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Le foot chinois se met au "made in France"

franceinfo le mardi 15 décembre 2015

Depuis le début des années 2000, le football chinois s'inspire de la méthode de formation française pour faire progresser joueurs et entraineurs.  (Jérémy Docteur et Victor Le Boisselier)

Depuis le début des années 2000, le football chinois s'inspire de la méthode de formation française pour faire progresser joueurs et entraineurs. Quelques partenariats avec des clubs hexagonaux ont même été noués. A Metz, notamment. Reportage entre la Moselle et Chengdu, dans la province du Sichuan.

Le choc des cultures

A plus de 10 000 km de Paris, dès que la sonnerie retentit, une centaine d’enfants âgés de 6 à 10 ans accourent sur les terrains de football au-dessus desquels flotte le drapeau de la République populaire de Chine. Leurs chasubles de couleurs détonnent avec la grisaille du ciel de la banlieue de Chengdu. Sous leur tunique, des maillots des plus grandes gloires du football actuel : Messi, Ronaldo, Agüero, Suarez, Muller...

Dans un bureau annexe de la Chengdu Garden (International) Primary School, Ruan Ruofei, directeur de l’académie de football de cette école primaire chinoise, prépare la séance d'entraînement. Quelques joueurs sont venus chercher le matériel : des plots, des coupelles, etc. Chemise blanche déboutonnée et chaussures en cuir impeccables, il est accompagné de Fei Peng, un coach avec qui il collabore étroitement pour mettre en place un système d’entraînement "à la française".

A Chengdu (Chine), Ruan Ruofei présente sa méthode "à la française" à d'autres entraîneurs. (JEREMY DOCTEUR ET VICTOR LE BOISSELIER)

Sur la pelouse synthétique, tout sourire, le groupe d'U8 (des joueurs entre 7 et 8 ans) contraste avec les autres. Sous le regard attentif de dirigeants d’écoles voisines, ils ne s’entraînent pas : ils jouent. Depuis un an, Ruan Ruofei expérimente en effet une nouvelle pédagogie qu’il a développée lors de son passage dans l’est de la France. "Lorsque je suis arrivé à Metz, raconte-t-il, j’ai vu que le plaisir de jouer était le plus important. Ici, en Chine, on s’est trop longtemps focalisé sur la technique et les résultats."

De l’autre côté du terrain, YaoTong He, 15 ans de métier, inculque plutôt la rigueur technique. Sous ses ordres, les mines sont fermées, les éclats de rire et les cris stridents rares. Mais son équipe enchaîne les bons résultats, contrairement aux protégés de Fei Peng. Confronté aux mauvaises performances de ses poulains, Ruan défend sa méthode : "On veut avant tout forger un mental à ces jeunes joueurs, qui ne sont que des enfants, dans le but qu’ils deviennent des hommes. Il est important de leur donner envie de jouer au lieu d’en faire des machines ultra-techniques."

 Les élèves de la Chengdu Garden (International) Primary School en plein entraînement sous les ordres de Fei Peng. (JEREMY DOCTEUR ET VICTOR LE BOISSELIER)

Pourtant, dans d'autres disciplines comme la gymnastique, le modèle rigoriste chinois a prouvé son efficacité. Mais loin d’être le sport national en Chine, le football ne connaît pas le même succès que le tennis de table ou le badminton. Avec une seule participation à la Coupe du monde, la Chine pointe à la 81e place au classement Fifa, derrière des pays comme la Jamaïque ou Haïti.

Sur le bord du terrain, les parents le reconnaissent eux-mêmes : ils n’y connaissent "rien mais font confiance aux entraîneurs, peu importe les résultats". Leur culture du football français se résume de toute façon aux seuls noms de Karim Benzema et Zlatan Ibrahimovic. Quant aux championnats européens, ils les confondent tous entre eux.

Pour développer sa méthode pédagogique, Ruan Ruofei peut compter sur le soutien de la fédération de foot de Chengdu, dirigée par Gu Jianming. Bien installé dans son fauteuil de cuir vert, cet ancien entraîneur décrit avec passion sa relation pour la France, interrompu seulement par les traductions de son interprète. Des interludes rares qu’il met à profit pour tirer une bouffée de cigarette. Dans le salon VIP surplombant le stade de la ville, capitale de la province du Sichuan, où la climatisation tempère la chaleur humide ambiante, il présente cette nouvelle philosophie de jeu, venue directement de France, comme "un besoin" : "Nous nous devons d’apprendre des pays avancés. La France en fait partie." Et Gu Jianming de revenir longuement sur la manière dont sa fédération a noué des liens étroits avec l’Hexagone.

Le FC Metz, partenaire particulier de Chengdu

Le club chinois de Chengdu et le FC Metz ont conclu un partenariat il y a une dizaine d'années. (DR)

Aux débuts des années 2000, le coach entre en contact avec une ancienne gloire du tennis de table français : Wang Xiaoming. A l’issue de sa carrière, celle-ci a lancé Metis, une société servant "de pont entre la France et la Chine par l’intermédiaire de la culture et du sport". Gu Jianming lui demande alors d’identifier un club d’accueil pour de jeunes joueurs chinois en France.

