"J'avais envie de savoir comment c'était sur place" : des touristes racontent leur voyage en Corée du Nord
"Bons baisers de Pyongyang." La Corée du Nord est l'un des pays les plus fermés du monde. Pourtant, il est possible d'y jouer les touristes. Quelque 100 000 Chinois et environ 5 000 Occidentaux s'y rendent chaque année, rapporte Courrier international. Mais l'aventure n'est pas sans risque. Un touriste américain de 22 ans est mort après avoir été détenu en Corée du Nord. Il avait été jugé coupable d'avoir tenté de voler une affiche de propagande lors de son périple.
Alors que le régime a réalisé un nouveau tir de missile balistique, provoquant l'ire de la communauté internationale, franceinfo s'est intéressé à celles et ceux qui ont choisi le royaume ermite comme destination de vacances, malgré les avertissements du quai d'Orsay, qui a déconseillé, vendredi 7 juillet, "tous déplacements sur place, sauf raison impérative".
Le genre d'idée "lancée en rigolant et qui devient sérieuse"
"On a décidé d’aller dans le Nord avec des amis, un peu sur un coup de tête, autour d'un burger", lance le Français Ludoc Hudson. Ce réalisateur et directeur artistique au Studio Bagel s'est rendu en Corée du Nord en avril 2015. "C'est ce genre d'idée qu'on lance en rigolant et qui devient sérieuse", sourit celui qui préfère conserver son pseudo professionnel.
A 29 ans, le jeune homme a déjà quelques destinations insolites au compteur. "Des pays qui ne sont pas forcément dans les guides touristiques, comme la Namibie ou le Groenland, confie-t-il. Pour moi, il y a un peu de la propagande dans les deux sens : les pays occidentaux fantasment un peu la Corée du Nord et vice-versa. Donc c’était vraiment de la curiosité."
On dit énormément de choses sur la Corée du Nord, mais j’avais envie de savoir comment c’était sur place réellement.
Etienne Daoust a fait, lui, son premier périple en Corée du Nord à l'été 2013. "J’ai fait un long voyage dans plusieurs pays et j’ai découvert, en cherchant sur internet, qu’il était possible d’aller en Corée du Nord et que ce n’était pas aussi dangereux qu’on pourrait l’anticiper. Alors, ce défi personnel m’a motivé", explique-t-il à franceinfo. Depuis, ce Québécois de 38 ans est mordu. Durant l'été 2015, il s'y est rendu deux fois de suite. Au total, il cumule quatre semaines passées sur place. "J’ai visité un peu plus de la moitié du pays, mais je regrette de ne pas avoir vu plus", ajoute ce spécialiste du secteur bancaire.
La curiosité n'est pas toujours à l'origine du désir de découvrir l'un des pays les plus fermés, et donc mystérieux, au monde. Parfois, cela se résume à un défi, comme pour Lars Hiller Eidnes. Lui s'est rendu en Corée du Nord en février 2017, quelques jours après un tir de missile qui s'est abîmé en mer du Japon. "J’y ai été avec des amis, avec lesquels on a l’habitude d’aller skier dans des endroits insolites et loin de chez nous, confie ce Norvégien, consultant en apprentissage automatique à Trondheim. On est déjà allés en Iran et au Kirghizistan. Du coup, après ça, on s'est juste demandé : 'Comment est-ce qu’on peut faire mieux ?' La réponse était la Corée du Nord."
"Des dizaines de questions sur ma vie"
Pour se rendre en Corée du Nord, les moyens sont limités. "Seules quelques agences de voyages reconnues par le gouvernement nord-coréen sont habilitées à organiser des séjours dans le pays", rappelle le ministère des Affaires étrangères sur son site. Sauf que de nombreux circuits ont été suspendus "depuis plusieurs mois" à cause du contexte international, précise à franceinfo la Maison de la Chine, qui y propose des séjours. Situation similaire pour l'agence de voyages Marco Vasco, qui présentait des voyages d'une dizaine de jours pour environ 3 500 euros. "C'est une destination que nous avons arrêtée il y a un mois à cause de l'escalade des tensions après les tirs de missiles", explique à franceinfo Marion Paillat, chef de produit dans cette agence du 17e arrondissement de Paris.
"On est passés par un tour operator nord-coréen, Uri Tours, basé en Chine pour un trip de trois jours", détaille Ludoc Hudson. Voyager en Corée du Nord depuis la Corée du Sud demeure en effet impossible, et l’accès au pays se fait donc par la Chine ou par la Russie, précise Lonely Planet.
"Pour obtenir son visa, il faut répondre à des dizaines de questions sur sa vie, son métier, ses motivations. J’ai donné mon vrai nom, mais ils ont quand même réussi à trouver mes comptes Instagram, Twitter, Facebook et mon site, qui sont sous mon pseudo Ludoc", ajoute-t-il. Et d'ajouter : "J’avais mis sur la fiche de renseignements que je réalisais des clips mais ils ont compris que je travaillais aussi pour Canal+, donc j’ai dû signer une fiche pour dire que je n’étais pas là en tant que journaliste."
