#AlertePollution : "Ils vendent leur lait en Chine et polluent chez nous" : au cœur du parc des volcans d'Auvergne, une laiterie accusée de souiller une rivière
A Saint-Genès-Champanelle (Puy-de-Dôme), l'Auzon, un cours d'eau, a été pollué à plusieurs reprises cet automne par les rejets de la Société laitière des volcans d'Auvergne. Une plainte a été déposée pour tenter de mettre fin à une nuisance qui se répète depuis quarante ans.
#AlertePollution
Rivières ou sols contaminés, déchets industriels abandonnés… Vous vivez à proximité d’un site pollué ?
Une laiterie perchée à 900 mètres d'altitude, "dans un lieu d'exception au cœur de la chaîne des volcans d'Auvergne", "un espace naturel grandiose et préservé, à deux pas de la mythique source de Volvic". Sur son site internet, la Société laitière des volcans d'Auvergne (SLVA), filiale du groupe Terra Lacta, vante la beauté du parc naturel régional dans lequel est installée sa laiterie de Theix, à Saint-Genès-Champanelle (Puy-de-Dôme). Un atout de taille lorsqu'on exporte 15% de sa production en Chine, où le volcan s'affiche sur les briques de lait. Pourtant, ce parc régional naturel des volcans d'Auvergne, la laiterie le pollue depuis plusieurs années, malgré sa "responsabilité environnementale" et son "respect" du territoire vantés dans son clip promotionnel.
"Ils disent que les vaches boivent de l'eau de source, mais je peux vous assurer que les poissons, non. Ils vendent leur lait en Chine et ils polluent chez nous", fulmine Vincent Grangeon. Cet habitant de Saint-Genès-Champanelle vit à proximité immédiate de l'Auzon, le ruisseau qui prend sa source sous la laiterie et se jette dans l'Allier. C'est lui qui nous a signalé les faits en répondant à notre appel #AlertePollution. Depuis le 1er septembre, d'importantes fuites dans les canalisations de l'usine ont rejeté à quatre reprises des eaux usées dans le cours d'eau. A chaque fois, le ruisseau prend une couleur blanchâtre, une boue marron se dépose dans son lit, des bactéries y déploient leurs filaments blancs et une odeur "nauséabonde d'égout et de pourriture" envahit l'air. "Le milieu aquatique est détruit, il n'y a plus de vie dans cette partie du cours d'eau", précise Christian Soucher, de l'association de pêche locale, l'AAPPMA Royat-Les quatre sources.
Cela ressemble à un égout au lieu d'être une source.
Henri Laveran, président de la société de pêche La Chanonatoiseà franceinfo
Ces épisodes de pollution sont les derniers d'un feuilleton qui dure depuis une quarantaine d'années. A intervalles réguliers, depuis quarante ans, les canalisations vétustes de l'usine, mal cartographiées – les nouveaux propriétaires disent ne pas avoir les plans – et pas aux normes, fuient dans le réseau d'eau pluviale, qui se déverse ensuite dans l'Auzon. "Nous n'aurions pas assez de la soirée pour parler de tous les événements qui se sont produits", nous confie Henri Laveran, président de la société de pêche de Chanonat. Situé à 6 kilomètres de Theix, ce village voit parfois passer sur la rivière de la mousse blanchâtre, lors des forts épisodes de pollution comme celui du 21 novembre. Cet ancien responsable du service d'hygiène hospitalière du CHU de Clermont-Ferrand dénonce "une modification progressive de la biodiversité". "Il n'y a pas de mortalité violente des poissons, mais c'est une pollution chronique. Comme toutes les intoxications à long terme, tant qu'il n'y a pas de catastrophe, on se dit qu'on peut continuer", regrette l'ancien médecin.
Une plainte déposée
Avec pour objectif d'y mettre un terme, Vincent Grangeon, qui a lancé le collectif "Auzon l'Artière propres" fin novembre, et Christian Soucher ont porté plainte le 24 septembre pour "pollution du cours d'eau". "Nous ne pouvons plus supporter cette pollution d'un industriel peu scrupuleux", justifie le premier. Le maire de Chanonat a, lui, fait un signalement au procureur de la République, exaspéré que ce dossier n'avance pas alors qu'il avait déjà rencontré la direction de l'usine il y a "deux ou trois ans". "A l'époque, j'avais dit qu'il fallait laisser un peu de temps à la société pour faire les investigations nécessaires, trouver ce qui n'allait pas et effectuer les travaux, se souvient Serge Charlemagne. De toute évidence, cela ne cesse pas".
On peut considérer qu'il y a de la mauvaise volonté ou du laisser-aller, c'est un véritable problème.
Serge Charlemagne, maire de Chanonat (Puy-de-Dôme)à franceinfo
Un bon connaisseur de la Vallée de l'Auzon résume le problème pour les villages qui se trouvent en aval de la laiterie. "De l'argent public – environ 800 000 euros – est investi sur ce cours d'eau pour atteindre les objectifs de bon état des eaux [pas de polluant ou d'obstacle, un bon débit] demandés par l'Union européenne. Ces efforts sont anéantis parce que dès la source, la laiterie pose problème", développe notre interlocuteur, qui préfère rester anonyme.
