Crise diplomatique avec le Qatar au Moyen-Orient : la rupture est "enracinée dans des dynamiques anciennes"
Selon le chercheur Alexandre Kazerouni, la mise en quarantaine du Qatar par cinq États du Golfe n'est pas vraiment liée à des questions de terrorisme, mais à des tensions qui remontent aux années 1980.
La lutte contre le terrorisme au cœur de la crise diplomatique au Moyen-Orient. Cinq États ont décidé de rompre leurs relations diplomatiques avec la Qatar : l'Arabie saoudite, Barheïn, l'Égypte, les Émirats arabes unis et le Yémen avec la fermeture des frontières et de la plupart des liaisons aériennes. Tout cela est "enraciné dans des dynamiques qui remontent aux années 80 et qui ont vu le Qatar depuis le début des années 90 chercher à prendre ses distances avec l'Arabie saoudite", a déclaré, lundi 5 juin sur franceinfo, Alexandre Kazerouni chercheur à l'École normale supérieure (ENS), spécialiste des pays du pourtour du Golfe persique. Il estime que cette rupture des relations diplomatiques avec le Qatar "ressemble à un embargo de ses voisins immédiats".
>> Cinq questions sur la crise diplomatique avec le Qatar au Moyen-Orient
franceinfo : Ces cinq pays accusent le Qatar de soutenir et d'accueillir sur son sol des groupes terroristes. C'est la vraie raison de cette crise ou bien doit-on chercher ailleurs ?
Alexandre Kazerouni : Cette crise est enracinée dans des dynamiques qui remontent aux années 80 et qui ont vu le Qatar, depuis le début des années 90, chercher à prendre ses distances avec l'Arabie saoudite. Le Qatar est le pays dans lequel l'Arabie saoudite avait le plus étendu son influence via le salafisme dans les années 80. Depuis, avec le Qatar au début des années 90, on a vu pour la première fois une principauté côtière du golfe persique tenter de se rapprocher directement des États-Unis en offrant aux Américains la possibilité d'ouvrir une base militaire qui se trouve aujourd'hui à Al Udeid dans le Sud du pays. Elle a été le centre névralgique de l'invasion de l'Irak en 2003. Cela avait fortement déplu à l'Arabie saoudite et cela avait entraîné le coup d'État de 1995 qui a porté au pouvoir celui qui a été émir jusqu'en 2013. Les tensions avec l'Arabie saoudite sont anciennes.
Le Qatar se retrouve-t-il isolé aujourd'hui ?
Pas tant que ça, puisque le Koweït et le Sultanat d'Oman ne font pas partie des pays qui ont appelé à la rupture des relations diplomatiques. Oman c'est l'autre pays du Conseil de coopération du Golfe qui s'est le plus rapproché de l'Iran durant les années passées. C'est à Oman que se sont déroulées les négociations entre les Américains et les Iraniens en vue de l'accord sur le nucléaire de 2015. Ce rapprochement entre les États-Unis et l'Iran remontent à 2013, tout cela sous l'égide du sultan d'Oman. Il y a des pays arabes et sunnites qui se sont rapprochés de l'Iran et qui ont pris leurs distances avec l'Arabie saoudite, à commencer par des pays appartenant au Conseil de coopération des États du Golfe. Cette instance est parcourue par des lignes de fracture où les Américains changent régulièrement leur politique vis-à-vis des deux grandes puissances régionales que sont l'Iran et l'Arabie saoudite. Isoler le Qatar au niveau aérien et routier est une mesure qui ressemble à un embargo de ses voisins immédiats.
Cette rupture arrive deux semaines après la visite de Donald Trump dans la région. Ce n'est pas une coïncidence ?
Non, parce que cela fait deux semaines qu'il y a de vives tensions entre l'Arabie saoudite et le Qatar avec une série de déclarations qui ont été prêtées à l'émir du Qatar, où il reconnaît l'Iran comme une puissance islamique par opposition au discours de Donald Trump en Arabie saoudite. Cela ne contredit pas du tout le positionnement du Qatar ces dernières années vis-à-vis de l'Iran. Pour le reste, au niveau militaire, c'est minime. La part du Qatar dans l'intervention au Yémen était symbolique. Ce sont surtout les Émirats arabes unis et l'Arabie saoudite qui étaient impliqués. Concernant la lutte contre le terrorisme, cela peut être problématique, même si je ne connais pas la teneur des échanges qui existaient entre le Qatar et l'Arabie saoudite. Ce qu'on peut craindre, c'est que la circulation des informations entre les différents services s'amenuise mais je ne sais pas si elle était très intense ces dernières années.
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