<span>Je pense qu’ils ont des hackers qui s’occupent de regarder tout notre passé.</span>
Malgré la réputation de pays le plus fermé au monde qui colle à la Corée du Nord, Etienne Daoust affirme ne pas avoir rencontré de difficultés majeures pour préparer son périple. "J’ai simplement fouillé sur internet pour découvrir le bon rapport expérience-trajet-prix. L'agence que j'ai choisie a pris en charge l'ensemble de la planification du voyage, détaille-t-il. Je n’ai eu aucun problème pour mes deux premiers périples, les douaniers sont même incroyablement gentils."
Une facilité d'accès que confirme Lars Hiller Eidnes. "Ça n'a pas vraiment été un problème d'entrer en Corée du Nord. L’agence de voyages organise tout et s'occupe de vous trouver un visa." Un bémol toutefois. "Maintenant que j’ai été en Corée du Nord, c'est bien plus complexe de décrocher un visa pour les Etats-Unis", glisse-t-il.
"Il faut se tenir à carreau et respecter leur culte"
Térence Brami, étudiant, est passé par la compagnie aérienne nationale Air Koryo via Pékin, la capitale chinoise. La propagande a commencé avant même l'atterrissage. "Après un vol de deux heures (composé exclusivement de chants de propagande diffusés dans les haut-parleurs de l’avion), le Tupolev se pose sur le tarmac de Pyongyang. L’aérogare ne comporte aucun magasin, la photo de Kim Il-sung [fondateur de la Corée du Nord et grand-père de l'actuel leader Kim Jong-un] et Kim Jong-il [ancien dirigeant de la Corée du Nord et père de Kim Jong-un], celle de l'actuel est accrochée sur un grand mur terne", a-t-il raconté dans Le Plus de L'Obs, en janvier 2016.
Des rues de Pyongyang quasi-vides aux installations parfois vétustes, la propagande est omniprésente. La nuit, des haut-parleurs diffusent en boucle des chants à la gloire du régime. "J’ai vraiment eu l’impression de faire un saut dans le temps, dans l’URSS des années 1950", pointe Ludoc Hudson. Les restrictions sont nombreuses lors des déplacements. Les téléphones portables et les passeports sont confisqués. Difficile, voire impossible de communiquer avec ses proches. Deux guides, qui se surveillent l'un l'autre, aux connaissances très limitées sur la France – "ils ne connaissent que Mitterrand et Zidane" – accompagnent constamment les groupes de touristes pour veiller au respect des mœurs, raconte Ludoc Hudson.
On n’a pas le droit d’avoir des tablettes et ordinateurs avec des films américains.
Ces accompagnateurs attentifs veillent aussi à ce que vous n'échangiez pas avec les locaux. "Le plus choquant, c’est que nous n'avions pas le droit de nous approcher des Nord-Coréens. En même temps, même si on avait réussi, ils ne parlent pas anglais, poursuit-il. Dès que je m’éloignais de cinq mètres de mon guide, il me rappelait à l’ordre. Ils ne disent pas clairement 'c’est interdit de faire ça', mais plutôt 'ah non, ne venez pas là, là c’est mieux, on ne peut pas aller là-bas maintenant'. Il faut se tenir à carreau et respecter leur culte. Le seul vrai risque, c’est l’expulsion."
La prise de photos, elle, est extrêmement encadrée. "Pas d’appareil avec un objectif de plus de 120 mm pour ne pas faire de trop gros zooms. Quand j’ai commencé à faire des photos, ils étaient très méfiants, dès qu’on voyait un câble électrique par exemple, il fallait que je me décale, pour que toutes les photos montrent la Corée sous un beau jour", ajoute le réalisateur.
Ces consignes n'épargnent pas le culte de la personnalité, comme l'a constaté Yann Rousseau, correspondant du journal économique Les Echos à Tokyo, qui s'est rendu en 2017 en Corée du Nord avec un visa touristique.
Lorsque vous prenez des photos des statues, vous devez toujours cadrer la totalité des leaders.
"Et si vous achetez un journal coréen reproduisant une image de l'un des trois dirigeants, il est strictement interdit de le plier ou de le jeter : c'est une offense gravissime", précise-t-il.
"Ils nous ont fait visiter l'hôpital de Pyongyang"
Généralement, les touristes séjournent à Pyongyang, mais le pays offre quelques autres destinations. Un youtubeur britannique, d'ailleurs accusé de propagande pour ses vidéos, a notamment rencontré des surfeurs et surfeuses nord-coréens.
Mais le gros des excursions se fait dans la capitale, où il est possible de visiter les grands sites comme le palais présidentiel. Voire certains centres administratifs ou de santé. "Ils nous ont fait visiter l’hôpital de Pyongyang, qui est incroyablement propre, luxueux, et vide : il n’y avait aucun patient. C’était étrange de faire un voyage touristique dans un hôpital."
Les guides nous ont expliqué que chaque chambre était très bien équipée, avec une télévision par personne, donnée par le leader, si "généreux".