De son côté, SLVA, qui a racheté l'usine en 2007 après la débâcle financière de l'entreprise Toury, affirme avoir découvert ces incidents après son arrivée et plaide la bonne foi. "Nous avons hérité d'un problème et nous aussi nous aimerions que cela cesse. On en est vraiment désolés, c'est vrai que ce n'est pas très cohérent avec cette image de naturalité que nous voulons avoir, pose Delphine Le Méhauté, chargée de communication du groupe Terra Lacta, avant d'assurer : Nous subissons ces problèmes qui se succèdent, des travaux ont été entrepris à chaque fois". Le directeur des opérations Auvergne-Auzance, Pierre Lasgouttes, précise que "les canalisations ne correspondent même pas à ce qui était imposé à l'époque" de la construction de l'usine. "Certains tuyaux sont en PVC type descente pluviale du toit que vous pouvez avoir chez vous, alors qu'il faudrait du PVC renforcé ou du métal", ajoute-t-il. Depuis 2016, SLVA indique avoir investi plus d'un million d'euros pour moderniser le site.
Une pollution importante car récurrente
Des enquêtes – administratives, menées par la Direction départementale de la protection des populations (DDPP), et pénales – sont en cours après les événements de cet automne. "C'est un problème important dans la mesure où il est récurrent, mais on a des problèmes de pollution qui mettent beaucoup plus en cause la santé des gens", resitue Gilles Brunati. Le directeur de la DDPP du Puy-de-Dôme a "bon espoir" que la vie reprenne son cours en aval de l'Auzon, "à condition qu'il n'y ait pas d'autres épisodes de pollution". Les investigations ne sont pas terminées et les résultats des analyses de l'eau prélevée sur place ne sont pas publics. Vincent Grangeon et Christian Soucher redoutent la présence dans ces rejets de produits d'entretien, utilisés par l'usine pour nettoyer les cuves.
Mais Gilles Brunati se veut rassurant : comme pour les pollutions passées, "on parle de sous-produits du lait, de lactosérum. C'est enquiquinant, ça ne devrait pas avoir lieu, mais ce n'est pas de l'arsenic", explique-t-il. C'est ce lactosérum qui colmate le lit du ruisseau et en chasse les poissons, privés d'habitat. C'est lui aussi qui favorise le développement de bactéries, qui provoquent un appauvrissement en oxygène de l'eau. En revanche, selon le patron de la DDPP, les produits d'entretien ne seraient présents qu'en quantité infinitésimale, à l'état de traces. "Le nettoyage à l'acide et à la soude se fait en circuit fermé. Ces produits ne sont pas rejetés dans les canalisations, il peut cependant y en avoir des quantités infimes dans les eaux de rinçage", assure Delphine Le Méhauté.
Pour les riverains, les investigations ne vont pas assez vite. "Cela fait des années que les autorités auraient dû faire quelque chose. Il y a deux poids, deux mesures entre l'usine et le particulier", peste Vincent Grangeon. Comme d'autres habitants de la vallée interrogés par franceinfo, il pense que le poids économique de la laiterie, seule industrie de la commune, joue un rôle dans cette inertie. L'entreprise emploie 160 personnes et collecte le lait des fermes alentour. "Autrefois, avec le précédent propriétaire, il y avait eu un chantage au déménagement de la laiterie", se souvient Henri Laveran, qui note que l'argument n'est pas utilisé aujourd'hui par la SLVA. "On comprend qu'il faille préserver les emplois mais il faut aussi préserver la nature pour les générations futures", rappelle Christian Soucher.
"On ne veut pas couler l'entreprise"
Le maire de la commune, élu depuis 1989, reconnaît volontiers que cet aspect économique entre en ligne de compte. "Je me suis toujours efforcé de concilier au mieux, chaque fois que cela a été possible, l'indispensable protection de l'environnement et la nécessaire prise en compte des contraintes économiques et de l'emploi", écrit Roger Gardes le 2 octobre à Vincent Grangeon, qui l'avait sollicité. Une position "équilibrée" qu'il résume ainsi à franceinfo : "On ne veut pas couler l'entreprise, mais la mettre face à ses responsabilités". La mairie, la DDPP et la métropole Clermont-Auvergne, dont fait partie Saint-Genès-Champanelle, jugent l'industriel plus coopératif que les précédents propriétaires. "Je témoigne de leur bonne volonté, ils ont fait un certain nombre de travaux et nous n'entendions plus parler de l'Auzon l'an dernier. Nous pensions que c'était réglé", poursuit Roger Gardes.
Depuis la pollution de septembre, de nouveaux travaux ont été engagés, entre le 14 et le 18 décembre. D'autres doivent suivre en janvier. Cette fois, l'objectif est de déconnecter le réseau d'eau pluviale – dans lequel fuient les canalisations – de l'Auzon, en le redirigeant vers une station d'épuration. "Depuis ces premiers travaux, les analyses que nous effectuons deux fois par jour montrent que nous sommes revenus dans les clous, indique Pierre Lasgouttes. Mais je ne veux pas vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué". "On s'approche de la solution", résume Gilles Brunati, à la DDPP. Une solution provisoire, en attendant la construction d'un autre circuit, qui doit aboutir en 2019. "Normalement, il n'y aura plus d'écoulements dans l'Auzon, même si je reste prudente", veut croire Muriel Burguière, directrice du cycle de l'eau à Clermont Auvergne Métropole. Dans un courriel envoyé au collectif de Vincent Grangeon, la métropole précise qu'"en temps de pluie, il pourra y avoir un déversement dans le réseau public mais ce sera un rejet à dominante eau claire".
A Theix, les abords du ruisseau ont été nettoyés par une entreprise missionnée par la SLVA. Des photos envoyées à franceinfo par la mairie et un constat du garde-champêtre en attestent. Début janvier, Vincent Grangeon nous a confié avoir constaté "une nette amélioration visuelle et olfactive". Cette accalmie est-elle durable ? Les défenseurs de l'Auzon demandent à voir. "J'ai 75 ans et ça fait quarante ans que ça dure, rappelle Henri Laveran, avant de glisser : J'espère que la situation s'améliorera de mon vivant".
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