Cet article date de plus de cinq ans.

#AlertePollution : à Toulon, l'inquiétante fumée noire des ferries amarrés près des habitations

Article rédigé par Camille Adaoust
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Un ferry, reliant le continent à la Corse, stationne dans le port de Toulon (Var), le 30 décembre 2018. (CAMILLE ADAOUST / FRANCEINFO)

Dans le cadre de notre enquête participative #AlertePollution, plusieurs habitants de Toulon se sont plaints de la situation.

#AlertePollution

Rivières ou sols contaminés, déchets industriels abandonnés… Vous vivez à proximité d’un site pollué ?

En s'approchant du quai, une odeur âcre vous prend à la gorge. Pour en deviner l'origine, il suffit de lever les yeux. Les ferries surplombent les immeubles, en plein cœur de la rade de Toulon. Chaque jour, plusieurs navires relient le continent à la Corse, à Majorque ou à la Sardaigne. Ils accostent souvent tôt le matin et repartent tard le soir. Et "ils laissent tourner leurs moteurs sans arrêt entre deux rotations", s'insurge Danielle, qui nous a alertés par le biais de notre enquête participative #AlertePollution. Cette Toulonnaise s'inquiète des "fumées émanant" des cheminées des paquebots "à moins de 200 mètres des immeubles et de la ville". Elle n'est pas la seule : au total, dix personnes nous ont décrit la même situation dans le port de Toulon. 

"On respire des choses qu'on ne devrait pas"

Dimanche 30 décembre, quand nous nous rendons sur place, un ferry est à quai. Son départ est prévu dans la soirée, les passagers ne sont pas encore arrivés. Pourtant, le moteur tourne déjà, pour assurer l'électricté à bord, et au sommet du bateau, de la fumée noire grimpe vers le ciel. Une scène habituelle pour les riverains. Chaque jour, ils voient les bateaux arriver "sur les coups de 7 heures" et fonctionner "toute la journée", affirme Jean-Pierre Dauchart, qui vit à 10 minutes à pied. A en croire les témoignages que nous avons recueillis, la pollution n'est pas seulement visuelle ou auditive : les habitants décrivent un air rendu parfois "irrespirable" à cause de la fumée dégagée par les navires. 

Un ferry est à quai dans le port de Toulon (Var) le 30 décembre 2018. (CAMILLE ADAOUST / FRANCEINFO)

Henri Joly vit dans les hauteurs du Mourillon, un quartier situé à l'est du port. "Quand le mistral souffle, je suis obligé de fermer mes fenêtres" à cause de la poussière qui s'échappent des navires, assure-t-il à franceinfo. Il a aussi remarqué que son petit bateau au pont blanc, stationné près des ferries, est "souvent noir de suie"

Ça nous fait peur. On est inquiet pour notre santé. Cette pollution, on la voit, on la sent !

Henri Joly, un habitant du quartier du Mourillon, à Toulon

à franceinfo

"On respire des choses qu'on ne devrait pas", soutient François Blanc, un commerçant qui vit à environ 1 km à vol d'oiseau du port.

En s'approchant du navire, le dioxyde d'azote grimpe

"Les navires sont de gros consommateurs de carburant, donc de gros émetteurs. Pour un navire de croisière moyen, la consommation de carburant est d'environ 700 litres par heure lorsqu'il est à quai", confirme Atmosud sur son site. Sébastien Mathiot, ingénieur d'études au sein de cette association de surveillance de la qualité de l'air en région Paca, connaît bien le problème. "Les bateaux engendrent une augmentation de la quantité de dioxyde d'azote (NO2) [un gaz iritant] dans l'air. Ils ajoutent aussi des particules fines, mais pas tant que ça. Ils génèrent surtout de grosses particules", résume-t-il. "C'est de là que vient l'empoussièrement que remarquent les riverains." Les fumées dégagent aussi de l'oxyde de soufre. 

L'association a déjà mesuré cette pollution dans des ports voisins, à Marseille (Bouches-du-Rhône) et à Nice (Alpes-Maritimes), et s'apprête à effectuer les mêmes relevés, cette année, à Toulon. A Marseille par exemple, les émissions du trafic portuaire représentent un tiers des émissions d’oxydes d'azote totales et trois quarts des émissions de dioxyde de soufre. "Dans tous les cas, on a une augmentation de la pollution quand les bateaux sont présents", résume Sébastien Mathiot. 

