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Hong Kong : cinq questions sur la loi sur la sécurité nationale qui vise à endiguer les manifestations

Le gouvernement chinois ne s'en cache pas : "Pour les membres de la petite minorité qui menace la sécurité nationale, cette loi sera un glaive suspendu au-dessus de leur tête", a-t-il fait savoir. Les manifestants pro-démocratie sont particulièrement visés, et le statut d'autonomie du territoire paraît de plus en plus menacé.

Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Temps de lecture : 9min
La police anti-émeute avance vers les manifestants réunis pour le 23e anniversaire de la rétrocession de Hong Kong à la Chine, le 1er juillet 2020. (TYRONE SIU / REUTERS)

Face à la défiance des Hongkongais, Pékin a décidé de frapper fort. La loi sur la sécurité nationale imposée par la Chine à Hong Kong, qui donne au régime communiste des pouvoirs judiciaires sans précédent dans l'ancienne colonie britannique, a été promulguée mardi 30 juin.

Le texte est perçu par ses détracteurs comme l'atteinte la plus grave aux libertés de la "région administrative spéciale" depuis sa restitution à la Chine en 1997. Extrêmement dur envers les manifestants pro-démocratie hongkongais et même pour les étrangers critiques du régime de Pékin, ce texte contient une série de mesures visant à affaiblir le statut de ce territoire, qui lui garantit encore une certaine autonomie.

1Que contient le texte de loi ? 

La loi sur la sécurité nationale réprime quatre types d'infractions : "séparatisme", "subversion", "terrorisme" et "collusion avec des forces extérieures et étrangères". Au chapitre du "terrorisme", figurent des délits tels que le sabotage des moyens de transport. Les crimes de "subversion" et de "séparatisme" y sont définis comme le fait "d'inciter à la haine des gouvernements" ou de défendre des opinions indépendantistes. Dans la catégorie de "collusion avec l'étranger", seront notamment poursuivis les actes "d'incitation à la haine envers le gouvernement de Hong Kong ou de la Chine" ou encore "la manipulation ou le sabotage électoral"

Pékin va également mettre en place dans le territoire autonome un Bureau de défense de la sécurité nationale qui relèvera directement du gouvernement central et dont les agents ne seront pas soumis au droit local. Ce nouveau bureau a pour tâche de "réunir et analyser des renseignements et des informations" et de "s'occuper" des infractions en matière de sécurité nationale. Les pouvoirs publics prendront, par ailleurs, "les mesures nécessaires pour renforcer l'encadrement (...) des organisations non gouvernementales étrangères ou extérieures et des organes d'information".

Un policier dans le centre commercial de Times Square, qui a été envahi par les manifestants lors d'un rassemblement contre la loi sur la sécurité nationale, le 1er juillet 2020, à Hong Kong. (ALASTAIR PIKE / AFP)

Chacun de ces crimes est passible de la peine d’emprisonnement à vie, quand on en est l’organisateur. La loi institue, à ce titre, des tribunaux spéciaux dont les juges ne sont pas soumis à la loi de Hong Kong. Dans certains cas, impliquant "un pays étranger ou des éléments extérieurs", relevant d'une "situation grave" ou encore d'une "menace majeure et imminente", les personnes suspectées pourront être déplacées en Chine pour y être jugées. Une police spéciale s’occupera, à Hong Kong, d'enquêter et de réprimer ces crimes. 

2Pourquoi ce texte constitue-t-il une menace pour les manifestants hongkongais ? 

Moins de 24 heures après l'entrée en vigueur de la loi sur la sécurité nationale imposée par Pékin à Hong Kong, la police avait déjà procédé aux premières arrestations en vertu de ce texte. "Sept personnes ont été arrêtées pour violation présumée de la loi sur la sécurité nationale", a annoncé la police. "Pour les membres de la petite minorité qui menace la sécurité nationale, cette loi sera un glaive suspendu au-dessus de leur tête", avait clairement averti le gouvernement chinois.

Des manifestants protestent contre la loi sur la sécurité nationale à Hong Kong, le 1er juillet 2020. (ANTHONY WALLACE / AFP)

Quiconque organise ou participe à des actes considérés comme relevant du séparatisme ou de la subversion peut être poursuivi, qu'il ait ou non recouru à la force ou à la menace de la force. "Dans les faits, grâce au délit de subversion, les seuls faits de manifester, de diffuser des slogans anti-Pékin ou d'émettre une opinion favorable à l'indépendance de Hong Kong, de Taïwan ou du Tibet, pourraient être passibles d'une peine de prison", explique à franceinfo Jean-Louis Rocca, professeur à Science Po et chercheur au Centre de recherches internationales (Ceri). L'un des manifestants hongkongais arrêtés dans la journée avait simplement posé sur un trottoir un drapeau noir avec les mots "Indépendance de Hong Kong" en chinois et en anglais.

