocier des contrats commerciaux bilatéraux.
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min

Dans les pays du Commonwealth, le Brexit n'a pas la cote. Notamment ceux avec lesquels la Grande-Bretagne a les relations commerciales les plus étroites comme l’Australie, le Canada et l’Inde. A l'instar de tous les partenaires du Royaume-Uni, leurs craintes sont avant tout économiques.

Pour le gouverneur de la Banque centrale du Kenya, Patrick Njoroge, «ce sera un désastre». «Nous sommes connectés à tous les marchés extérieurs. Si la volatilité s'y installe, nous seront touchés car nous n'avons pas pris d'assurance contre une telle situation. Il n'y aura nulle part où se cacher», rapporte l'Agence Ecofin. 

Les risques concernent aussi les investissements directs. Au sein du Commonwealth, l’Australie est le pays qui détient le plus d’entreprises en Grande-Bretagne même si ce sont les entreprises indiennes qui réalisent les plus importants chiffres d’affaires, selon les statistiques officielles britanniques

«Ceux qui voteront pour la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union ne doivent en aucun cas espérer la gratitude des Australiens ni de quiconque appartenant à l’Anglosphère (pays qui ont en partage la langue anglaise)», souligne le directeur exécutif du think tank The Lowy Institute, Michael Fullilove, cité par Business Insider Australia. En premier lieu, ils se mettront à dos le monde des affaires qui milite en faveur d'un Bremain (Britain+remain). Plus généralement, un peu plus de la moitié des Australiens sont défavorables au Brexit, selon une étude réalisée par The Lowy Institute. S'ils résidaient au Royaume-Uni depuis au moins quinze ans, à l'instar de tous les ressortissants des 53 pays du Commonwealth, ils pourraient exprimer leur opinion dans les urnes lors du référendum du 23 juin 2016.  


Hors de l'Europe, la Grande-Bretagne est moins attractive
Pour l’ambassadeur australien en Grande-Bretagne et ancien ministre des Affaires étrangères, Alexander Downer, le référendum sur le Brexit génère de «l’incertitude» au niveau des relations commerciales avec le Royaume-Uni (que les Australiens évaluent à environ 10 milliards de dollars) entre les deux pays, selon le site d'informations australien News.com.au. Les investissements des entreprises australiennes sont motivés par le fait que la Grande-Bretagne est une porte d’entrée vers l’Europe. Les Indiens font également le même calcul et parlent aussi «d’incertitude».

L’Inde investit en Grande-Bretagne plus qu’ailleurs en Europe, ce qui en fait le troisième plus gros investisseur en Grande-Bretagne en termes d’investissements directs à l'étranger. «L’accès au marché européen est l’une des raisons majeures pour lesquelles les entreprises indiennes vont au Royaume-Uni», explique Chandrajit Banerjee, le directeur général de la Confédération de l’industrie indienne dans les colonnes du journal indien The Economic Times

«Tout ce qui diminuerait cette attractivité aura une incidence sur les futures décisions d’investissement. Il est important pour les centaines d’entreprises indiennes basées en Grande-Bretagne de pouvoir accéder au marché européen», poursuit-il. En termes de commerce bilatéral, la Grande-Bretagne occupe le 12e rang des pays avec lesquels l’Inde échange le plus et compte parmi ceux avec qui sa balance commerciale est excédentaire. Pour 2015-2016, les échanges entre les deux pays ont atteint 14,02 milliards de dollars.
 
Les Canadiens préféreraient aussi que les Anglais demeurent dans l’Union. «Nous avons une relation forte avec l'Europe unie et nous espérons certainement que cela se poursuive, a déclaré le Premier ministre Justin Trudeau en mai 2016. Je crois que nous sommes toujours mieux lorsque nous travaillons aussi étroitement que possible ensemble. Le séparatisme, ou la division, ne semble pas être une voie productive pour les pays.» 

«Les hommes d'affaires canadiens qui investissent en Grande-Bretagne devront revoir leurs stratégies», a indiqué Bill Morneau, le ministre canadien des Finances, rapporte Business News Network. «Nous observons et nous sommes anxieux», a-t-il poursuivi. Même si le Canada n'exporte que 3% de sa production vers la Grande-Bretagne, soit environ 16 milliards d'euros, le Royaume-Uni est le troisième pays vers lequel les Canadiens exportent le plus. Certains Etats canadiens seraient d'ailleurs particulièrement sensibles au Brexit de ce fait. A savoir le Newfoundland et le Labrador qui comptent pour environ 7% des exportations du Canada vers la Grande-Bretagne quand l'Ontario, lui, contribue à plus de 5%. 

Dans une tribune dans le Telegraph, l'activiste Tamara Chabe qui milite en faveur du Brexit avance que les taux de croissance au sein de l’Union stagnent alors que de nombreuses économies du Commonwealth et plus largement de l’Anglosphère sont en pleine croissance. Ainsi son appartenance à l’Union empêcherait la Grande-Bretagne de conclure des accords bilatéraux avec l’Inde qui est l’un de ses pays en pleine croissance.