Ainsi, depuis 2004, les va-et-vient entre le FC Metz et la province du Sichuan se succèdent : le club lorrain devient le point de chute des jeunes footballeurs chinois. Tous les ans, ils sont entre trois à cinq adolescents à rejoindre la Moselle. Le coût de leur formation ? Quelque 20 000 euros par joueur, pris en charge financièrement par Chengdu.

D’autres partenariats existent aussi. Avec des clubs portugais ou espagnols, comme le Real Madrid, par exemple. Celui-ci inaugurait cet été un camp d’entraînement dans la ville chinoise. Malgré le prestige de ces clubs, c'est peut-être avec le FC Metz que la collaboration franco-chinoise est la plus étroite.

Guti Hernandez, un ex-joueur du Real Madrid, présente le partenariat du club madrilène avec Chengdu. (JEREMY DOCTEUR ET VICTOR LE BOISSELIER)

A Metz, les footballeurs chinois découvrent le plaisir de jouer au ballon, la tactique, la technique et améliorent leur physique. Leur mode de vie évolue également. Derrière ses lunettes de soleil et son style de playboy, Xinke Wang revient sur son passage par les équipes jeunes du club grenat entre 2006 et 2008 : "Il fallait se professionnaliser, se souvient-il. Notamment au niveau de l’alimentation." Son sourire laisse place à un air sérieux et une voix pleine d’assurance : "Jouer avec de bons joueurs français aide à se forger un mental et à améliorer la confiance en soi et sa vision du jeu", plaide-t-il.

"L’objectif n’est pas qu’ils reviennent en Chine mais qu’ils s’imposent en Europe", prévient Gu Jianming en gesticulant sur son siège. Et peu importe que l'équipe messine ait été reléguée en Ligue 2 la saison dernière. "Nous avons choisi le club pour son centre de formation", répond-il du tac au tac.

Les joueurs ne sont pas les seuls à profiter du partenariat avec les Messins. A l'instar de Lei Hu et TingGang Lan, des entraîneurs chinois ont aussi parcouru des milliers de kilomètres pour bénéficier du savoir-faire français. Autour de la table de réunion de la fédération de Chengdu encombrée par les cartons, ils expliquent : "Nous avons appris à allier rigueur et plaisir de jouer. Nous avons organisé nos séances d’entraînement différemment, tout en adaptant le modèle français au mode de fonctionnement chinois."

Lei Hu (à gauche) et TingGang Lan (à droite) au milieu de la galerie photos de la fédération de Chengdu. (JEREMY DOCTEUR ET VICTOR LE BOISSELIER)

En 2009, le FC Metz est ainsi contacté par la fédération de foot de Pékin pour "développer la formation de cadres à une époque où elle se restructurait de fond en comble", explique Denis Schaeffer, responsable du centre de formation du club messin. Si le FC Metz a étendu son influence sur le football chinois, c’est notamment grâce au travail effectué par le coach français Eddie Hudansky.

Il débarque à Chengdu en 2003. D’un ton assuré, l’entraîneur globe-trotter se rappelle : "Quand je suis arrivé, les Chinois voulaient déjà tout. Ils voulaient tout, mais ils n’avaient rien. Il n’y avait même pas de championnats de jeunes et les sélections étaient uniquement faites à l’intérieur des écoles." Une fois les méthodes d’entraînements et de sélections de joueurs révolutionnées, un autre français, Denis Lavagne, le remplace en 2005 tandis qu’Eddie Hudansky file à Pékin endosser le rôle de Directeur technique national. Même si de l’eau a coulé sous les ponts depuis l’arrivée des deux Français, leur empreinte est encore inscrite à Chengdu. Les centres de formation, bien que rénovés, gardent l’aspect souhaité par Hudansky et Lavagne.

Du côté du FC Metz, les relations avec la Chine ont pris une nouvelle tournure à l'été 2015. A la demande des services de la ville de Chengdu, les formateurs œuvrant pour le développement du football dans les écoles devront désormais recevoir une formation du club lorrain pour être agréés par la fédération locale. Et pour ce qui est du suivi des joueurs en France, les Grenats se sont engagés à améliorer leur prestation face à la déception exprimée par leurs homologues chinois.

Un appel du pied bien reçu par Denis Schaeffer et ses acolytes. La direction du club mosellan a réaffirmé son envie de collaborer avec la capitale du Sichuan. "Cette saison, les joueurs chinois participeront à des matchs amicaux tous les week-ends. Des fiches de suivi seront également envoyées à Chengdu toutes les six semaines", assure le directeur du centre de formation messin. Une volonté qui ravit Gu Jianming : "C’est notre partenariat le plus solide", confirme-t-il avec ardeur.

