"Beaucoup de Nord-Coréens croient que leur régime est le meilleur du monde"
Auteur de trois ouvrages sur la Corée du Nord, Claude Helper décrypte pour FTVi l'emprise du régime sur sa population.
Ces vidéos ont fait le tour du web en cette fin d'année : des groupes de Nord-Coréens en pleurs, à la limite de l'hystérie, dévastés par la mort, le 17 décembre, de leur "cher dirigeant" Kim Jong-il. Auteur de trois ouvrages sur la Corée du Nord, Claude Helper analyse ces images et raconte le quotidien des Nord-Coréens, entrevu à l'occasion de déplacements à Pyongyang.
FTVi : Quelle est la part de sincérité dans ces vidéos ?
Claude Helper : Les Coréens sont des gens durs mais sensibles, qui ont facilement les larmes aux yeux. Leur chagrin est ici particulièrement démonstratif, mais il ne faut pas y voir uniquement une propagande surjouée. Il y a une part de sincérité dans ces scènes, qui ne sont d'ailleurs pas propres à la Corée du Nord et font partie de la culture funéraire d'autres peuples. Il y avait un vrai attachement à Kim Jong-il. Ceci dit, on peut se douter qu'une partie a été orchestrée et que, dans cette société où chacun surveille son voisin, celui qui serait apparu souriant aurait passé un mauvais quart d'heure. Pour qu'il y ait de tels rassemblements à Pyongyang, il y a forcément une lourde organisation derrière.
Quelle logistique faut-il pour réunir ces masses ?
C.H. : Certaines personnes sont venues spontanément, mais l'essentiel du travail réside sans doute dans l'organisation de convois de bus. Les transports sont presque inexistants à Pyongyang, et vétustes. Il y a très peu de trafic automobile. Seuls les étrangers et les hiérarques du régime possèdent une voiture. Il est d'ailleurs amusant de voir des policières chargées de faire la circulation pour une ou deux voitures sur les grandes avenues de la ville. Quant aux vélos, ils ne sont autorisés que depuis quelques années car ils étaient jusque-là perçus comme des instruments dangereux de liberté.
Qui sont ces Nord-Coréens qui apparaissent sur les récentes vidéos ?
C.H. : Ce sont les privilégiés du régime, des militaires ou des fonctionnaires. A Pyongyang, on ne voit pas de vieux ni d'handicapés. C'est la ville vitrine de la Corée du Nord, là où viennent les étrangers, les personnels d'ambassades. Il s'agit donc de donner une belle image du pays. Vous remarquerez que dans les vidéos transmises ces derniers jours, les femmes portent des manteaux avec des cols en fourrure, des bottes, des chaussures épaisses, signes d'un certain confort matériel.
Comment peut-on expliquer leur discipline à l'égard du régime ?
C.H. : Depuis la naissance de la Corée du Nord en 1948, tout est fait pour persuader les habitants qu'ils vivent dans le meilleur des mondes. Il faut se rappeler d'ailleurs que, jusque dans les années 70, la Corée du Nord était mieux lotie que la Corée du Sud, grâce à ses énormes ressources minières. Quant au rapport de la population au régime, il a été fondé sur le culte de la personnalité de Kim Il-sung, qui a éliminé les religions, exécuté des pasteurs et des curés, pour les remplacer par une religion d'Etat qui s'apparente au christianisme. Kim Il-sung est le "Père", Kim Yong-il le "Fils", et le Parti le "Saint-Esprit". Dans la propagande officielle, le récit de la naissance de Kim Yong-il, sous une étoile au firmament, s'inscrit dans cette ligne.
Quelle est l'emprise du régime sur la population nord-coréenne ?
C.H. : Dans chaque immeuble, les familles sont regroupées par groupes de cinq, et une personne est désignée pour rapporter leurs faits et gestes aux commissaires politiques. Ensuite, des groupes de 25 familles se réunissent chaque semaine pour recevoir et réciter la bonne parole du Parti. L'endoctrinement passe aussi par le service militaire, qui dure de 8 à 10 ans et durant lequel les jeunes sont nourris et logés. Enfin il y a des tracts, des journaux officiels, avec de forts taux de pénétration car près de 100 % de la population sait lire et écrire du fait de la gratuité des services publics (enseignement, soins, etc.).
Quelle différence peut-on noter entre la Corée du Nord d'aujourd'hui et l'URSS d'hier ?
C.H. : Le régime soviétique était plus perméable que le régime nord-coréen, car plus d'étrangers pouvaient s'y rendre et il était plus facile d'en sortir. Contrairement à Moscou durant l'URSS, où l'on pouvait trouver des titres de presse étrangers, il n'y a à Pyongyang que la presse officielle, traduite en plusieurs langues. Si l'on veut sortir de Corée du Nord, il faut soit une autorisation, soit s'enfuir en franchissant l'une des deux rivières servant de frontières avec la Chine. Aussi longtemps qu'ils auront encore un peu de riz à manger, les Nord-Coréens seront peu nombreux à prendre ces risques là. La peur des camps d'emprisonnement contribue pour beaucoup à les dissuader.
N'existe-t-il pas d'opposition au régime ?
C.H. : On raconte qu'il y a eu, certaines années, des soulèvements liés à la faim ou à des exécutions arbitraires. Mais comme pour tout en Corée du Nord, il est difficile de le vérifier... Il n'y a aucune émeute que l'on puisse voir ou filmer comme en Syrie par exemple. Et encore une fois, il y a beaucoup de gens qui croient que le régime est le meilleur du monde. Cette discipline apparente ne repose pas que sur la peur.
Que sait-on de la diaspora nord-coréenne ?
C.H. : Ce sont des gens qui ont réussi à s'enfuir en Chine, puis au Cambodge, au Laos, en Corée du Sud. Ils sont plus de 10 000 en Corée du Sud, ils découvrent brutalement l'opulence et ne sont pas forcément bien accueillis. Ils sont vus comme des espions potentiels ou comme des concurrents sur le marché de l'emploi. Leurs témoignages sur la vie en Corée du Nord sont à prendre avec méfiance, car il y a beaucoup d'exagérations.
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