Grand format

GRAND FORMAT. L'architecture française made in China

franceinfo le lundi 22 octobre 2018

Tienduchang. 107 mètres pour cette Tour Eiffel chinoise au sud de Shanghai. (Noé Pignède)

Sous le soleil glacial de décembre, quelques voitures luxueuses contournent la pelouse noircie par le gel. Une allée goudronnée enjambe les larges douves qui encerclent le magnifique château du XVIIe siècle. On s'y croirait, ou presque. Bienvenue au Beijing Laffitte, hôtel quatre étoiles situé à 30 kilomètres du centre-ville de Pékin, réplique quasi parfaite du château de Maisons-Laffitte, construit par l'architecte François Mansart en banlieue parisienne, dans les Yvelines.

Le palais du "Garde rouge"

Pour son propriétaire Zhang Yunchan, ancien "Garde rouge" devenu magnat de l'immobilier, cet hôtel est bien plus qu'un business. S'il avait depuis longtemps l'idée de reproduire un château français, Beijing Laffitte est le fruit d'un coup de foudre, lors d'une visite à Paris en 2001. "Après notre visite à Maisons-Laffitte, il m'a simplement dit : 'Je ne veux plus rien voir d'autre. Je veux le même'", se souvient Françoise Onillon, consultante française qui a accompagné le projet. Trois ans et 40 millions d'euros plus tard, l'hôtel ouvre ses portes en 2004.

Beijing.  Une fresque inspirée du plafond de la chapelle Sixtine côtoie des anachroniques tapisseries moyenâgeuse et des peintures de chasse à courre..  crédit : Noé Pignède (Noé Pignède)

"C'est une réplique, pas une copie", insiste M. Yang, assistant personnel du propriétaire. "Finalement, je ne dirais même pas que c'est une réplique, car notre château mêle différentes architectures, reprend-il. Je pense que c'est une création à part entière." Devant l'édifice, trônent des arches inspirées du Vatican. Les ailes du château, quant à elles, rappellent celles de Versailles. Loin des pelouses épurées du château de Maisons-Laffitte, des statues et fontaines chargées, où l'on peut reconnaître les mythologies égyptienne, gréco-romaine et des dragons chinois, jalonnent les allées du jardin. A l'intérieur, les tableaux et tapisseries ne s'encombrent pas non plus de cohérence historique : on y mêle Moyen Age, chasse à courre XIXe et fresques bibliques inspirées de la chapelle Sixtine à Rome, le tout illuminé par des néons bleus. "Toutes les œuvres sont faites par des artisans chinois", s’enthousiasme M. Yang.

Dans le hall d'entrée, la clientèle se fait discrète. Plus de soixante-dix chambres, deux restaurants – l'un chinois, l'autre français – et une cave à vin avec salon de dégustation. A la carte, château-margaux 1997, chablis premier cru et millésimes australiens. Tous les ans à Beijing Laffitte, on fête même le beaujolais nouveau. "La clientèle est chinoise, mais aussi étrangère, assure M. Yang. Certains Pékinois viennent également jouer au golf ou se reposer pour la journée." Un lieu agréable pour Li et Zenbang, un jeune couple qui habite à côté de l'hôtel : "On vient très souvent ici pour se relaxer, profiter de la piscine et faire du sport. C'est un magnifique lieu, on se croirait en Europe." Les amoureux finissent souvent autour d'un repas au restaurant français. Pour s'offrir une nuit dans cet hôtel unique, les clients doivent débourser 1 000 yuans (environ 120 euros). Six fois plus pour la suite présidentielle. Pas donné, si l'on considère que certaines chambres sont dépourvues de fenêtres et que la peinture jaunie des murs craquelle.

Pour les plus jeunes, c'est aussi l'occasion de venir prendre des photos, qu'ils postent instantanément sur WeChat, le Facebook chinois. "Comme ça, ils peuvent faire croire à leurs amis qu'ils sont en Europe", plaisante Lan, jeune Chinoise de 25 ans, qui visite Beijing Laffitte pour la première fois. Pour les Pékinois, les marches du château sont également un lieu privilégié pour leurs clichés de mariage. Une église a même été aménagée dans le château pour accueillir les cérémonies.

