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Chine : comment 7 500 cadavres de porcs sont arrivés à Shanghai par le fleuve

Les circonstances de l'invasion de cochons morts dans le Huangpu restent troubles. Ses conséquences aussi, malgré les propos rassurants des autorités.

Article rédigé par Camille Caldini
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Des hommes repêchent un cadavre de cochon dans le fleuve Huangpu, près de Shanghai (Chine), le 12 mars 2013. (QUIRKY CHINA NEWS / REX / SIPA)

"Quand on ouvre le robinet, on a de la soupe aux travers de porc." Si certains habitants de Shanghai parviennent à en rire, l'inquiétude est tout de même bien présente, dans la ville la plus peuplée de Chine. Depuis le 4 mars, le fleuve Huangpu, l'une des principales sources d'eau potable des 23 millions d'habitants de la mégapole, a charrié des milliers de cadavres de porcs, dont certains malades. On en comptait près de 6 000 mercredi. Ils sont 7 545 exactement, selon le Shanghai Daily (en anglais), vendredi 15 mars. Et l'angoisse gagne la population, en dépit des propos rassurants des autorités écartant tout risque sanitaire.

Comment ces cochons sont-ils arrivés à Shanghai ?

Alors que chaque jour, des centaines de nouveaux cadavres sont repêchés, Shanghai accuse la préfecture voisine de Jiaxing, en amont de la ville. Des éleveurs, victimes d'une épidémie porcine, se seraient débarrassés de leurs bêtes en les jetant dans le fleuve. Les autorités locales bottent en touche tandis que des fermiers, interrogés par l'AFP, jurent être étrangers à l'affaire. Pour eux, il est impossible que des cochons aient parcouru une centaine de kilomètres sur le fleuve. "Si nous avions jeté des porcs dans l'eau ici, ils ne ressembleraient plus à des porcs à Shanghai", affirme l'un deux, cité par le New York Times (en anglais).

Une enquête préliminaire est en cours pour trouver l'origine des porcs repêchés, grâce aux étiquettes épinglées à l'oreille des animaux. Sur les 100 000 éleveurs que compte la préfecture de Jiaxing, un seul a reconnu, mercredi 13 mars, avoir rejeté des cadavres de porcs dans le Huangpu, selon le site chinois francophone French News. Il semble pourtant que cette pratique soit très courante chez les éleveurs de la région, ajoute le Shanghai Daily (en anglais), à cause de l'expansion excessive de l'industrie porcine et du manque de lieux d'enterrement.

Certains de ces animaux ont aussi pu mourir pendant leur transport vers Shanghai, selon un autre responsable de Jiaxing, que le New York Times a suivi dans la région. Entassées dans des camions, les bêtes peuvent mourir étouffées et être jetées à l'eau par les chauffeurs. Des centaines d'entre elles sont aussi ramassées chaque jour au bord des routes.

Des employés municipaux récupèrent des cadavres de porcs abandonnés au bord de la route, dans un village de la préfecture de Jiaxing (Chine), le 12 mars 2013. (REUTERS)

De quoi sont-ils morts ?

Une maladie porcine connue a été détectée sur certains des animaux repêchés à Shanghai : le circovirus, qui atteint notamment les porcelets, mais serait inoffensif pour les humains. Il est envisageable que dans un cheptel touché par la maladie, des porcs sains aient été tués pour prévenir une contamination générale. De plus, les fermes chinoises "sont incapables d'enrayer une épidémie de maladie infectieuse", selon Wang Wei, vétérinaire pour un laboratoire produisant des médicaments destinés aux centres d'élevage. Mais des fermiers affirment à plusieurs médias que la mortalité n'a pas augmenté dans leurs cheptels.

Aux abords de Shanghai, certains des cochons repêchés étaient gelés et les autorités de Jiaxing ont prétendu que certains étaient morts de froid. Une hypothèse peu plausible, car depuis début 2013, les températures ne sont pas tombées en dessous de -3°C dans la région, et ont même été exceptionnellement élevées ces dernières semaines.

Un mal pour un bien ?

"Au moins, ils n'en ont pas fait du jambon ou des saucisses", ironisent des internautes chinois, sur le réseau social Weibo (en anglais). Car la Chine, comme l'Union européenne, connaît son lot de scandales alimentaires. Cette semaine, dans la province du Zhejiang, 46 personnes ont été condamnées à de la prison pour avoir découpé et vendu de la viande de porc provenant de plus d'un millier d'animaux malades. De la viande qui s'est retrouvée dans la chaîne alimentaire via un réseau illégal, raconte le Christian Science Monitor (en anglais).

Il s'agirait d'une pratique courante, "une manière pour les producteurs de compenser leurs pertes", explique au même journal Feng Yonghui, consultant en business agricole à Pékin. Afin que les porcs du Huangpu n'arrivent pas dans les restaurants et sur les étals des bouchers, la ville de Shanghai, selon ses médias officiels, a donc renforcé ses contrôles.

Comment la Chine gère-t-elle la crise ?

Preuve que le gouvernement est mal à l'aise avec le sujet, certains termes de recherche ont été bloqués sur l'internet chinois. C'est le cas de "pigfestation", terme inventé par la chaîne Bloomberg (en anglais) pour désigner cette invasion de cochons morts, comme le rapporte le China Digital Times (en anglais).

En dire le moins possible : c'est la méthode choisie. Après avoir analysé des échantillons d'eau du Huangpu, les autorités de Shanghai ont affirmé que les résultats étaient "normaux". C'est tout. Ce qui rend sceptiques les habitants de la mégapole. "Près de 6 000 porcs crevés et la qualité de l'eau ne change pas. On assiste à un miracle", ironise ainsi un internaute, cité par l'AFP.

Ecœuré par cette méthode, l'avocat et blogueur Gan Yuanchun lance un défi aux responsables politiques locaux : "Bien, puisqu'il n'y a aucun problème pour boire cette eau, faites passer ce message si vous voulez demander au secrétaire du parti à Shanghai de boire ce bouillon de viande en premier", écrit-il sur Weibo.

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