Autre destination touristique plébiscitée : la zone démilitarisée entre la Corée du Nord et la Corée du Sud, située à deux heures de route de la capitale. Une visite qui se fait sous haute surveillance militaire, comme l'a constaté Ludoc Hudson. Le général qui s'occupait de l'excursion n'a ainsi pas hésité à afficher sa haine profonde des Etats-Unis et de la Corée du Sud. "Il nous a même regardés en précisant que la France avait aussi attaqué son pays pendant la guerre : 'Your parents killed mine' ('vos parents ont tué les miens')."
Plus insolite, la Corée du Nord a ouvert, fin 2013, une station de ski à Masikryong, à 180 km de la capitale. Le site, plutôt luxueux, est quasi désert. "L’hôtel est très chic, et plus adapté à un prince saoudien qu'à un snowboarder norvégien, rigole Lars Hiller Eidnes. Les pistes sont très larges, avec principalement de la neige artificielle. Les Nord-Coréens sont très rares et lorsqu’il y en a, ils restent dans la partie basse de la station car ils ne sont pas du tout habitués à skier. Tout le reste des pistes était vide."
L'association de ski nord-coréenne estime à 5 500 le nombre de skieurs dans un pays de quelque 24 millions d'habitants, soit 0,02% de la population, rappelle Libération. Mais plus que les pistes vides, c'est le côté archaïque qui a marqué Lars Hiller Eidnes. "Les Nord-Coréens se reposent beaucoup sur le travail manuel. Par exemple, une équipe déneigeait des pistes entières à la pelle, explique-t-il. Des choses qui paraîtraient totalement absurdes partout ailleurs."
"C’est un régime brutal, mais le peuple est chaleureux"
Partis pour satisfaire leur curiosité ou relever un défi, tous sont revenus avec un regard neuf sur le pays. Pour Etienne Daoust, ce voyage lui a permis de sortir d'une vision manichéenne de la situation. "Si nous écoutons l’histoire de la Corée du Nord du point de vue occidental, on considère que c’est l’enfer sur terre et qu’ils ont tort sur toute la ligne, développe-t-il. Si on la considère du point de vue local, on conclut qu’ils ont raison sur toute la ligne. Il faut donc prendre le temps de faire la part des choses pour découvrir que la réalité est quelque part entre les deux."
D'après le Québécois, il y aurait même des points communs entre la vie d'un Occidental et celle d'un Nord-Coréen : "Au-delà du fait que nos gouvernements ne s’entendent pas, la réalité est qu’il y a des dizaines de millions d’individus là-bas qui ont une vie pas si éloignée de celle des dizaines de millions d’individus de mon pays, et qu’autour d’une bonne bière, tous s’entendent bien."
Les mésententes ne concernent que quelques centaines de personnes à la tête de nos gouvernements.
Un point de vue détonant à propos d'un pays qui aurait envoyé des milliers d’"ouvriers forcés" en plein cœur de l’Europe, selon une ONG de défense des droits de l’homme, et qui déporte en camp de travail tout opposant au régime, comme le dénonce Amnesty international (en anglais).
"Pendant ce voyage, j’ai compris que notre vision était biaisée : les gens parlent de la Corée du Nord comme d’un royaume de robots lobotomisés et les Nord-Coréens parlent de l’extérieur comme d’un royaume de diables impérialistes. Les deux explications sont stupides. L’histoire de ce pays est bien plus complexe, ajoute Lars Hiller Eidnes. C’est un régime brutal, mais le peuple est chaleureux et accueillant."
Ils font des blagues cochonnes, boivent de la bière et jouent à des jeux, comme partout ailleurs.
Sous le charme, il assure qu'il n'hésitera pas à y retourner, d'autant que, selon lui, faire du tourisme en Corée du Nord est aussi "un des chemins pour rendre ce pays moins isolé".
De son côté, Ludoc Hudson est beaucoup plus partagé. "Mon objectif était de changer l’idée que je me faisais de la Corée du Nord. Je pense que je n’ai plus la même vision mais, comme tout est programmé et encadré sur place, je devenais complètement paranoïaque. Toute la journée, je me demandais : 'Est-ce que ce que je vois est réel ?'", lâche-t-il, sidéré par un pays capable de construire des sites qui ont coûté des millions alors qu'une partie de la population meurt de faim. "C'est effrayant de se dire que les Nord-Coréens sont finalement habitués à vivre sans aucune liberté, mais c’est intéressant, pour quelqu’un qui a vécu en France toute sa vie, de voir à quoi cela correspond", estime-t-il.
Toutefois, pas sûr qu'il ait envie d'y retourner de sitôt, notamment à cause "de ce qui s’est passé avec le jeune touriste américain", Otto Warmbier, mort après avoir passé dix-huit mois en détention en Corée du Nord pour avoir tenté de voler une affiche de propagande. "Avec tout ce que j'ai dit sur la Corée du Nord sur internet, pas sûr de toute façon qu'ils acceptent que je revienne, juge-t-il. Et même si c'était le cas, j’aurais trop peur de ce qui pourrait m'arriver là-bas."