Reportage "Je souhaite que les relations se détendent" : avant la présidentielle à Taïwan, l'inquiétude dans la province chinoise du Fujian qui fait face à l'île

Une élection présidentielle cruciale est organisée à Taïwan samedi 13 janvier. Un scrutin qui orientera les relations avec la Chine pour les prochaines années et qui suscite de vives inquiétudes dans la partie chinoise la plus proche.
Article rédigé par Sébastien Berriot
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
dans la province du Fujian qui fait face à Taiwan, on espère l'élection d'un nouveau président taïwanais proche de la Chine. (Sébastien Berriot / RADIO FRANCE)

Malgré le vent qui souffle très fort en cet après-midi de janvier, plusieurs centaines de touristes chinois sont en train de marcher sur ce sentier du littoral. Nous sommes sur la presqu’île de Pingtan, la partie de la Chine continentale la plus proche de Taiwan, à seulement 68 kilomètres de l'île. Les touristes font la queue pour réaliser des selfies devant un grand panneau sur lequel on peut voir la carte du détroit, avec sur le haut le chiffre 68 gravé.

Samedi 13 janvier, les électeurs Taïwanais se rendront aux urnes pour élire un nouveau président et un nouveau Parlement. En pleine tension avec Pékin, ce scrutin devrait déterminer l’avenir des relations dans le détroit pour les quatre prochaines années. Le résultat est très attendu côté chinois, et notamment dans la province du Fujian qui fait face à Taïwan, et où on espère l'élection d'un nouveau président taïwanais proche de la Chine.

Pour cette grand-mère venue visiter le site avec des amis, la réunification est la seule option. "Les Taïwanais ne devraient pas toujours penser à l'indépendance, explique la touriste. Qu'est-ce que cela leur apportera de bon ? S'ils abandonnent cette idée, la Chine leur apportera un soutien économique important qui améliorera leurs conditions de vie. En ce qui me concerne, tant que cette idée d’indépendance n’aura pas disparu, je n’ai aucune envie d’aller visiter Taïwan", conclut-elle.

Les radars de l’armée chinoise qui surveillent en permanence Taïwan. (Sébastien Berriot / RADIO FRANCE)

"Il y a des manœuvres militaires de plus en plus souvent au sud de l’île."

Un pêcheur de la presqu’île de Pingtan

à franceinfo

En haut de la colline, on aperçoit les radars de l’armée chinoise qui surveillent en permanence le détroit. Ces derniers mois, Pékin a multiplié les manœuvres militaires. Les pêcheurs de Pingtan ont fait les frais de ces tensions : l’un d’entre eux raconte que les passages d’hélicoptères sont de plus en plus réguliers et empêchent les bateaux de travailler normalement. La pêche au poulpe, la spécialité locale, est directement touchée. Ce pêcheur espère que le résultat de la présidentielle à Taïwan permettra d’apaiser les tensions."Ces derniers jours, un de nos bateaux de pêche a été retenu par Taïwan, les pêcheurs ont été arrêtés et tous les poissons qu'ils avaient capturés ont été rejetés à la mer. Il serait vraiment préférable que les deux rives du détroit de Taïwan soient réunies. Les pêcheurs taïwanais pourraient venir pêcher dans nos eaux et nous pourrions aller pêcher de leur côté", déplore-t-il.

Les pêcheurs de Pingtan espèrent que les tensions entre la Chine et Taïwan vont s'atténuer. (Sébastien Berriot / RADIO FRANCE)

Le secteur de la pêche n’est pas le seul touché. Depuis l’arrivée au pouvoir à Taipei -la capitale de Taïwan- de la présidente indépendantiste Tsai Ing-Wen, il n’y a quasiment plus d’échange entre la province du Fujian et l'île, ce que regrette cette commerçante de Pingtan. "Je souhaite que les relations se détendent entre les deux rives du détroit, ce qui favorisera le tourisme. Les habitants du continent pourront se rendre à Taïwan et les Taïwanais visiteront le continent. Les produits taïwanais pourront également être importés en Chine", espère la Taïwanaise.

"Du point de vu chinois, si Taïwan élit un nouveau dirigeant qui souhaite un développement pacifique du détroit et abandonne l’idée d’indépendance, cela favorisera une coexistence pacifique. Je pense que c'est l'attente officielle de la Chine."

Chen Xiancai, directeur de l'institut de recherche sur Taïwan

à franceinfo

Un peu plus au Sud, dans la grande ville chinoise de Xiamen qui fait face à Taiwan, l’université est dotée d’un institut de recherche sur Taïwan. Son directeur Chen Xiancai décrypte la position chinoise sur l’élection présidentielle du 13 janvier. "Si les Taïwanais choisissent un nouveau dirigeant qui provoque la Chine, il est évident que les relations entre les deux rives du détroit connaîtront des tensions", assure-t-il.

La crainte d'une intervention militaire chinoise à Taïwan

À Xiamen, de nombreux Chinois ont des liens personnels avec Taïwan. L’espoir, c'est que l’élection permette de rétablir ces liens, coupés depuis que le DPP, le parti démocrate progressiste, est arrivé aux affaires à Taipei. Cette employée chinoise a fait ses études à Taïwan. Selon elle, il faut un changement de pouvoir à Taïwan. "Mes souvenirs depuis l’époque de l'université sont à Taïwan, mes amis sont là-bas, mes professeurs sont là-bas. Mais il n’y a plus de dialogue, se désole-t-elle. C'est très long, je suis rarement en contact avec eux. J'espère que nous pourrons nous parler tous les jours comme avant. Je ne veux absolument pas voir le DPP revenir au pouvoir et être réélu. J'espère qu'un parti politique pro-continental arrivera au pouvoir, et alors nos relations entre les deux rives du détroit pourront revenir à un état de proximité comme autrefois", espère-t-elle.

Ce que redoutent de nombreux habitants du Fujian, c’est une intervention militaire de la Chine à Taïwan qui aurait un impact sur les deux côtés du détroit. Mais pour le professeur Chen, c’est une option peu probable à court et moyen terme : "La puissance économique de la Chine continentale lui donne aujourd'hui de nombreux moyens à utiliser afin de maintenir la sécurité de son territoire national. Le recours à la force en est un, mais l'économie est aussi un moyen."

"Il n'y a pas qu'un seul type de guerre, Pékin a beaucoup d'atouts en main."

Chen Xiancai, directeur de l'institut de recherche sur Taïwan

à franceinfo

"La pensée traditionnelle chinoise consiste toujours à considérer la paix comme la chose la plus précieuse, à travers la communication, la coopération, la négociation, à essayer de ne pas aller vers la confrontation militaire. Le peuple chinois a depuis longtemps réglé ses problèmes sans recourir à des moyens militaires, de sorte que la question de Taïwan doit être traitée de la même manière", raconte Chen Xiancai.

La province du Fujian est au cœur de la stratégie chinoise pour conquérir Taïwan, avec notamment un projet de tunnel ferroviaire sous-marin dans le détroit. Une idée que les Taïwanais ont pour le moment toujours rejeté.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.