Little Paris : Haussmann "copié-collé"

Tienducheng. De nombreux mariés font le déplacement pour faire leurs photos souvenirs devant cette tour Eiffel chinoise. (Noé Pignède)

A Tienducheng, en périphérie de Hangzhou, à 200 kilomètres au sud de Shanghai, d'autres futurs mariés prennent la pose. Malgré le brouillard mêlé à la pollution, les couples se succèdent en haut des marches qui surplombent la ville. En arrière-plan, une avenue aux accents haussmanniens, et une tour Eiffel, réplique d'une centaine de mètres, un tiers de l'originale. Sous l'édifice, des ouvriers désherbent la pelouse de la place centrale, qui ressemble plus à un gros rond point qu'au Champ-de-Mars. Construit en 2007, ce quartier d'immeubles en pierre de taille trop blanches se veut français. Un projet faramineux, lancé par la société immobilière Zhejiang Guangsha Co. Véritable échec à son lancement, Little Paris était une ville-fantôme. Trop chère. Trop loin du centre. Mais le promoteur a fini par revoir les loyers à la baisse, et des vêtements pendent désormais aux fenêtres des appartements. Sur les balcons, des fausses fleurs aux couleurs criardes remplissent les jardinières. Au pied des immeubles, des paysans vendent du chou et des pommes de terre sur les pavés. Scène banale de la vie quotidienne chinoise, dans un Paris en toc.

 Tienduchang. À “Little Paris”, les habitants font leur marché. Mais sur les étales, pas de poulets rôtis ni de topinambours.   (Noé Pignède)

Au bout de la grande avenue, un palace cinq étoiles accueille des touristes chinois. "C'est très beau, ça nous donne l'impression de voyager. On aime admirer la vue quand on fait du sport depuis l'hôtel", s'enthousiasme un couple de clients, la quarantaine, qui vient de Pékin pour passer des vacances. On finit par prendre un selfie avec eux. "Avec vous sur la photo, on est vraiment comme à Paris !"

Dynasty : un château sous le smog

Tianjin.  Il est midi dans l'une des villes les plus polluées de Chine. La météo annonce un grand soleil, pourtant le château Dynasty reste grisâtre sous le smog. (Noé Pignède)

Au pied d'une bretelle d'autoroute, noyés dans la brume toxique qui s'échappe des centrales à charbon environnantes, on peine à distinguer les contours du château Dynasty. Derrière les grilles en fer forgé surmontées d'un blason, des tonneaux de vin décorent l'allée déserte. Au bout, une pyramide du Louvre salie par la poussière détonne avec l'architecture Renaissance de l'édifice. Nous sommes à une centaine de kilomètres de Pékin, dans la ville industrielle de Tianjin. Derrière cette œuvre grandiloquente, Bai Zhisheng, haut dignitaire communiste et fondateur de Dynasty. Réplique du château de Montaigne, près de Saint-Emilion, demeure du philosophe du même nom, cette vitrine à 18 millions d'euros de la troisième entreprise viticole de Chine était destinée à la dégustation et la vente de vin. Ses 11 000 mètres carrés de salons dorés, salles de bal et chambres luxueuses sont désormais fermés au public, laissés à l'abandon huit ans après son inauguration. Et pour cause, le groupe Dynasty, copropriété du gouvernement local de Tianjin et de la société Rémy Martin, l'une des premières productrices de cognac en France, accuse des pertes colossales : 135 millions d’euros entre 2012 et 2015. Un échec architectural et commercial. L'architecture française n'est pas la seule à inspirer la Chine. De l'opéra de Sydney aux villages autrichiens, l'empire du Milieu n'en a pas fini avec les copies. En 2022, une reproduction du Vieux-Québec devrait sortir de terre près de Shanghai. Une nouvelle vitrine commerciale pour un géant de l'industrie hôtelière chinois. Bien plus qu'une ouverture aux cultures européennes, c’est une réappropriation marketing de l'architecture occidentale qui est à l'œuvre. La matérialisation d'un fantasme façonné par le cinéma et les sitcoms. Des lieux qui projettent l'Europe comme les Chinois l'imaginent : riche et libre.

Reportage, textes et photos : Justine Reix et Noé Pignède 

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