C'est ce que nous avons pu constater dans la rade de Toulon, grâce au capteur de pollution que nous avions emmené. Si ces mesures restent indicatives, nous avons relevé qu'en passant de 500 mètres au pied du bateau, la pollution au dioxyde d'azote grimpait de 29 à 43 parties par milliard (ppb), soit d'environ 58 à 86 microgrammes par m3. Des chiffres situés au-dessus de la "norme annuelle pour la protection de la santé humaine", fixée à 40 microgrammes par m3. 

Ces résultats ne sont pas anodins. En quantité élevée, le dioxyde d'azote, mesuré par le capteur, est dangereux pour la santé. "Il altère les voies respiratoires. A force, ça peut être à l'origine d'insuffisance respiratoire ou d'asthme", détaille Sébastien Mathiot. Avec les émissions de soufre, elles aussi très irritantes pour les  voies respiratoires, l'ingénieur souligne que cette pollution liée aux navires est un "sujet de santé publique". Une étude, réalisée par l'université de Rostock et le centre de recherche sur l'environnement allemand Helmholtz Zentrum Munich, assure en effet qu'"un lien sans équivoque entre les gaz d'échappement des cargos et plusieurs maladies cardiovasculaires et respiratoires a été établi". "Chaque année en Europe, ces émissions du transport maritime causent près de 60 000 morts et coûtent 58 milliards d'euros aux services de santé", complète l'association France nature environnement.

Le port encore peu équipé

A Toulon, Corsica Ferries est la principale compagnie à assurer les liaisons. Elle certifie être en règle avec les limites de pollution fixées par l'Organisation maritime internationale, concernant les émissions d'oxyde de soufre comme d'oxyde d'azote"Corsica Ferries respecte intégralement la réglementation et ses navires sont régulièrement contrôlés, dans ce cadre, par les autorités des ports fréquentés", affirme la société à franceinfo. "La compagnie participe à tous les projets portuaires d'électrification à quai pour réduire encore les émissions dans les ports", ajoute-t-elle.

SUJET TOULON POLLUTION MATINALE
SUJET TOULON POLLUTION MATINALE SUJET TOULON POLLUTION MATINALE

La solution est en effet bien connue et même déjà testée non loin de là, à Marseille : l'électrification des quais. Branchés à l'électricité de la ville, les navires peuvent ainsi "couper les moteurs à quai et supprimer la quasi-totalité des émissions polluantes", explique France 3. Mais le port de Toulon, en plein cœur de la ville et très proche des habitations, n'est pas encore équipé. "Ce sont des travaux qui nécessitent des sommes très importantes et la puissance électrique à apporter est très importante", tente d'expliquer Sébastien Mathiot. 

D'autres solutions sont donc à l'étude pour tenter d'enrayer cette pollution, répond à franceinfo Gilles Vincent, vice-président de la métropole Toulon Provence Méditerranée en charge de l'environnement. Un large projet pour renouveler les quais du port est en cours et devrait être réalisé d'ici 2022, explique Var Matin. Plusieurs pistes y sont envisagées : "L'électrification des quais avec une électricité renouvelable produite par l'incinérateur de déchets de Lagoubran, l'hydrogène ou le gaz naturel liquéfié", cite Gilles Vincent. "On ne travaille pas pour 2019 mais pour le plus long terme. On réfléchit donc à des solutions plus performantes", défend l'élu.

"Ils sont en train d'étouffer le port !"

En attendant ces raccordements, les bateaux continuent de faire ronronner leurs moteurs, Corsica Ferries assurant que "les navires seront équipés dès que le raccordement sera rendu possible par les autorités portuaires". Mais l'attente est trop longue pour les riverains, qui pointent du doigt la responsabilité des élus locaux. "On s'est saisi du problème dès 2015 mais depuis, rien n'a été fait. La mairie ne bouge pas", regrette Jean Ecochard, président du Mouvement d'actions pour la rade de Toulon et le littoral varois (MART) contacté par franceinfo. "Ce qu'on demande, c'est que la situation change tout de suite", insiste-t-il.

Pour accélérer les choses, il a écrit, avec l'Union départementale pour la sauvegarde de la vie, de la nature et de l'environnement (UDVN-FNE 83), une lettre réclamant que les bateaux de croisière utilisent du carburant encore moins polluant, rapporte Var Matin. Et tous attendent impatiemment des réponses : "Il faut qu'ils fassent quelque chose. Ils sont en train d'étouffer le port !", appelle à l'aide Henri Joly.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.