3Pourquoi Pékin tient-il tant à ce texte ?

L'objectif poursuivi par ce texte de loi, au-delà de la répression des manifestations, est de rapprocher la situation de Hong Kong du reste du territoire chinois et d'affaiblir davantage le modèle "Un pays, deux systèmes", établi en 1984 par l'accord de rétrocession de la région entre le gouvernement britannique et le régime chinois. "Le sens même de cette loi, c'est que le modèle 'Un pays, deux systèmes' soit aboli", explique à franceinfo Jean-Philippe Béja, directeur de recherche au Ceri.

Le président chinois, Xi Jinping, lors du vote sur la sécurité nationale pour Hong Kong, le 28 mai 2020 au Palais du peuple, à Pékin. (NICOLAS ASFOURI / AFP)

Mais si Pékin tient tant à ce texte, c'est aussi parce qu'il représente un enjeu important pour le pouvoir central et le président de la République populaire de Chine, Xi Jinping. "ll s'agit de renforcer sa position sur la scène intérieure, de montrer que c'est un homme fort et de continuer son offensive contre toute société autonome", explique le chercheur. Il rappelle que "Xi Jinping a mobilisé, dans une certaine mesure, le nationalisme chinois en présentant les manifestants hongkongais comme des enfants gâtés". En faisant voter ce texte, le dirigeant chinois renforce sa position en se présentant comme celui qui défend la force de la Chine. 

4Pourquoi ce texte inquiète-t-il au-delà des frontières de Hong Kong ? 

Ce texte provoque des inquiétudes bien au-delà du territoire autonome, tant ce document est ouvert à l'interprétation du système juridique de la Chine continentale. "Si vous avez déjà dit quelque chose qui pourrait offenser [la Chine] ou les autorités de Hong Kong, restez en dehors de Hong Kong", a conseillé Donald Clarke, un expert en droit chinois de l'université George Washington, interrogé par l'AFP. 

Une des principales sources d'inquiétude est, selon Donald Clarke, l'article 38 de ce texte qui stipule que les infractions à la sécurité nationale commises à l'étranger, même par des étrangers, peuvent faire l'objet de poursuites. James To, un député hongkongais, a déclaré à la presse mercredi que la loi pourrait affecter des "gens du monde entier, des gens qui viennent pour affaires, en transit, visiter, n'importe qui".

Les journalistes, plus particulièrement, pourraient être visés. En effet, le Bureau de sécurité nationale de la Chine mis en place par le texte entend renforcer la gestion des "agences de presse internationales et des ONG", sans plus de précisions. "La presse libre pourrait bien être morte à Hong Kong", a averti Claudia Mo, une ancienne journaliste désormais députée de l'opposition. 

5Comment a réagi la communauté internationale ? 

Cette série de mesures destinées à affaiblir l'autonomie de Hong Kong est contraire à l'accord passé entre le gouvernement chinois et le Royaume-Uni en 1984, qui a consacré le principe "Un pays, deux systèmes". Cet accord assurait au territoire un régime d'autonomie, des droits et des libertés à ses habitants. Au Conseil des droits de l'homme de l'ONU à Genève, 27 pays dont le Royaume-Uni, la France l'Allemagne, l'Australie et le Japon, ont réclamé, mardi, que Pékin réexamine la loi qui "menace" les libertés à Hong Kong. 

Le Premier ministre britannique, Boris Johnson, s'est pour sa part insurgé contre la promulgation de ce texte, estimant qu'il "violait" l'accord de 1984. Le Royaume-Uni a donc décidé de mettre à exécution sa principale menace : accorder, à tous ceux qui peuvent prétendre au statut britannique d'outre-mer dans la ville de Hong Kong, soit 3 millions de personnes, "la possibilité de vivre et de travailler, puis par la suite de demander la citoyenneté" au Royaume-Uni.

Le Premier ministre britannique, Boris Johnson, le 1er juillet 2020 à la Chambre des communes, à Londres. (JESSICA TAYLOR / AFP)

"Pour l'instant, c'est une victoire de Xi Jinping, mais c'est une victoire à court terme", nuance Jean-Philippe Béja, pour qui tout pourrait bien dépendre de la réaction de la communauté internationale. "Si elle est extrêmement ferme, elle pourrait renforcer le statut de Taïwan, par exemple. Cela pourrait alors conduire un certain nombre de membres du Parti [communiste chinois] à reconsidérer la stratégie de Xi Jinping. Cela pourrait même l'affaiblir sur la scène intérieure", envisage le chercheur.

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