Fortunes diverses pour les footballeurs chinois

Xinke Wang est passé par le centre de formation de Metz : "Il fallait se professionnaliser, se souvient-il. Notamment au niveau de l’alimentation." (JEREMY DOCTEUR ET VICTOR LE BOISSELIER)

Sur la quarantaine de jeunes espoirs chinois passés par le FC Metz, les fortunes ont été diverses. Certains sont rentrés au pays pour intégrer une équipe de Super League, la première division chinoise. D'autres ont tout simplement stoppé leur carrière pour se reconvertir en entraîneur. Quelques jeunes espoirs portent aujourd’hui le maillot d’une équipe européenne ou d’une sélection de jeunes. Zhang Yuning, par exemple, évolue au sein du Vitesse Arnhem, un club néerlandais. Une opportunité incontestablement permise par son passage en Moselle.

Toutefois, l’ensemble de ces joueurs se sont heurtés à des difficultés d'adaptation lors de leur arrivée en France. Difficile pour eux de se faire à la culture locale. Un fléau que constatent différents formateurs chinois : "Ils ne vont pas vraiment vers les autres. Il est plus simple de rester entre Chinois, la barrière de la langue et les différences culturelles sont importantes et difficiles à surmonter", observe l’un d’eux. Ce manque de communication peut même leur porter préjudice : "Lorsqu’un joueur chinois se blesse, il aura tendance à se taire jusqu’à ne plus pouvoir jouer", explique Wang Xiao Ming.

Les jeunes footballeurs chinois subissent aussi une pression considérable dans leur pays. "Les gens pensent que si un jeune passé par Metz ne devient pas professionnel, c’est qu’il a échoué", commente Xinke Wang. Ce fan du Madrilène Guti Hernandez juge pourtant son expérience française bénéfique : elle a été la clé de ses études et de son avenir professionnel. Etudiant en marketing à La Rochelle (Charente-Maritime) puis à Bordeaux (Gironde), il a profité de sa culture du football hexagonal pour pouvoir prétendre à un poste au sein de la fédération de Chengdu.

Pour les joueurs, la législation du football mondial représente une autre barrière. Car les étrangers (hors Union-Européenne) de moins de 18 ans sont interdits de matchs officiels. Une règle qui compromet leur chance de s’intégrer en Europe, peu importe leur niveau. Heureusement, "certains joueurs reviennent chez nous et sont achetés pour plusieurs millions de yuans", se félicite Gu Jianming. De retour en Chine, la plupart sont alors confrontés à la concurrence de joueurs étrangers plus talentueux, comme les Brésiliens. Alain Perrin, sélectionneur français de l’équipe nationale chinoise, déplore l’absence de joueurs chinois aux postes-clés : en attaque et en défense centrale.

Le sélectionneur Alain Perrin, sur le banc de l'équipe nationale de Chine, le 14 janvier 2015, à Bristane (Australie). (PATRICK HAMILTON / AFP)

Xiu Wei Zhang, lui, n’est pas passé par Metz pour lancer sa carrière. Son parcours est plutôt direct : originaire de Chengdu, il est pris à l'essai au Losc pour deux semaines après une tournée avec l’équipe U16 de la Chine en Europe. En 2014, il intègre les jeunes de l’Olympique lyonnais. Aujourd’hui, il a 19 ans. Contrairement à ses pairs chinois, il s’est parfaitement adapté au style de vie parfois caricatural que peut mener un joueur de foot en France. Baskets fluo, casquette à l’envers et casque audio autour du cou, avec une sympathie et un bagout qui souligne son intégration lyonnaise, il explique : "J’alterne entre la CFA et les U19. C'est très fatiguant, le rythme des matchs est très dense. Je pense qu’en Chine on joue à 80% alors qu’en France on doit être à 200% tout le temps sur le terrain, je suis mort !"

Pour combler son retard, le jeune espoir de l'OL doit effectuer un travail individuel supplémentaire. "Individuellement, les entraînements sont beaucoup plus durs en France, raconte-t-il. J’ai dû suivre un programme personnel pour m’adapter, avec un renforcement musculaire, et du travail technique au niveau de mes appuis et de mes frappes." D’autant plus que l’attaquant chinois est confronté à des joueurs de stature internationale comme Nabil Fékir : "Il s’entraînait parfois avec nous mais ça va trop vite, il est trop fort en un contre un."

Même si on ne peut pas nier la progression de la formation chinoise, notamment à Chengdu, Alain Perrin a plutôt les yeux rivés vers le travail qui reste à accomplir : "En U16, nous n’avons que 100 joueurs qui ont le niveau." Pour poursuivre leur développement, les Chinois continuent de se rapprocher de la France. En témoigne la nomination de Bruno Bini, ancien sélectionneur des Bleues, à la tête de l’équipe féminine chinoise. Ces dernières années, la Fédération de foot chinoise est également entrée en discussion avec un autre club français, le Dijon Football Côte-d’or. Décidément, le football français peut continuer de s'enorgueillir de son influence en Chine... et de chanter "cocorico".

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