Autre argument choc avancé par Tamara Chabe: la politique britannique en matière d’immigration favoriserait les citoyens européens au détriment de ceux du Commonwealth.

Les membres actuels du Commonwealth en bleu, les anciens membres (Irlande, Zimbabwe et Gambie) en rouge.


Un renouveau des relations commerciales des pays africains avec la Grande-Bretagne?  
Outre les principaux partenaires commerciaux de la Grande-Bretagne, le Brexit aura des conséquences sur le continent africain d'où est originaire le plus important contingent de pays membres du Commonwealth. Ceux qui sont favorables à une sortie de l'Union pointe la Politique agricole commune (PAC), un dispositif protectionniste qui aurait «un impact dévastateur sur l’agriculture et la croissance économique en Afrique», s’insurge Tamara Chabe dans les colonnes du Telegraph.

«Cette politique maintient au plus haut le prix des denrées alimentaires et les excédents, subventionnés, sont vendus sur le marché africain». Ce qui constitue un dumping en règle. Pour cette pro-Brexit, l’Union européenne aide financièrement les pays africains tout en mettant en œuvre des pratiques commerciales qui handicape leur croissance. 

Tamara Chabe cite notamment l’Ougandais Simon Akaki, à la tête d’une organisation baptisée Democratic Institution for poverty reduction in Africa, qui milite également pour le Brexit. Selon ce dernier, «aucun autre bloc que l’Union européenne n’applique des mesures aussi protectionnistes envers l’Afrique». L’Afrique du Sud est le seul Etat du continent qui dispose d’un accord de libre-échange avec l’Union européenne. Un pays qui a estimé, par la voix de son ministre des Finances Pravin Gordhan, qu’un Brexit lui «compliquerait la vie»



La renégociation des accords commerciaux qui lient la Grande-Bretagne à ses partenaires africains est l'argument phare de ceux qui sont favorables au départ de la Grande-Bretagne. Avec le Brexit, «nous serons en mesure de nous focaliser advantage sur nos relations avec l’Afrique et nos partenaires historiques», a confié à RFI James Duddrige, ministre britannique pro-Brexit chargé de l’Afrique . 

«Si la Grande-Bretagne sortait, çela lui permettrait de négocier des accords commerciaux bilatéraux avec les pays du Commonwealth», explique l’économiste sénégalais Sanou Mbaye. «Cependant, ajoute-t-il, négocier des accords commerciaux, ça prend du temps.» Le Premier ministre canadien avait ainsi noté, rapporte Reuters, «qu'il a fallu (à son pays) près d'une décennie pour négocier l'accord avec l'UE, qui n'est toujours pas entré en vigueur». D’autant qu’il faudra également des années pour que la Grande-Bretagne sorte elle-même de ses accords avec l’Europe.

Mais les nouveaux accords seront-ils plus intéressants? «Rien ne peut être pire que ce qu’on nous impose avec les APE (Accords de partenariat économique) qui visent davantage à une libéralisation de nos marchés, dixit Sanou Mbaye. Ce qui bloque les pays africains dans leur processus d’industrialisation.» Cependant, ajoute l'économiste, «je ne vois pas la logique qui prévaut au Brexit d’autant que le Royaume-Uni n’appartient pas à l’Europe mais à un marché commun qui compte pour 60% de ses échanges commerciaux.» Si le Brexit ne semble pas présenter d'avantage particulier pour les partenaires de la Grande-Bretagne, Sanou Mbaye insiste sur le fait qu'il constitue un danger majeur pour le Royaume-Uni qui risque, lui, d'imploser, entre autres à cause de la position de l'Ecosse sur la question. 

L'unique avantage que présente le Brexit pour les pays africains paraît illusoire. Contrairement aux conséquences mises en avant par Mariama Sow et Amadou Sy de l’Institut de recherche Africa Growth Initiative qui semblent plus immédiates. Le processus menacerait surtout la politique de développement de l'Union européenne. La Grande-Bretagne, qui fait preuve d'un engagement inédit en faveur du développement en Afrique, est l'un des plus importants contributeurs des fonds d'aide de l'Europe. La présidence britannique du G8 en 2005 avait notamment permis l’annulation de la dette des pays les plus pauvres. Par ailleurs, le Brexit affaiblirait les liens commerciaux de la Grande-Bretagne avec les pays africains, compte tenu du temps nécessaire à la renégociation de nouveaux accords avec le continent.
 
Si le Brexit inquiète de manière générale, il ne semble pas obséder les responsables africains. L'Agence Ecofin notait en avril 2016 que «les conséquences directes d’un Brexit sur les économies africaines ne semblent pas faire l'objet de discussions particulières entre les leaders politique de la région»

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